Ce texte est paru dans le bulletin paroissial Le Sinagot alors dirigé par l'abbé Joseph LE ROCH. Je me suis contenté d'ajouter des illustrations et un extrait du livre du chanoine MENE.
L'abbé LE ROCH reprend un vieux document intitulé "ABREGE DE LA VIE DE MONSIEUR LE NEVE RECTEUR DE LA PAROISSE de Séné, Diocèse de Vannes. Il s'agit d'un vieux livret, écrit en français du XVIII°, et qui fut retranscrit manuellement par un homme d'église non identifié à ce jour.
MON CURE CHEZ LES PAUVRES : L’ABBE LE NEVE
RECTEUR DE SENE AU DIX-HUITIEME SIECLE
De l’Antiquité à l’époque la plus moderne, toute l’histoire du Golfe est littéralement semée de traces religieuses. De quelques côté que l’on se aborde sur ses rives, à l’Ile aux Moines ou à Er-lannik, à Gavrinis ou au tumulus d’Arzon, toujours, tout de suite, une ombre plane, celle du christianisme ou de la religion druidique qui l’a précédé sur cette terre sacrée entre toutes.
Les épisodes de l’Histoire de l’Eglise particulières à cette contrée, beaucoup sont connus, d’autres peut-être moins. De passage à Séné, à bord des sinagots, j’y relèverai un témoignage particulièrement digne d’attention, si longtemps il demeura populaire, et encore n’est-il pas oublié : la vie admirable de l’abbé Pierre LE NEVE, [24/11/1673 Tréffléan - 23/09/1749 Séné] recteur de la paroisse au dix-huitième siècle, mort en odeur de sainteté.
ETUDE ET PIETE
Pierre LE NEVE naquit le 24 novembre 1673, au village de Kno [vraisemblablement Kerno], en Treffléan, « de parents peu distinguées selon le monde, mais qui l’étaient beaucoup par leur piété ».[une famille de laboureurs, selon 'acte de naissance ci-dessus]
La main de Dieu était visiblement sur lui. Rien de puéril ne l’amusa. Goûter les mystères divins, s’en entretenir avec complaisance, témoigner l’empressement le plus vif à se les faire expliquer, apprendre par cœur les hymnes sacrées et les cantiques, s’en bien remplir, les chanter avec joie, et inviter ses condisciples à les chanter avec lui, voilà quels furent les délassements de ce pieux enfant, dès l’âge tendre, dont la dissipation, les ris, les jeux, sont communément l’unique partage.
On ne s’étonne donc pas que sa jeunesse fut particulièrement studieuse, appliquant son esprit à la science, autant que son âme à la piété. Ses années de séminaire furent débordantes de bonnes œuvres, gardant si peu de mesure dans son zèle, qu’il s’enflamma le sang, et voilà qu’au moment de passer les examens des Saint-Ordres, il avait les humeurs si irritées, couvrant son visage de pustules, que M. le grand Vicaire, le prit pour un homme adonné à la boisson, et il fallut attendre à l’abbé LE NEVE, l’Ordination suivante pour que justice lui soit rendue : Dieu éprouve les siens.
CURE DE SAINT-PATERN
Après quelques années de prédications, enthousiasmant les foules de sa parole, il est nommé curé de Saint-Patern de Vannes, toujours aussi actif, aussi charitable, mais surtout près des pauvres et des malheureux. Après qu’il fut mort, sa sœur a rapporté sa surprise, de voir plus d’une fois disparaître ses vêtements, son linge, ses provisions. Et l’abbé de lui répondre :
- ma sœur, les pauvres souffrent et vous avez de toute abondance.
A son père qui lui avait transmis de l’argent à changer, il écrivait le moment voulu de retourner la somme : "Consolez-vous, je vous en ai fait un trésor dans le ciel, et une échelle pour y monter ; je l’y ai fait passer en votre nom par les mains des pauvres…"
Ses malades, il les visitait toutes les semaines, faisant lui-même le lit et balayant la chambre. Selon les tempéraments auxquels il s’adressait, il savait user de patience et d’humilité, de fermeté et de courage. Un jour, il descendit en personne dans un lieu de débauche, pour en arracher une jeune fille qui se livrait aux plus vils excès.
Douze ans plus tard, la paroisse de Séné, alors plus considérable qu’aujourd’hui, et déjà elle est loin d’être sans importance, vient à vaquer. Monseigneur Fagon, évêque de Vannes, y nomme l’abbé LE NEVE. Tout le monde applaudit à ce choix, sauf l’intéressé, tant il se fait une haute idée de cette charge et qu’il s’en croit indigne, et pour l’obliger d’accepter, il lui fallut la crainte de résister à Dieu lui-même.
UNE CURE QUI N’ETAIT PAS UNE SINECURE
Elle n’était pas une sinécure, la cure de Séné, chez un peuple composé uniquement de matelots et de pêcheurs, gens grossiers et ignorants – de ce temps-là…- dont la raideur et l’indocilité avaient plus d’une fois été un écueil pour ses prédécesseurs. Lui, très vite, conquit son monde, entrant dans tous les besoins, sensible à toutes les peines, soulageant tous les maux, se faisant comme Saint-Yves, l’avocat des pauvres, comme Saint-Louis, le juge du procès, apportant souvent la caution de la somme disputée.
Autant il était bon, autant énergique, ne ménageant pas ses ouailles du haut de la chaire : « Grand Dieu, s’exclamait-il, ils voudraient qu’on leur parlât avec plus de réserve, et qu’ils vous outragent sans ménagement,. Je n’ai que l’enfer à leur montrer, et ce sera immanquablement, s’ils Vus offensent toujours, leur partage. Mon Dieu, parlez Vous-même à ces cœurs de pierre… ». Là-dessus, voilà qu’éclate un orage affreux, et à l’effroi succède la grâce dans les âmes.
Ce zèle fut si visiblement fécondé qu’en peu de temps, rapporte la chronique, les meours publiques se reformèrent, de grands désordres furent abolis, le libertinage s’éloignan et Séné devint le modèle des paroisses voisines, à telle enseigne, « qu’on distinguait ses habitants à certains air de décence et de modestie qui les accompagnait partout… »
Une parallèle à dresser avec Cucugnan….
Portrait de l'abbé Le Névé [24/9/1673-23/9/1749]
peint par Jean Vincent LHERMITAIS (1700-1758).
Peinture à l'huile sur toile 40x33, de 1749. Réf PM56001231
BENEFICES
Quand on eût fait faire des Salines à Séné, elles produisirent bientôt une augmentation considérable des revenus du Chapitre de l’Eglise de Vannes et du propre bénéfice de la paroisse. On en félicitait quelquefois le curé, comme d’un grand avantage, et c’en était un en effet, qui devait vraiment lui faire plaisir.
Mais dès que ses habitants n’en profitaient point, qu’ils en souffraient même quelques préjudices, il s’en attristait au contraire et s’en plaignait comme d’un vrai mal.
- Hé ! Où iront-ils, les pauvres fens, disait-il alors, où irontils faire paître leurs bestieux, et qui leur donnera du fourrage ?
- - Mais vous en profiterez, M. de Séné ! lui répondait-on.
- - Oui, oui, j’en profite ! Beau profit vraiment : on donne à ceux qui possèdent, et on ôte à ceux qui nepossèdent pas.
- Quand au lieu des sels, dont il devait percevoir la dîme – le Chapitre lui proposa un abonnement où il y avait certainement à gagner pour lui, puisque jamais il n’aurait pou espérer, pendant sa vie, profiter sur le sel en essence à proportion de ce qu’on lui offrait en argent, la crainte seule d’engager ses successeurs, de leur occasionner dans la suite quelques domage, et aux pauvres par conséquent, lui fit rejeter cette avance quelqu’avanteuse qu’elle lui fût personnellement.
- Ce n’était point par le plus ou le moins de revenu, mais par le plus ou le moins d’actions héroïques qui’l estimait son Bénéfice.
Un jour, Monseigneur Fagon, lui en demanda la juste valeur . "Autant que votre Evêché, Monseigneur", répondit-il spirituellement. Il vaut le paradis ou l’enfer…
Toute sa vie, l’abbé LE NEVE mena une existence des plus austères. Il ne dormait guère, même la nuit, la passant en prières ou assis sur une chaise de paille lorsque le sommeil l’accablait. Et on a cent fois remarqué que lorsqu’on venait le chercher pour les malades, il paraissait à l’instant même tout habillé, et en état de porter aussitôt les secours nécessaires.
Ses repas, qu’il prenait ordinairement assez tard, demeurant souvent avec son confessionnal jusqu’à deux ou trois heures de l’après-midi, et toujours à jeun, consistaient en une mauvaise soupe de choux ou de quelques autres légumes grossier. Jamais ni viande, ni poisson, ni vin, malgré qu’il en avait, et qu’il était même jaloux qu’il fut si bon ; mais c’était pour servir aux étrangers qui le venaient voir, et pour fortifier les malades à qui il en portait chaque jour.
Ainsi arriva-t-il aux portes de la mort. Epuisé de fatigues et de privations il tomba malade une première fois en 1746, et se rétablit jamais complètement. A peine commençait-il à se sentir un peu mieux qu’il redoublait d’entrain et de courses d’une extrémité à l’autre de sa paroisse. Pendant sa messe, vers les derniers temps il défaillit plusieurs dois tant il était exténué. Une attaque de paralysie le retint définitivement à sa chambre et il se lamentait d’être inutile et à la charge de tous. Quatre mois il agonisa, exemple vivant de résignation et d’humilité. Le 20 novembre 1746 à onze heures du soir il rendait le dernier soupir à la veille de ses 73 ans.
De toutes parts, on accourut à Séné, tant la sainte réputation du défunt était grande. La foule était si dense qu’après des peines infinies pour parvenir jusqu’au presbytère, une personne respectable assura qu’elle avait été forcée de demeurer trois quarts d’heure jusqu’au pied de l’escalier sans pouvoir gravir une marche. Tous voulaient des reliques, on lui coupa les cheveux, les sourcils, la soutane, jusqu’aux habits sacerdotaux dont il était revêtu.
Masque mortuaire en cire de l'abbé Le Névé.
Pour satisfaire à la dévotion publique, on dut le porter à l’église, toutes les portes demeurèrent ouvertes et du jeudi au mardi elle ne se désemplit pas. C’était à qui trouverait à ses funérailles, non pour l’assister de prières, mais pour implorer le secours des siennes.
A deux siècles de distances bientôt, la mémoire de l’abbé LE NEVE n’est pas éteinte. Plus d’un foyer à Séné conserve pieusement l’image de ce « pasteur exemplaire, pieux et charitable, lumière du peuple, père des pauvres et des misérables’ dit l’épitaphe gravé sur son tombeau.
Son souvenir le plus rare, c’est encore « l’abrégé de sa vie », d’auteur anonyme mais que l’on sait être un vicaire de saint-Patern qui le dédia "à Messieurs les Recteurs du Diocèse ».
C’est une petite plaquette de 60 pages imprimée « avec approbation et permission » en l’an de grâce 1751 « à Vannes chez veuve de Guillaume Le Sieur imprimeur de Monseigneur l’Evêque, du Clergé et du Collège près la Retraite ». Sur la page de garde, une image du vénérable curé « gravée par J. Bonleu à Vannes ».
(Extrait de la très intéressante brochure de Michel de Galzain : MARE NOSTRUM)
Suit un extrait de l'Histoire du Diocèse de Vannes par le chanoine MENE :
Lors de la reconstruction de l'église de saint Patern au bourg, le vieux cimetière qui entourait l'ancien édifice fut réformé. Les autorités religieuses et civiles de l'époque transférerent symboliquement la tombe de Pierre LE NEVE dans le nouveau cimetière.