Pour faire la guerre, il faut des soldats, des mitrailleuses, des canons et de la poudre. La poudre est produite à partir de nitrates. Pendant toute la durée du conflit, le transport des matières premières, charbon, métaux et nitrates a été primordiale pour approvisionner les usines d'armements. Lire l'histoire des charbonniers Danet et Rolland ou "minéralier" que fut JACOB.
Les principaux gisements de nitrates se trouvent au Chili et les belligérant affrêtent des navires pour transporter la base de la poudre à canon.
Parmi ces marins, trois jeunes Sinagots, Pierre Marie LE DORIOL, Louis Jean Marie DARON et Pierre Marie LE PORT ont oeuvré à l'effort de guerre et sont disparus bien jeunes en mer pour ramener en France les précieux nitrates.
Pierre Marie LE DORIOL : 17/03/1897 - 29/10/1915. officiellment mine
Pierre Le Doriol est né à Séné, village de Kerdavid comme l'indique son acte de naissance. Son père est pêcheur et sa mère ménagère.
On retrouve la composition de la famille Le Doriol au dénombrement de 1911 avec 3 garçons et leur parents.
Sa fiche d'inscrit maritime nous indique qu'il embrasse la carrière de marin à l'âge de 13 ans comme mousse sur la Sainte Espérance et on le retrouve matelot sur ce même bateau en mars 1913. Après une semaine sur le Touraine - bateau dans le quel s'est noyé Le Gregam de Séné - on le voit à bord du Hoche comme matelot léger à partir de juin 1914. Il y fait un premier voyage vers Liverppol.
"Le Hoche" est un trois-mâts carré de 1941 tonneaux JB, lancé le 4 mai 1901 par les Chantiers de la Loire.
Il est armé à Nantes le 28/09/1915 et faisait route de Nantes à Valparaiso au Chili via Leith près d'Edimbourg en Ecosse. Il a disparu le 29 octobre au large de l'Ecosse entre Ipswich et Leith. Il allait sans doute charger au Chili du nitrate, indispensable minerai pour produire la poudre à canon.
Que s'est-il passé ?
Les cartes météo des 29 et 30 Octobre 1915 nous montrent qu'une violente tempête de SW devait régner sur la zone à cette période. On peut donc penser que le navire, probablement sur lest puisqu'il devait charger à Leith, aura connu des difficultés et fait naufrage par fortune de mer.
La presse de l'époque se fait l'écho de ce naufrage :
– Le Figaro, n° 303, 30 octobre 1915, p. 2 : Dépêches et nouvelles.
Inquiétudes. - La goélette Hoche, de Nantes, a été vue à la dérive, au large des côtes d'Écosse, puis a disparu. On craint qu'elle n'ait péri,
- Ouest-Éclair – éd. de Nantes – , n° 5984, 31 octobre 1915, p. 4 : UN NAVIRE FRANÇAIS PERDU.
LONDRES, 30 octobre. - La goélette française Hoche, de Nantes (il s'agit, sans doute, du long-courrier nantais), a été aperçu [sic] jeudi soir allant à la dérive au milieu de la tempête, à environ huit milles de la côte Est d'Écosse, entre Arbroath et Carnoustie. Les feux du bâtiment ont disparu à la nuit tombante, et, ce matin, de nombreux débris ont été aperçu [sic] sur le rivage. Quatre canots appartenant au Hoche, ainsi que des ceintures de sauvetage, ont été trouvées [sic] également sur la grève. On craint que le bâtiment n'ait été perdu corps et biens.
Le Hoche avait quitté Ipswich il y a quelques jours. L'équipage comprenait 23 hommes. »
Et une interrogation en raison de cette autre brève : le Hoche aurait-il été remorqué, avant ou après avoir été désemparé par la tempête, situation qui semble néanmoins fort peu probable ?
– Ouest-Éclair – éd. de Nantes – , n° 5988, 4 novembre 1915, p. 4 : NOUVELLES MARITIMES. – LA PERTE DU HOCHE. -
Le remorqueur Homer, qui conduisait le navire Hoche, est arrivé à Broughty-Ferry. Son capitaine signale que la remorque s'est rompue. Pendant le coup de vent, de nombreux débris ont été aperçus sur le rivage. Quatre canots appartenant au Hoche, ainsi que des ceintures de sauvetage, ont été trouvés également sur la grève. »
Ainsi le HOCHE était en remorque (comme sur cette photo prise dans un port de Hollande) et l'amarre du remorqueur Homer a cassé dans le mauvais temps. Il est parti en dérive dans la tempête et se serait perdu....
On a retrouvé quelques épaves sur la côte. Il y a fort a parier que ce fut une question de ripage de lest. Les voiliers étaient effectivement souvent remorqués pour de petites traversées. Les marins du Hoche victime d'une avari ont pu monter sur les canots de sauvetage mais le mauvais temps ne leur a pas permis d'atteindre terre et ils périrent en mer
Une autre source confirme le naufrage :
"Etat-civil de la mairie de Nantes, jugement du tribunal civil de Nantes du 18 octobre 1917.
Extrait...le 23 octobre 1915, le trois-mâts Hoche, immatriculé à Nantes f° 191 n° 568, quitta Ipswich à destination de Leith en remorque du remorqueur anglais Homer. Le navire, construit à Nantes en 1901, jaugeant 2 211 tonneaux, avait été armé administrativement à Nantes pour le long cours, le 24 septembre 1915, sous le n° 410. Dans la nuit du 28 au 29 octobre 1915, le Hoche se perdit corps et biens près d'Arbroath, alors qu'il était au mouillage à trois milles de terre. De nombreuses épaves recueillies à la côte le lendemain de sa disparition ont été reconnues comme appartenant au trois-mâts Hoche. D'autre part, depuis l'évènement, aucune nouvelle de l'équipage et des passagères n'est parvenue, et...les marins et les femmes qui les accompagnaient n'ont pas reparu à leurs domiciles respectifs..."
En première analyse, il semblerait que cela soit une fortune de mer qui a causé la mort de ses 32 hommes d'équipage du Hoche, dont le matelot Pierre Marie LE DORIOL qui disparait en mer à peine âgé de 18 ans.
Cependant pour d'autres éléments [à trouver] en sa possession, l'administration retiendra un fait de guerre parce que la zone était connue pour être parsemés de mines, ce qui permis d'indemniser l'armateur et de déclarer "Morts pour la France" l'équipage. L'annonce de son décès arrivera a Séné.
Ce n'est qu'en 1930 que le ministère de la marine accordera la mention "Mort pour la France" à Pierre Marie LE DORIOL ce qui lui donne le droit de figurer au monument aux morts de Séné qui n'a pu en tenir compte puisqu'il date de 1925.
Il faut donc rajouter son nom sur la liste gravée.
Louis Jean Marie DARON : 4/01/1900 - 31 juillet 1917 - Torpille U151
Louis Daron nait au début du XX°siècle ce 4/01/1900. Son père est marin de commerce et sa mère ménagère, c'est à dire mère au foyer.
La famille apparait au dénombrement de 1911 composée de 3 enfant autour de leur mère veuve depuis le décès de Mathurin Marie le 31/12/1905.
Comme son père, Louis Daron embrasse la carrière de marin. Sa fiche d'Inscrit Maritime nous fait découvrir son parcours de jeune marin. C'est à bord du canot le Printemps que le 4/01/1913 Louis Daron fait ses débuts de mousse à peine âgé de 13 ans. Au début du conflit il est à bord du Leopold. Le dernier bâteau répertorié est le Marie Céline où il est embarqué de mai à septembre 1916.
Malgré la mort de son frère (lire l'article sur les fusiliers marins à Dixmude), Louis Jean Marie DARON, travaille lui aussi à la victoire. En cet été de 1917, il est marin à bord du Madeleine II.
Ce bateau de l'armement Bordes traverse l'Atlantique pour ramener du nitrate du Chili nécesaire à la fabrication des explosifs. Comme tous ces navires qui approvionnent la France, il est une proie facile pour les U Bolt allemands.
Le 31 juillet 1917 le Madeleine est attaqué et coulé par le sous-marin allemand U155. Parmi les victimes le jeune Sinagot, Louis Jean Marie DARON à peine âgé de 17 ans.
C'est par décision du minsitre de la Marine qui sera déclaré "Mort pour la France en 1930.
Caractéristiques du MADELEINE II :
D’abord gréé en quatre-mâts carré, il fut finalement regréé en trois-mâts carré. Ce n’était pas un navire de grande marche, mais son port en lourd était avantageux par rapport à sa jauge. 3220 tpl 2709 tx JB 2340 tx JN Longueur environ 88 m Largeur supérieure à 12 m.
Capitaine Alexandre LEVEQUE né le 28/04/1884 à Pléneuf Inscrit à Saint Brieuc
La perte du MADELEINE II :
Le 6 Juillet 1917, le MADELEINE II quitte Le Verdon, à l'embouchure de la Gironde, pour Sydney sur lest, en convoi, escorté par trois patrouilleurs. Parmi les voiliers du convoi figurent également ALEXANDRE et MARTHE qui partent vers le Chili, REINE BLANCHE pour Adélaïde, tous de la compagnie Bordes, VERSAILLES et VILLE DE MULHOUSE, affrétés par le gouvernement français pour rapporter des céréales d’Australie et qui ont Melbourne comme port de destination.
Quand commence la Première Guerre mondiale, l'armement Bordes est constitué de 46 navires, 60 capitaines, 170 officiers et 1 400 matelots et maîtres. Il était le spécialiste du transport de nitrate entre le Chili et la France. La compagnie importait d'ailleurs la moitié du nitrate européen. Pendant le conflit, ses navires effectuèrent ainsi cent vingt deux voyages pour approvisionner les ports français, ce qui fut primordial pour l'effort de guerre. En effet, le nitrate était, à cette époque, un constituant des poudres pour les explosifs. Ces rotations auront donc une importance capitale pour le sort des armes. À noter que la compagnie avait été réquisitionnée par l'État début 1917, ce qui avait occasionné un changement de nom, l'armement Bordes devenant la Compagnie d'armement et d'importation des nitrates de soude.
La traversée se déroule sans encombre jusqu’à la latitude de Madère.
Rapport du capitaine Lévèque :
« Le Mardi 31 Juillet à 07H00 du matin, par 33°55 N et 22°50 W, j’ai été attaqué par un sous-marin ennemi venant du NE et signalé quelques instants avant par l’homme de vigie comme se dirigeant vers nous. Fait prendre aussitôt les dispositions de combat, mis en marche le moteur pour les émissions des appareils TSF, lancé, aussitôt l’attaque, le signal de détresse SOS suivi de notre position. Le trois-mâts est handicapé par le calme qui rend ses manœuvres lentes. Je noterai au passage le calme de mon équipage et le sang-froid des canonniers, en particulier du quartier-maitre Dinand, chef plein d’énergie de la pièce de bâbord qui parvint à encadrer l’ennemi, à le garder à distance et tira jusqu’au dernier obus restant sur le pont.
Au bout d’une heure et demie de lutte, après avoir tiré environ 200 obus, un projectile, atteignant la partie arrière de la chambre de veille et tombe sur les armoires à munitions. L’explosion tue et blesse tous les hommes assurant l’alimentation des deux pièces dont le feu diminue progressivement d’intensité, étant dans l’impossibilité de les pourvoir. Plusieurs autres obus tombent sur le pont, dans la mâture et le long du bord, blessant d’autres hommes. Un autre frappe l’avant bâbord, faisant une brèche à la flottaison. Ayant plus de la moitié de mon équipage hors de combat, étant moi-même sérieusement blessé à la cuisse gauche et étant couvert de brûlures, le feu de mes pièces étant de plus en plus éteint, décidé, après avis des principaux survivants, d’abandonner le navire dont l’arrière brûlait et que l’eau commençait à envahir. Il était 08h45 du matin. Mis à l’eau la baleinière de bâbord, celle de tribord étant indisponible, trouée par des éclats. Descendu les blessés en premier et quitté le navire avec vingt hommes. Les papiers du bord ont disparu dans l’incendie. Nous nous sommes écartés du bord. Le feu de l’ennemi, resté à distance respectable, cessa vers 10h00, quand le navire eût sombré. Le sous-marin s’approcha alors, mais changea brusquement sa route pour se diriger vers un vapeur dont on apercevait la fumée à l’horizon. »
Ce navire était le vapeur anglais SNOWDONIAN, 3870 tx. Il fut bientôt attaqué, car son appel de détresse fut reçu par le vapeur américain SANTA CECILIA, capitaine Forward, de la compagnie Nafra Line, de New York, qui faisait route vers Gênes. Un peu plus tard, il fut coulé à la position 33°44 N 22°22 W. A 13h00, le SANTA CECILIA recueillit les rescapés du MADELEINE II, et les premiers soins, sommaires car le vapeur n’avait pas de médecin, furent donnés aux blessés. Le 4 Août, ils furent transférés sur le chalutier MARACHI qui les débarqua le 7 Août à Casablanca. Le 30 Septembre 1917, le capitaine Lévèque et ses hommes furent cités à l’ordre du jour de l’armée. Le 14 Octobre 1917, un témoignage officiel de satisfaction fut accordé au navire et à son équipage.
Voici la liste des onze marins tués au cours du combat :
CARFANTON Lieutenant, DELEPINE Emile Second maitre, CHAUTEL Michel Charpentier
GERMAIN Joseph Mécanicien, BRIOT Jean Matelot, DARON Louis Matelot
FRELAUT Georges Matelot, MEHOUAS Joseph Matelot, MORVAN Yves Matelot
GUERIN Armand Mousse, ERRECALDE Victor Télégraphiste
Le sous-marin attaquant : C’était le grand sous-marin U 155 commandé du 19.02.1917 au 05.09.1917 par le Kapitänleutnant Karl MEUSEL avec à son bord 73 hommes d'équpage.
Il se rendit aux alliés le 20 novembre 1918 et fut exhibé sur la Tamise à Londres. Pendant le conflit, l'U 155 a coulé 43 navires pour un total de 120.441 t.
LE PORT Pierre Marie : 16/10/1886 - 19/09/1917
Pierre Marie LE PORT est né le 16/10/1886 en Arradon. Son extrait de naissance nous apprend qu'il nait de père inconnu et que sa mère est cultivatrice à Arradon.
Sa fiche d'inscrit maritime nous livre les débuts de son activité professionnelle à l'âge de 17 ans comme novice sur le canot l'Amiral Duperré à Séné en 1903 puis sur la Triomphante jusqu'en 1906 pour ensuite devenir sur ce bateau matelot. Cet Arradonnais fait la connaissance d'une Sinagote, Marie Céline DANET qu'il épouse le 4 avril 1910 comme l'indique la mention marginale de leur acte de naissance respectif et leur acte de mariage à Séné..
Pierre Marie LE PORT en uniforme de matelot
Photo collection L. Gerphagnon
Le jeune couple s'installe à Séné et on les retrouve au dénombrement de 1911. Comme de nombreuses familles, ils sont pêcheurs.
Marie Celina DANET, épouse LE PORT avec ses 2 filles
photo collection L.Gerphagnon
La fiche de matricule comme la fiche "Mémoire des Hommes" nous indiquent simplement que Pierre Marie LE PORT à l'âge de 31 ans est marin sur le quatre-mats "Blanche" comme quartier maître canonnier. Le bateau de commerce participe à l'effort de guerre en allant chercher des matières premières. Le voici en second plan amarré sur le port de La Pallice près de La Rochelle.
Le 4 mâts "Blanche" a été lancé au Havre le 29 novembre 1898. Il est spécialisé dans l’importation de nickel de Nouvelle-Calédonie. En 1912, il a été repris par l’armement Bordes qui lui donnait le nom de BLANCHE (3e du nom) en l'honneur de la fille de l’armateur A.D. Bordes. Longueur : 95,20 m, largeur : 13,80 m, 3 500 m² de voilure.
Le 12 septembre 1917, le navire quitte le port de La Pallice près de la Rochelle en convoi.
Le 19, à 300 miles des côtes, il est attaqué par un sous-marin allemand et après 2h30 de combat et malgré 180 coups de canon, il reçoit une torpille qui partage le bateau en deux qui coule immédiatement. On dénombre 15 rescapés qui ont pu atteindre une baleinière de sauvetage mais on dénombre 18 disparus engloutis avec la 4 mâts, dont Pierre-Marie LE PORT.
Le site internet sérieux qui répertorie les sous-marins allemands et les bateaux coulés nous livre une information importante. Le dernier trajet de la Blanche consistait à relier La Pallice à Iquique. Wikipedia nous relève que Iquique est un port du Chili spécialisé à l'époque dans l'exportaiton des nitrates naturels ou "salitres".