Dans son ouvrage intitulé "Au Pays des Sinagots" , Jean RICHARD consacre un chapître au "braconnage". Il est vrai que les Sinagots se sont faits au cours des décennies une réputation de fraudeurs dans la pêche en tout genre, le dragage illégal des huitres et comme nous l'indique cet article, dans la pêche non autorisée à la palourde.
Cet article de l'Ouest Républicain daté du 1er mars 1931, nous relate, non sans humour, un vol de palourdes commis par des "gens de Cadouarn et de Séné". La lecture de cet article et d'autres coupures de presse permet de retracer les péripéties de ce vol de mollusques.
M. Victor NORMAND, résident à Vannes au 6 rue du Pot d'Etain, détient des droits sur un parc à huîtres autour de l'île de Bailleron, commune de Saint-Armel. Pour surveiller ses lots n°31-58 et 36-67, il emploie un garde maritime, Joachim HERVIS, habilité à porter un fusil et un ouvrier COQUART. M. Normand déclarera lors du procès qu'il avait des soupçons que son parc à huître était visité par des maraudeurs depuis l'afflux de palourdes à vil prix à la Poissonnerie de Vannes et parce que certains Sinagots se vantaient d'avoir gagner de coquettes sommes à la suite de ces vols.
Le 18 février 1931, Jean Marie Célestin ALLAIN, 64 ans, ancien controlleur des PTT, demeurant au 58 Rue de Séné à Vannes (actuelle rue Monseigneur Tréhiou), se rend sur l'île de Bailleron et est surpris par le garde et son patron avec des palourdes.
Non content de se faire débusquer, le sieur ALLAIN revient le lendemain avec un groupe de Sinagots. Le procès qui s'en suivit relèvera une succession de vols. Le 19 février 1931, 18 pêcheurs seront reconnus pour avoir volé des palourdes; le 20 février, se sont 38 personnes qui auront à répondre du même délit; le 21 février, on en comptera 43. Ils reviendront également les 14 et 15 mars 1931.
Le procès, hors norme, eut lieu au Tribunal Correctionnel de Vannes le mercredi 29 mars 1932.
L'audience était présidée par M. Denise, assisté de M. Billaud, juge au siège et M. Devèze du barreau de Vannes. M. Le substitut Reliquet soutenait l'accusation. Maître Belanfant assurait la défense du principal inculpé M. ALLAIN. Maître Legrand défendait en bloc la trentaine de Sinagots poursuivis.
Les pouvoirs public avaient demandé à M. André, Inspecteur du Contrôle des Etablissements de Pêche de vérifier la présence de palourdes sur les dites concessions. Me Legrand fit rire l'assistance quand il demanda "si les palourdes pouvaient s'évader de leur parc". Mme Veuve Doriol, marchande de coquillages aux Halles de Vannes confirma avoir acheté à des Sinagots des palourdes sans se soucier de leur provenance. Pour se défendre d'avoir pénétré dans les concessions de M. Normand, les "voleurs" argumenteront que les dites concessions étaient mal délimitées par des balises que la tempête avait enlevées et qu'ils étaient sur le domaine public.
Parmi les auteurs de l'infraction, une dénommée Julia LE FRANC [ 20/2/1903 9/7/1935] se fit remarquée. Le journaliste indique qu'elle était habituée de la correctionnelle, on dirait aujourd'hui "bien connue des services de police", comme l'indique cet article de presse datée d'octobre 1932. Julia LE FRANC injuria MM Normand et Hervis et leur montra ses fesses! Julia LE FRANC s'illustra plus positivement en tant que mère. Elle accoucha par 2 fois de faux-jumeaux. Son marie fit construire un sinagot "Le Trois Frères" et le baptisa en 1943 en l'honneur de ces 3 garçons. En circonstance atténuante, la jeunesse de Julia fut endeuillée par la noyade de son jeune frère et de sa soeur ainée en 1915.
Un autre journaliste décrit l'énergumène lors du procès : La déposition de Julia LE FRANC rompt la monotonie des débats : Torrès [Maurice Torrès, chef du PCF] est un torrent, Julia est une cataracte. Elle est communiste bien entendu, la côte doit être à tout le monde, et sans mesure, elle fait le procès des parqueurs qui veulent la mort du pauvre pêcheur."
Le réquisitoire fut sévère à l'encontre de M. ALLAIN, accusé d'être le chef de l'expédition. La préméditation fut démontrée car le balisage des concessions aurait été enlevé.
Le Tribunal condamna M. ALLAIN à 150 fr d'amende; Mme Julia LE FRANC, 29 ans, pêcheuse à Séné, à 50 fr; Marie Louise DANET, 33 ans, pêcheuse à Moustérian à 30 fr, toutes deux en état de récidive.
Dans la liste des condammés à 20 fr d'amende avec sursis, on note la présence de 11 jeunes filles, de 2 veuves, de 9 femmes, d'1 jeune homme, et de seulement 6 hommes dont 2 retraités. Les vols étant commis aux heures de travail des hommes.
Hommes : Julien DANET, 71 ans marin pecheur en retraite à Moustérian, Patern LE FRANC, 36 ans de Moustérian, Pierre LE DORRIDOR, 63 ans marin pêcheur en retraite et Mathurin NOBLANC, 53 ans, marin pecheur. Raymond NOBLANC, 26 ans de Cadouarn; Ernest LE FRANC, 27 ans Cadouarn.
Jeune homme : Ange RIO, 17 ans de Cadouarn.
Jeunes filles : Désirée PIERRE, 16 ans de Cadouarn; Marie Odette LE DORIOL, 18 ans de Cadouarn, Véronique RIO, 17 ans de Cadouarn, Félicie DANET, 19 ans de Cadouarn, Marie Josèphe MARTIN, 20 ans de Cadouanr, Anastasie LE FRANC, 20 ans de Cadouarn, Marie Louise BARO, 16 ans de Cadouarn, Léonie MOREL, 22 ans de Cadouarn, Hélène LE ROUX, 20 ans de Cadouarn, Philomène BARRO, 29 ans, Marie Louise BARO, 30 ans Cadaourn.
Veuves de pêcheurs : Marie HAZIL, veuve QUINTIN, 32 ans de Cadouarn; Julienne HAZIL veuve PIERRE 37 ans de Cadaourn
Femmes de pêcheurs : Armandine JOUANGUY, femme Noblanc, 30 ans, de Cadouarn, Clémentine HAZIL femme Gregam, 41 ans, Marie Zelie LE MAY femme Le Ridan 48 ans; Marie CLERO femme Morel, 48 ans Cadouarn; Anne Désirée Marie LE MAY femme Richard; Anne Marie MARTIN 66 ans; Léonie Marie Désirée MALRY; Raymonde MOREL de Cadaourn Aglaée BOCHE femme LE QUINTREC.
Les plaignants firent appel de cette décision et un nouveau procès eu lieu le 7 juin 1932 à Rennes.
Le procès en appel à Rennes pour les Sinagotes !
Une première audience eut lieu le 7 juin 1932 mais le procès en appel fut renvoyé au 28 juin. M Normand fit valoir les témoignange de son garde M. Hervis et sa femme ainsi que de son employé M. Coqaurt. L'inspecteur André renouvella son témoignage et le gendarme Carré et le maréchal des Logis Chambiley confirmèrent leur écrits. L'affaire fut mise en délibéré....
Quinze jours plus tard, la Cour d'Appel de Rennes acquittait l'ensemble des prévenus en estimant que les faits n'étaient pas suffisamment établis". L'avocat de la défense argumenta que la concession de M. Normand était une concession pour l'ostréiculture et en aucun cas une concession pour l'élevage de palourdes !
L'histoire ne dit pas à partir de quand les Aurotités décidèrent de la création d'une zone réglementée pour la pêche à la palourde.