LES MOULINS SINAGOTS
LE PAYS SINAGOT! ...Essayons, dans ce chapitre, de faire revivre un metier qui a disparu, non seulement de Séné, mais de presque tout le Pays Vannetais : LE MEUNIER ...
On trouvait, il y a quelques dizaines d'années, des moulins à farine dans toute la région: moulins à marée de Bomper (BADEN ), du BONO, ... Moulins sur ruisseaux et étangs (GRANDCHAMP ), sur LE SAL en PLOUGOUMELEN, ... moulins à vent de la PRESQU'ILE de RHUYS et à L'ILE D'ARZ ( deux moulins). Séné possédait au début du siècle deux moulins, le MOULIN de CADOUARN, moulin à vent et le MOULIN de CANTIZAC, moulin à marée avec ruisseau et étang.
Voici ce que nous avons pu recueillir sur ces deux moulins...
LE MOULIN de CADOUARN
De ce moulin, toute trace a disparu, mais dans les mémoires des Anciens de Séné, sont restés gravés quelques vieux souvenirs, datant des années 1890-1900.
Le moulin de Cadouarn devait avoir fière allure sur la butte, près du calvaire (encore existant) . Il eut comme meunier Mr. GAREC. Celui¬ci débuta au Moulin de Kernoël, à l'Ile d'Arz. Il eut comme première femme une Ildaraise. A la mort de celle-ci, il abandonna le Moulin de Kernoël, qui dès lors cessa de tourner. C'est à Cadouarn qu'il contracta un second mariage avec Joséphine Cadéro, tante de la famille Cadéro actuelle. Il eut huit garçons. Il aimajt montrer la machinerie du moulin aux enfants du village, et leur recommandait bien de ne pas
trop s'approcher des ailes qui tournaient, sinon gare à la "môjad" (giffle). On raconte même qu'un cheval, lui, un peu trop curieux, ne résista pas à cette "môjad" et qu'il en perdit la vie !
Pendant de nombreuses années, le moulin travailla. Les familles de Cadouarn et des environs avaient des lopins de terre, dans lesquels quelques sillons étaient réservés à la culture du blé. C'est dans les aires à battre des fermes, utilisant le fléau, que l'on séparait le grain de la paille. Celle-ci était soigneusement ramassée pour servir soit de rembourrage dans les paillasses des lits, soit de couchettes à bord des bateaux sinagots: Beaucoup se souviennent de la raideur et de l'odeur de cette paille ! Le grain était amené au moulin. Il en sortait une délicieuse farine que l'on amenait, par famille, chez le boulanger. Celui-ci fabriquait de gros pains ronds de 12 livres, que l'on avait peine à tenir dans les bras ... mais que les gamins aimaient faire rouler sur la table. D'ailleurs, au bout de huit jours, ce pain avait gardé la fraîcheur de sa cuisson ... et la bonne odeur du vrai pain.
Aux jours de noces, les repas se faisaient dans les prés et les cuisiniers et cuisinières, en tabliers blancs, venaient au moulin attendre les mariés, en portant un plat de viande, du pain et du cidre. L'on dansait alors deux ou trois ridées autour du moulin, qui s'arrêtait de tourner un moment...
Mais les affaires du moulin périclitaient avec l'arrivée des grandes minoteries du "continent", et l'abandon de la culture familiale du blé. Un beau jour, ses ailes s'arrêtèrent ... et notre meunier GAREC s'en alla travailler comme ouvrier agricole à Kressignan.
Dès lors, le moulin se dégrada bien vite, et bientôt servit de terrain de jeu aux gamins du village ... jeu de cache-cache, ... courses sur le pourtour des murs, ... pierres descellées. Et bientôt, vers 1920, démolition pure et simple de ce bon serviteur qui a laissé son nom au village et à sa rue : LE MOULIN de CADOUARN.
LE MOULIN DE CANTIZAC
Voici ce que nous avons pu recueillir sur le' MOULIN de CANTIZAC grâce à la solide mémoire du fils même du dernier meunier de Cantizac: M. l'abbé Louis GACHET, Sinagot authentique, ancien recteur de Locquénin-Plouhinec.:
"Avant que le souvenir même du Moulin de Cantizac ne meure complètement, voici quelques renseignements. Les anciens Sinagots ont connu deux moulins, qui, tous les deux, étaient des moulins à eau de mer, donc à marée.
Le premier moulin a disparu vers 1890-95 ? C'était un moulin à aubes comme on en voit encore un peu partout en Bretagne. Depuis quand existait¬il? Depuis assez longtemps probablement.
Mais les moins anciens Sinagots n'ont connu que la petite minoterie construite vers 1890-95 (?) et qui a tourné pendant une quinzaine d'années pour s'arrêter en 1907, et c'est dire que l'auteur de ces notes, bien que très intéressé, n'avait au plus que 7 ans quand le moulin était encore en activité.
De cette minoterie il ne reste que la maisonnette égarée actuellement sur le terre-plein de Cantizac. Cette maisonnette, petite partie du moulin, était réservée à un appareil moteur à vapeur et donc aussi à une chaufferie, alimentée au charbon, qui faisait tourner le moulin aux jours ou aux heures où l'eau de l'étang (eau de mer et aussi eau douce en hiver) , ne suffisait pas.
C'était à gauche de cette bâtisse que le moulin proprement dit s'élevait dans les limites restraintes que délimitent les murs encore existants. Il était à un étage peut-être (??) , peut-être deux plus probablement, le premier étage contenait surtout les cylindres (3), et aussi nécessairement les élévateurs qui, dans toute minoterie, se dressent et y fonctionnent de haut en bas et de bas en haut.
Au deuxième étage, ou bien au grenier, il y avait les bluteries (plansischter) qui servent au tamissage (ou blutage) des différentes moutures et séparent les farines et le son, jusqu'à ce que ayant monté et descendu - remonté et redescendu, tout ne tombe dans les chambres à farine pour attendre, ou dans des sacs prêts à être enlevés.
Le moulin avait son pignon EST, côté Séné, une lucarne d'où s'échappaient après un dépôt (de grains cassés - ou de sable grosses saletés ), les poussières que, à tout le moins, on trouvait alors après le vannage ou le battage dans tous les froments du pays.
Pendant que le moulin "tournait", l'éclairage électrique y était assuré - de même d'ailleurs qu'à la maison d'habitation du meunier assez proche. (Une merveille qu'un pareil éclairage en ce temps-là ! ! ! ).
Il y avait deux étangs. Le grand était délimité au SUD par une digue assez étroite, qui servait de route vicinale Vannes-Séné, bordée de chaque côté par un muret (côté Séné) ; elle l'était vers Vannes que d'un seul côté (côté Rosvellec) ... Il y avait une autre digue plus étroite encore, simple passage ou presque pour une voiture, qui allait à la maison du meunier. Cet étang s'étendait depuis le moulin jusqu'à la route de Vannes-Kéravello¬Montsarrac, et occupait donc toute la prairie du camping actuel ... Un deuxième étang indépendant du grand, était tout petit, par une petite canalisation. D'ailleurs, il est les étangs et les digues, ce n'est qu'après la du terre-plein en a changé l'aspect." ....
L'abbé GACHET qui nous donne en vrac ces renseignements se souvient d'un premier incendie sans trop de gravité qui prit naissance dans la "chambre des poussières", matière très inflammable quoi qu'on en pense, et qui dut être causé par l'approche d'une bougie ou par une étincelle électrique
Le moulin disparut dans un deuxième incendie qui bbrûla tout, quelque 10 ou 15 ans après son arrêt, par la faute très probable d'un "clochard" qui dut y chercher un soir un gîte pour la nuit. Mais il était presque vide de tout appareil, cylindres ou plansischter (bluterie), depuis quelques années. Les murs, devenus danger public furent abattus peu longtemps après?
Mais mieux que tout cela, l'abbé GACHET se rappelle certains "à-côtés" de Cantizac :
Les pêches "miraculeuses" de l'été quand on vidait l'étang, et une belle cotriate de mulets surpris par un hiver précoce et gelés (déjà!) sous la glace, pour s'être introduits dans lepetit étang par la petite canalisation dont l'ouverture doit se voir encore face à Rosvellec, à quelques 15 mètres du moulin.
Ét aussi sa chute encore dans le petit étang avec pour résultat une mauvaise fracture de la jambe. Plusieurs mois d'immobilisation et maintes visites douloureuses du "rebouteux" de la gare de Ste-Anne ... Cette chute eut lieu le jour des "Inventaires" à l'église de Séné, et en l'absence des parents au bourg évidemment. Ce fut Mme TREHUIDIC "Jeanne-Louise, gardienne de la maison, qui entendit les cris, pleurs et appels du gamin de 6 ans, et le "rapporta" au lit .... Le même gamin (le narrateur) faillit d'ailleurs avoir un accident plus grave vers la même époque, mais ... ceci n'intéresse que sa propre personne ... le Bon Dieu existe pour les enfants trop curieux !
Conclusion de Mr. l'abbé GACHET : "Le seul avantage de ce bavardage sera de noter sur papier - pour plus tard - ce que tous les anciens de 75 -80 ans et plus, savent, et certains d'entre eux, mieux que le narrateur, qui, bien qu'assez curieux pour son âge (7 ans en 1907), ne pouvait moins bien voir que d'autres curieux qui pouvaient avoir alors 15 ou 20 ans. A eux d'essayer de rectifier." Abbé Louis GACHET
Et pour finir, quelques idées sur nos moulins à marées ou à vent ... Quelques idées sur la réputation des meuniers:
Si le moulin à vent fut introduit en Bretagne au temps des Croisades, le moulin à eau nous vient du temps de l'occupation romaine. En général, ils étaient pourvus de deux paires de meules, l'une en pierre de Rouen, l'autre en pierre de Champagne la première, dure et poreuse, servait surtout pour l'orge, le seigle et l'avoine ; la seconde, plus douce, était réservée au froment et au sarrasin. Le prix de la mouture, ou plutôt ce que le meunier prélevait en nature sur chaque boisseau pour son salaire, variait du 12% au 16% du poids du grain, mais ne pouvait atteindre le 1/4 .....
Pauvrement équipé sur le plan technique, le moulin de campagne n'était pas toujours muni d'un blutoir la farine est livrée mélangée au son, il faudra, à la fermière, la passer au tamis avant de s' enservir pour la confection du pain ou des crêpes .... Beaucoup de moulins ont un commis ou "portéour" qui, avec sa charette, s'en va chercher dans les villages le grain à moudre, puis ramêhe la farine quelques jours plus tard ... Le prélèvement du meunier est trop souvent abusif aux yeux du paysan qui le taxe de friponnerie. Ses légendes et ses chansons populaires ne le ménagent guère :
Er melinéer, laér, laér, Pochad bled étal é rèr" - Le meunier, voleur, voleur, Sac de farine...au bas du dos".
A côté du paysan pauvre, le meunier jouit d'une certaine aisance: il engraisse beaucoup de cochons et élève de nombreux canards sur son étang. Les jous de pardon, parmi les "kramaillons" noirs, sa veste bleue bordée de velours attire les regards des jeunes filles.
Alexandre BOUET qui écrivait au temps de Louis-Philippe, note ceci sur les meuniers "Outre leur probité douteuse, pour ne pas dire leur mauvaise foi, leur ignoble ivrognerie paraît choquante. Pour achever leur réputation; ils affichaient des moeurs relâchées ... Une jeune femme redoute plus la rencontre d'un garçon meunier que celle d'un grenadier ! ... Aussi, pour venger la morale publique, le curé n'hésite pas à apostropher le meinier du haut de la chaire ! Ce dernier s'y fait et n'en rougit même plus !"
Il se rend si bien compte de l'état fâcheux de sa conscience qu'il ne vient faire ses Pâques qu'en rechignant. Un peu comme chez le Curé de Cucugnan, le dernier jour de la semaine du temps pascal est pour lui tout seul ; on l'appelle "dé er melinerion" (le jour des meuniers) . Assis modestement au bout du banc (penn ar bank) , il attend son tour de confession et dieu sait comment il s'en tire ! ...
Aller à confesse au Pays de Vannes, c'est "aller au moulin moudre son grain ("monet de valein er gran") . Aller voir son confesseur, c'est aller voir son meunier .... Le confesseur, comme le meunier, ne porte¬t-il pas aussi le sac, le sac des péchés de ses pénitents ?.... Un ancien recteur des environs d' Hennebont reçoit un jour une vieille femme qui parle
en breton:
-Me garehé kovésat, Aotrou Person.
-Ia, mès, più é hou melinée?
-Me melinér?
- Ia, hou melinér !
-Jozobn ag er melin Rouz...
-Pas, più é hou kovésour?
-O men Doué! biskoah kementral!
Je voudrais me confesser, M. Le recteur?
-Oui, mais, quel est votre meunier ?
-Mon meuniers ?
-Oui, votre meunier !
-Jozon, de « Melin Rouz ».
-Mais non ! votre confesseur ordinaire !
-Jozon, de Melin Rouz
-Mais non ! votre confessseur ordinaire !
-Omon Dieu ! Jamais autant !
Et pour finir notre "prospection" sur les moulins sinagots, voici, en hommage déférent aux "melinerion" du Moulin Gachet de Cantizac et du moulin Garec de Cadouarn, les chansons de Botrel [Théodore Botrel (1868-1925)], Les conseils du Vieux Moulin et Job er Glean [alias, l'abbé Joseph-Marie Le Bayon (1876-1935)], Er Meliner.
I Le vieux moulin de grand-père,
Assis au bas du coteau,
Chante la journée entière.
Couché tard et levé tôt :
Or, à force de l'entendre, "Tic, tac"
J'ai fini par le comprendre, "Tic, tac"
Travaillez avec entrain
Le soir est près du matin'
"Tac. tic, tac. tic. tac. tic, tac"
Voilà quel est le refrain
Du vieux moulin !
II Il moud le blé qu'on lui donne
Dès le matin du lundi,
Mais ne moud plus pour personne
Dès 1e soir du samedi :
"Quand on la moud le dimanche, Tic, tac!
La far.ine est bien moins blanche! Tic, tac!
Reposez-vous en chemin :
Vous marcherez mieux demain!
"Tac, tic, tac, tic , tac , tic , tac !"
Voilà quel est le refrain
Du vieux moulin !
III Pour le riche et l'humble hère .
Il a toujours travaillé :
Le richard ne payait guère...
Le gueux n'a jamais payé :
"Quand j'aurai rogné ta miche, Tic, tac!
En serai-je bien plus riche? Tic, tac!
Donnez à votre prochain
La moitié de votre pain !
Tac,tic,tac,tic,tac,tic,tac ! "
Voilà quel est le refrain
Du vieux moulin !
IV Il écoute les commères
Du lavoir de son étang
Dont les langues de vipères
Ne font pas trève un instant :
"Lave donc ma pauvre fille,
Tic, tac,
Ton linge sale en famille!...
Tic, tac,
Et passe au bleu tout le tien
Avant celui du voisin!
Tac, tic, tac, tic, tac, tic,
Voilà quel est le refrain
Du vieux moulin
( En ralentissant peu à peu)
V Le vieux moulin, que Dieu garde,
A moulu plus de cent ans ...
Mais voilà qu'il se lézarde
Et tremblote à tous les vents
"Que m'importe la ternpête!
Tic, tac!
Je puis crouler sans chagrin,
Car j'ai molu tout mon grain!
Tac...tic...tac...tic..."
Tel fut le dernier refrain
Du vieux moulin!
LES MOULINS SINAGOTS