I. ASPECT GEOGRAPHIQUE : SENE ECARTELE
Au fond du Golfe du Morbihan, voici Séné, ou plutôt le PAYS SINAGOT. Vannes n'est pas bien loin, à peine 4 kms du bourg. L'histoire de Séné est celle d'une lutte qui devint amitié et s'achève à présent en lassitude ; une rencontre entre la terre et l'eau dont le pêcheur sinagot fut le fruit.
Déjà depuis plusieurs millénaires l'homme s'est interessé à ce coin de terre ; les traces de son implantation en font foi ; mais il s'y est fixé.pour y entendre l'appel de la mer comme à un renoncement de son sol. Ailleurs, l'homme fils de la terre, s'est lancé à la conquête des eaux. Et si le pêcheur breton estime la mer, c'est en vieil adversaire implacable.
A Séné, les deux lutteurs se sont vite pris d'amitié. La Nature le veut ainsi ; car l'Océan ici, c'est le Golfe, et le Golfe, c'est l'Océan se faisant terre ; surgissement de dizaines de petites îles comme un fruit de la mer elle-même.
Intime compénétration ; la terre à son tour se veut mer, et le Pays Sinagot s'achève en Boëde et Boëdic que les eaux, à mi-temps, environnent, échange de l'amitié, don éternellement restitué, au rythme même des marées.
L'alliance est dans le sang mêlé ; les eaux pénètrent profondément à l'intérieur des terres ; les rivières de Vannes et de Noyalo sont l'étreinte de la mer. Où commence la terre? Où finissent les eaux? Nul ne saurait le dire. La vie bouscule les barrières, la côte joue avec les eaux, et avec l'aide de l'homme, la terre reprend parfois quelques hectares, non comme un droit, ni même comme une nécessité, Mais comme une réponse à un amical défi ; sans insister d'ailleurs lorsque la mer franchit l'obstacle avec un sourire.
Pourtant ce jeu de l'amitié a souvent été rude. Le Sinagot a mené son destin à celui du Golfe ; mais le drame éclate parfois lorsque sous l'impulsion du vent, la mer perd son contrôle. Ses terribles accès sont alors redoutés. Le coup de vent de Noël est pour le marin du XVIIIème siècle, l'épreuve de l'amitié. Ses compagnons sont morts en mer, mais il n'en accuse pas sa vieille amie ; l'ennemi, c'est le mauvais temps qui rend les eaux malades ; c'est le ciel jalloux, jalloux de cette alliance entre la terre et l'eau. Et c'est le ciel que le marin implore.
Mais la crise passée, l'homme de la terre se retrouve l'homme des eaux...
Il en a été longtemps ainsi. Le Sinagot a labouré le Golfe. A Séné, on était marin, même si parfois l'on cultivait la terre. Mais pour beaucoup, la tentation fut forte ; face à l'insécurité de la mer, la terre inspirait confiance.
Et un beau jour de nombreux hommes se réveillèrent surpris; la mer leur paraissait étrangère, ils sont devenus paysans.
Ce fut une nouvelle étape. Le coeur de Séné était divisé. La terre lui offrait ses légumes et la mer son poisson. Tant bien que mal, on prit son parti de l'existence de ces deux Séné. Une cohabitation pacifique s'établit entre la ligne des villages côtiers : Bellevue, Langle, Cadouarn, Moustérian...et les fermes de l'intérieur que le bourg regroupait tant bien que mal. La fusion ne fut jamais complète et maintenant encore le Paysan Sinagot, bien que profondément attaché à son sol et à ses traditions, est un frère étranger.
Un troisième appel est dernièrement venu remettre en question cet équilibre de compromis : Vannes, la puissante voisine, qui jusque là avait gardé ses distances, fait maintenant entendre sa voix, et, comme pour être sûre d'être mieux entendue, elle vient à la rencontre de Séné. Lentement une nouvelle fusion s'amorce. La mer, jadis, s'était mêlée au sol sinagot ; la ville maintenant s'y essaie à son tour. Nouvelle étreinte, mais qui n'est plus celle de l'amitié. Séné commence à étouffer, la respiration se fait courte ; déjà, de Vannes, on envisage des réalisations communes. L'usine Michelin touche au nord du territoire sinagot, les faubourgs de Vannes gagnent sur la commune. La ville est là, et ce qu'elle représente de notre monde moderne, bousculant la tradition.
Forces contradictoires d'un Séné, qu'un petit bourg actif essaie de maintenir dans l'unité. Mutation entreprise dont on ignore le terme.
La terre et l'océan, l'agriculture et la pêche, face aux poussées des villes porteuses de nouvelles valeurs, cet affrontement tourne parfois en Bretagne à la tragédie.
Séné n'a pas attendu le XIX° siècle pour prendre place dans l'histoire des hommes. L'homme se manifeste dans ce coin du Morbihan avant même la période historique. De multiples signes permettent de l'affirmer ; puis en sautillant comme par jeu, Séné avance dans l'histoire. Nous relevons les traces de ces bons : menhirs, dolmens, vestiges de voies romaines, restes d'augets et de poteries, bulle du pape, supplique des marins, saint non canonisé, prêtre réfractaire, refus de livrer des otages au Directoire... Bilan luxueux pour le chercheur ; mais aussi que d'incertitudes entre deux bonds.
C'est une histoire en pointillés. Les grandes lignes d'une silhouette se dégagent, mais pas encore l'expression d'un visage.