Dans leur ouvrage respectif, Camille ROLLANDO et Emile MORIN évoquent une tradition de grandes noces dans notre commune de Séné et en donne quelques exemples. Plusieurs ouvrages présentent les caractéristiques des noces bretonnes au cours du XIX° et XX° siècles, dont certaines réunissent plusieurs centaines de convives. Médiathèque de Vannes.
En parcourant les registres de l'état civil à Séné au gré de ses recherches, l'historien amateur tombe sur des actes de mariages doubles, où un frère et une soeur, deux frères ou deux soeurs se marient le même jour. De 1860 à 1930, presque chaque année, on répertorie un, deux ou trois noces doubles par an, quand, cette même année compte de 15 à 30 noces célébrées. Au total, 150 mariages doubles entre 1860 et 1950. Les doubles noces ne sont donc pas anecdotiques mais régulières sur cette période. En mariant deux de leurs enfants le même jour, les parents économisaient certainement dans les frais et réunissaient à cette occasion un plus grand nombre de convives. Ces mariages multiples au sein d'une même fratrie sont sans doute une des origines à ces grandes noces bretonnes à Séné, l'autre origine étant la fortune et le rang des familles des mariés, comme nous l'évoquerons en deuxième partie de cet article.
Jean FRELAUT [1879-1954], peintre natif de Vannes mais qui peignit plusieurs scènes de la vie sinagotes (Courses de Cano, Régates de Conleau, Maison de pêcheurs à Langle) fut également inspiré par les noces bretonnes. Ce tableau de 1908 montre l'organisation des grandes noces dans un village autour de Vannes. Serait-ce à Séné ?
Les mariages doubles, à coup sûr de Grandes Noces !
Il faudrait avoir la patience monacale pour passer en revue les actes de mariages antérieurs à 1860 car leur lecture est plus difficile. Les noces doubles ont sans doute existé de tout temps...Ainsi en 1825, les trois filles de Guillaume LE GALENNE & Anne Marie CALONNE se marient le 5 février à Séné. Marie Françoise, cabaretière, 26 ans, épouse Michel TREHONDARD, pêcheur à Montsarrac; Marie Julienne, 23 ans, pêcheuse à Montsarrac épouse Jean BENOIT, pêcheur à Montsarrac; Jeanne, 20 ans, pêcheuse à Montsarrac épouse Jacques NOBLANC, pêcheur à Moustérian.
D'autres mariages sont encore plus surprenants. Ainsi, le 6 octobre 1869, le maire de Séné unit le même jour deux LE FRANC et deux LANDAIS. On peut supposer que ces 3 mariages scellés en mairie le même jour aient donné lieu à un unique grand repas de noces avec de nombreux convives.
Le 10 juin 1873, un mariage croisé est célébré à Séné entre deux MORIO qui épousent deux MALRY. Un grand repas a dû suivre la cérémonie avec de nombreux convives...
Le 17 mai 1881, c'est au tour de la famille DANO de marier deux de leurs enfants avec deux enfants LE MENACH.
Le 4 novembre 1883, un mariage triple est célébré à Séné entre deux filles LA CROIX et deux enfants LE LAN.
Le 4 mai 1884 sont célébrés à Séné trois incroyables mariages entre trois enfants de la famille de pêcheurs LE BLOHIC de Langle qui épousent trois enfants de la famille de pêcheurs DANET de Langle également.
Au cours de la première moitié du XX° siècle, la tradition des mariages multiples ne disparait pas.
Vers 1900, comme nous le raconte Emile MORIN, deux préposés des douanes et un marin se marient le même jour à Séné.[passer à la paroisse pour voir les régistres]
La Première Guerre Mondiale : Alors que la guerre est déclarée en août, on compte 16 mariages en 1914; Il n'y en a plus que 5 en 1915, dont deux militaires; en 1916 on compte 9 mariages dont 5 militaires; En 1917, le maire Le Mouellic célèbrera 16 mariages dont 13 militaires mobilisés. Parmi eux trois sont "Morts pour la France":
GAREC Jean Marc Joseph [ 11/06/1895 – 18/10/1917], marié le 13 mars 1917 à Marie Augustine CORLAY.
CAMENEN Alexandre Louis Marie [13/08/1882 – 25/09/1918 ], marié le 13/03/1917 à Jeanne Marie GUYOT.
LE DIBOISE Marcel [22/11/1892 – 8/8/1918 ] marié le 30 juillet à Marie Honorine LE FRANC.
Comme un appel à la vie, de jeunes soldats reviennent sur Séné pour se marier. En 1918, il y aura 15 mariages dont 10 militaires mobilisés.
Ces deux cartes postales anciennes colorisées montrent que les nombreux convives s'asseyaient sur des échelles dressées horizontalement avec des pieux. Entre les rangs, à leur pieds, une simple planche servait à déposer son assiette. La table était réservée aux mariés et aux proches. Chacun des convives payait son écot, une participation aux frais de bouches, rendant ainsi possible la réunion de centaines de convives.
Cette video Pathé de 1908 montre le déroulé d'une noce en Bretagne, malheureusement sans le son.
Célébration d'un double mariage à Landévant le 15 octobre 1907 : Martin Marie Le Brech épouse Marie Désirée Kervadec et Martin Alfred Louis Jehanno s'unie avec Anne-Marie Le Brech. Le troisième couple qui apparaît lors de la présentation des cadeaux n'est pas encore marié. Tournage devant l'église paroissiale de Landévant et dans le champ "Bourne" où les tables ont été disposées bout à bout. A la fin du banquet les restes sont distribués aux pauvres. L'on danse ensuite autour du joueur de biniou.
L'année 1919 voit un retour à la vie et un rattrapage après quatre années de guerre. On comptera 30 mariages, dont un mariage double. Jeanne MORIO épouse Joseph BENOIT et sa soeur, Véronique Marie Louise MORIO épouse Louis Marie LE FRANC, le 17 juin. Pendant les années 20-30, la "tradition" des mariages multiples demeure mais leur fréquence est moindre..
Ainsi le 9 mars 1920, les deux filles LEROY épousent les deux garçons LE BLOHIC.
Le 21 septembre 1920, curieusement, 3 couples, sans lien de parenté, décident de se marier le même jour et si on en croit l'article de presse, ils se réunirent dans la ferme des Morio à Kerdavid pour leur repas de noces. Joseph LE FRANC [15/05/1897-16/09/1951], préposé des douanes, se marie avec Perrine LE ROY[17/8/1893-19/5/1986]. Jean Marie LE METOUR [24/9/1891-8/01/1952], boulanger épouse Marguerite SAVARY, boulangère à Cadouarn; Maurice CROLAS [24/12/1889-6/07/1973] cultivateur à Theix vient épouser à Séné Célestine Marie Louise SUZINEAU [8/9/1898 Kerhuileu-xx]. ces derniers sont les parents de Marcel CROLAS mort pour la France en 1944.
Le 27 juin 1922, un mariage double uni deux fils CHELET, agriculteurs au bourg à deux filles LE REBOURS, agriculteurs à Keravelo.
Le 24 avril 1923, un mariage double est enregistré en mairie de Vannes entre deux garçons NOBLANC de Sénéet deux filles BOTHEREL de Vannes. Louis Marie NOBLANC [16/4/1892-23/01/1960] épouse Félicité Paterne Marie BOTHEREL [10/05/1901- ] et Marcel Vincent Marie NOBLANC [3/10/1901-12/08/1954] se marie avec Marthe Marie Madeleine BOTHEREL [20/07/1899-11/07/1981].[Vérifier si la cérémonie religieuse a eu lieu à Séné]
Le 3 juillet 1923, les deux soeurs DANET du Meniech se marient. Reine Marie DANET épouse Ange Louis DANET pêcheur au Meniech et Marie Louise épouse Alexandre Jean Marie JACOB, pêcheur à Langle qui périra en mer en 1932 (lire article).
Le 20 août 1924, le secrétaire de mairie de Séné, M. GIRARD marie ses deux filles.
Le 28 septembre 1926 a lieu à Séné une double noce particulière. M. QUESTER Jean Marie, agriculteur à Dolan, marit son fils Vincent, fils de sa première femme et sa fille Jeanne Marie, fille de sa deuxième épouse, le même jour, à deux enfants de la famille HERVIO, agriculteurs à Kergrippe.
Le 14 juin 1927, Ange Marie LERAY, douanier au Havre, épouse Célestine Marie LE GUENNEC et sa soeur, Marie Emilie Ambrosine LERAY épouse Jean Marie LE GUILLANTON, marin.
Le 2 octobre 1928, la famille QUESTER, agriculteur à Dolan "récidive". Louise Marie Philomène QUESTER épouse le Maréchal des Logis, Georges LE ROCH et Julien François Marie QUESTER, gendarme à la Garde Républicaine, épouse Marie Germaine LE DRESSAY. La noce réunit 200 personnes par un temps speldide au milieu des bombardes.
Le 23 octobre 1934, un double mariage unit les MALRY de Canneau aux ROZO de Cadouarn : Joachim Marie MALRY épouse Marie Marguerite ROZO et Maria Josephine MALRY épouse Ernest Jean ROZO.
Le 2 mai 1936, deux ans plus tard, Mme Marie Josèphe Landais, veuve ROZO, marie son fil Barnabé à Suzanne LANDAIS et sa fille Berthe à Joachim MALRY
Plus fort encore !
Le 20 octobre 1936, Mme Jeanne Marie DREAN,veuve de Jean Marie LE VAILLANT, cultivatrice sur l'Île de Boët, originaires de Plumergat, marie ces quatre enfants, dont deux faux-jumeaux, le même jour !
Sur la barque en second plan, Jeanne Marie LE VAILLANT née Dréan, devant ramant, Germaine SUZINEAU,épouse de Joseph LE VAILLANT. de part et d'autres leur enfant Aline et Lucien.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le nombre de mariages est peu élevé. sans doute par mesure d'économie il ya encore quelques mariages doubles : MOREL en 1941, LE GAL en 1944. Après la Libération, les deux soeurs JACOB se marient en 1945. Ensuite, les mariages doubles se rarifient fortement. Les BERTHO et LE NORMAND en 1947, les QUESTER en 1948 et les MONFORT en 1952, les LE FRANC et SAVARY en 1954 puis les RAMBAUD en 1958 et les BOURSE en 1961. Les Trente Glorieuses laissent place au mariage "individuel" loin de la grande période des noces multiples, qui donnaient leiu souvent à de grands repas de noces champêtres.
Selon le souvenir de Mme Armelle@Monfort à l'état civil de Séné, le dernier mariage double célébré à Séné date de mai 1978.
Comment expliquer l'existence pendant de nombreuses années, de ces mariages multiples unissant plusieurs membres d'une fratrie?
Bernard RIO dans son livre intitulée "Les Noces en Bretagne" en donne un explication. Jusqu'aux années 1950, pendant de longues décennies, voire des siècles, Séné, comme un grand nombre de communes françaises est une société rurale, agricole. La particularité de Séné est avoir également une activité maritime. A des époques où les moyens de transports sont la marche en sabots, parfois des déplacements à cheval, le mariage reste une affaire de proximité. Le relatif enclavement de Séné où la majeure partie de la population est établie sur la Presqu'ïle de Langle a accentué ce phénomène. Les jeunes mariés "s'étaient rencontrés sur les bans de l'église, sur les chemins de l'écoles où ils avaient gardés les vaches ensembles". Pour Séné on peut ajouter que les jeunes gens avaient pêché ensemble la crevette sur la presqu'île. Plus tard, les nouveaux moyens de déplacements, le vélo et ensuite le bus puis la voiture permetront d'élargir l'aire géographique pour trouver son conjoint.
Cependant, pour Séné on peut nuancer cette règle. Notre commune a accueilli des paludiers de Guérande et de nombreux douaniers qui ont apporté "du sang neuf" et diminué l'endogamie caractéristique de sociétés rurales.
On se marie donc avec ses voisins qu'on connait et le plus souvent issus d'un milieu social proche. Ceci est encore plus vrai dans le cas des familles de laboureurs qui ajoutent au mariage une dimension patrimoniale forte.
Noces à Séné vers 1900, source bulletin paroissial
Pour le notables, un moyen de montrer son aisance :
Les grandes noces étaient aussi l'occasion pour les notables de Séné de montrer leur aisance matérielles. Laboureurs propriétaires, boulangers, font preuve de largesse le jour des noces de leurs enfants en invitant un grand nombre de convives, de la famille des mariés mais aussi des villageois.
Le mardi 15 février 1898, Jean Marie LE REBOURS, fils de l'ancien maire de Séné, agriculteur à Cariel, épouse Marie Louise Philomène BOCHE, fille des agriculteurs BOCHE établis à Kéravelo. Pour nourrir pas moins de 600 convives, on a tué deux boeufs et une génisse.
1903-époux Malry-Cadouarn
En 1912, deux noces réunissent chacune des centaines de convives comme le relate cet article de presse. Jean Marie ROBINO [30/07/1880- 15/06/1921], fils du boulanger épouse le 26 novembre 1912, Joséphine LE DIGABEL [4/03/1891-23/02/1971]. Théodore JACOB [7/01/1886- xx], capitaine de cabotage, épouse le 19/12/1912 Marie ALLANIOUX [19/01/1893-xx].
Mariage le 15/9/1919
Léon NOBLANC [8/2/1895-14/11/1985] et Henriette MADEC [25/8/1900-7/12/1967]
Source Camille Rollando
Dans l'entre deux guerre, les commerçants et boulangers Robino seront aux avant-postes pour organiser des repas de noces.
Le 4 janvier 1925 sont célébrées à Séné les noces de Louis LE DOUARIN [2/01/1899-3/5/1970] avec Marie Alexandre LE ROLLE de Beltz, âgée de 25 ans, et les noces d'or des grands-parents paternels du marié, Jean Marie MORIO et Jeanne Louise MALRY unis depuis le 10 juin 1873.
Cet article de presse de l'Ouest républicain rend compte de cette double noce. Un millier de personnes assiste à l'office religieux en l'église Saint-Patern. Le repas de noces a lieu à Cariel, sans doute sur les prairies attenantes à la boulangerie. Pour ces 2 noces on apportera 2 boeufs de 1300 Kg, 8 veaux et 12 barriques de cidre.
Le 7 septembre 1926, les commerçant ROBINO organisent un grand repas avec 300 convives pour le mariage de Louis ROBINO [16/9/1900-22/8/1929] et de la boulangère Eugénie QUESTER [27/2/1902-3/9/1979].
Les Grandes Noces les plus mémorables à Séné sont certainement le mariage le 2 février 1930 de Xavier Pierre Marie LE PENRU [3/12/1902- 22/11/1971] cultivateur à Ker Anna (le bourg) avec Lucienne BENOIT [16/02/1905-9/12/1990], la fille du boulanger de Cariel, car elle a fait l'objet d'un "reportage" photographique et de l'édition de cartes postales. Cet article de pressenous relate que près de 1200 convives particpèrent au repas de noces.
Emile MORIN nous donne dans son livre "Le Pays de Séné" quelques photos de cette grande noce à Séné. Le bulletin paroissial Le Sinagot lui consacra également un reportage. Certaines de ces photos se retrouvent aux Archives du Morbihan et au Musée de Bretagne en noir/blanc. On comprend qu'un photographe a réalisé ces photographie et ensuite des tirages de cartes postales.
Après le mariage à la mairie et la cérémonie réligieuse, l'ensemble des convives se retrouva du côté de Cariel, derrière la boulangerie. Des photographies immortalisèrent ce jour et certaines furent tirées en cartes postales.
Les 1100 invités du jour sont autour des tables en plein air. Il aura fallu abattre 6 bêtes (boeufs, veaux, cochons), mettre en perce 7 barriques de cidre et cuire près de 400 pains de 6 livres pour sustenter tout lemonde ! Une noce qui a marqué la vie et la mémoire de tous les participants de l'époque. (Emile Morin). Ci-dessous, les "cuisines" installées le long du mur de coltures au fond. On reconnait à droite la batisse au toit pentu.
La grande ridée était toujours très attendue pour se mettre en appétit avant le repas traditionnel en plain air au son du biniou. (Emile Morin)
Comme on l'avu ci-dessus, la tradition des noces bretonnes s'est perdue à Séné pendant les Trente Glorieuses. Depuis les années 1970, les mariages sont restreints à un couple de mariés. Le bulletin paroissial Le Sinagot rendait compte de temps en temps des mariages religieux à Séné, qui également avec le temps se sont raréfiés.
Dès les années 1970, on cultivait la nostalgie des ces grandes noces comme en témoigne le défilé d'enfants en costumes lors d'une kermesse.
Reverra-t-on un jour des Grandes Noces à Séné ?
EPILOGUE : comment localiser la noce Penru aujourd'hui?
Cette phographie aérienne prise en 1948, permet de situer la scène.
Les cuisines sont installées sur la champs en VERT derrière la rangée de maisons. La grande maison avec les 2 cheminées n'est autres que la boulangerie de Cariel.
Aujourd'hui la maison à gauche du poteau électrique a remplacé le petit batiment gris devant la maison du boulanger. On reconnait les 2 fenêtres du pignon et les 2 cheminées.
Le cortège de noces a traversé la prairie derrière le manoir du Ranquin. Sur la vieille photo, on voit à gauche une maison avec une grosse cheminée. Cette maison existe toujours en face la manoir du Ranquin, photo moderne. La cheminée est plaquée d'ardoises et une autre masion a été construite à gauche. La deuxième maison sur la vieille photo a été réunie au manoir du Ranquin qu'on devine à droite de la vieille photo. Sur cette priairie les convives ont dansé la ridée.
Le 15 février