Les géographes en prenant des cotes et en établissant la cartographie d'un lieu, opèrent aussi un travail de mémoire.
L'histoire du moulin de Cantizac à Séné peut être retracée par les cartes disponibles.
La carte de Cassini, qui date du XVIII°siècle, montre que la vasière naturelle au fond du Golfe du Morbihan est déjà exploitée pour sa force marémotrice.
Selon Camille Rollando, (Séné d'Hier et d'Aujourd'hui) le moulin de Cantizac appartenait à Nicolas FOUQUET [1615-1680]. Le roi Louis XIV le lui confisque en 1664. Après sa mort, son épouse Marie Madeleine de CASTILLE [1635-12/12/1716] reprend la possession de ses terres de Cantizac.(sources wiki-pedia).
[Lire également l'histoire du Manoir de Cantizac qui dresse la genealogie des propriétaires du lieux]
Il faut distinguer le propriétaire, qui sous l'Ancien Régime est le plus souvent un noble ou une confrérie religieuse, de l'exploitant, le meunier, qui fort de sa technique fait tourner le moulin et moud le grain.
Ainsi, vers 1676, Yves Cormier et sa femme Jaquette Morice sont meuniers à Cantizac (Source Rollando).
Mme de Castillan va se séparer du moulin et des biens qui l'entourent qui échoient à la famille LE MEZEC d'Auray qui vendent à leur tour les biens en 1714 à la congrégation des Dames de la Visitation de Vannes (source infobretagne.com) :
Des familles de meuniers se succèdent à Cantizac pour faire tourner le moulin, créant souvent des "dynasties" de meuniers.
Louis SIMON [1670-11/01/1731 Séné-Cantizac] meunier à Elven à la date de son mariage (15/7/1698) avec Marguerite SEVENO [9/4/1684 - ] vient s'établir à Saint-Avé où nait son fils aîné André [15/6/1704]. Puis, il vient faire tourner le moulin de Cantizac où nait sa fille Catherine en 1708.
Son aîné André meurt en 1730 à Séné et la famille marit la cadette Catherine SIMON, le 24/4/1731 à Claude MORICE [1/9/1706-12/10/1739], fils d'un meunier de Locmariaquer. De cette union naitront plusieurs enfants dont Guillaume MORICE. Au décès de leur père Claude en 1739, Mme Simon-MORICE épouse le 2/8/1740 François LE MAGREIX dont elle aura une fille Jeanne [3/8/1743-4/1/1790] puis à nouveau veuve, elle prend pour mari Jean GUYOT le 20/4/1744. A l'âge adulte, Guillaume MORICE reprend les reines du moulin.
Cet extrait de naissance daté du 10 novembre 1764 nous relate que la garçon meunier Joseph NICOL employé par la famille MAURICE ou MORICE à Cantizac va "réparer sa faute" et épouser Marie Louise MORICE (née le 28/11/1737), soeur du meunier Guillaume MORICE, qui vient d'accoucher d'une petite fille nommée Anne.
En août 1762, Laurence GUIDINIAC mariée à Séné le 23/07/1754 avec Guillaume MORICE accouche d'une petite fille. Dernière trace sur les registre paroissiaux de leur présence à Cantizac.Il semble que des 5 enfants Morice, aucun n'ait repris le moulin, expliquant ainsi le changement de nom du meunier.
En épousant le 17/11/1767, Joseph BOUILLY, Jeanne LE MAGREIX, fille de Catherine SIMON et de son 2d mari, François LE MAGREIX, transmet le moulin de Cantizac à la famille BOUILLY. Le couple Bouilly x Le Magreix aura pas moins de 14 enfants, dont 2 jumelles, de 1768 à 1784. L'une des deux jumelles, Marie Jeanne BOUILLY [22/01/1776 - 7/07/1805] épousera Marc LETTY qui s'installe meunier à Cantizac.
Photo : Archives du Morbihan - Ancien moulin du Hézo. Peut-être que le moulin de Cantizac ressemblait à ce moulin avant la Révolution.
A la Révolution, le bien devient national. La terre de Cantizac et ses dépendances sont acquises, le 20 avril 1791, par M. Périer, Directeur de la Compagnie des Indes à Lorient, au prix de 85,000 livres.(Source infobretagne.com). Jacques Paul Augustin PERIER [26/05/1746-1793] s'était marié en 1777 à Marie-Charlotte CARIER. Issu d'une noblesse récente, Périer est inquiété pendant la Terreur. Il se suicide à Lorient en 1793, durant, ou juste après son incarcération. En 1794, son épouse et sa fille seront assassinées par les Chouans sur la route de Lorient en allant recueillir sa succession.
Cet extrait d'un livre atteste cette acquisition.
Dès lors le propriétaire du moulin de Cantizac sera aussi son exploitant. Ce capital sera transmis en héritage et une lignée familiale de meuniers voa faire tourner le moulin de Cantizac aux portes de Séné.
L'acte de naissance de Pierre Marie LETTY, né le 1er août 1796 ("vieux style" correspondant au 14 Thermidor de l'An IV) nous indique que ses parents, Marc LETTY [1771-26/07/1805] et Marie Jeanne BOUILLY [1776-7/07/1805], sont meuniers à Cantizac. Le père de Marc, Vincent Letty était déjà meunier à Treffléan. Les époux Letty décèdent en 1805 et il semble que de leurs nombreux enfants, sans doute trop jeunes, aucun n'ait pu reprendre le moulin.
La minoterie échoit au beau-frère de Marc Letty, Toussaint DALIDO [29/10/1780-27/05/1828], époux de Louise BOUILLY [2/09/1784-27/06/1823]. L'acte de naissance de sa fille en 1820 nous atteste l'activité de meunier des Toussaint DALIDO à Cantizac. Les DALIDO sont issus d'une famille de meuniers établis à Billiers. Une branche de la famille donnera Louis Jules DALIDO, patron du Moulin de l'Etang aux Ducs à Vannes, qui brûlera dans un terrible incendie en 1910.
La malchance règnerait-elle au sein des meuniers à Séné ? Toussaint DALIDO perd sa femme en 1823 et décède en 1828. Les sites de genealogie recensent plus de 8 enfants, dont deux jumeaux mais aucun n'arrive à l'âge adulte. A son décès en 1828, le moulin va changer de propriétaire.
Extrait du cadastre 1810 : le moulin est positionné sur la digue; la maison du moulin est quant à elle sise sur le chemin qui mène au manoir. La carte figure aussi le "gois" à Kerhuileu fait de pierres qui permet de gagner la pointe de Rosvellec.
Dans l´enquête industrielle de 1836, ce moulin est décrit comme un moulin à roue droite, avec une meule venant de Vannes et une qualité des moutures dite à la grosse (farine utilisée uniquement par le boulanger qui réalisait lui-même le tamisage) ou à la lyonnaise (son moulu une seconde fois).(Source Inventaire du Patrimoine de Bretagne).
Lors du dénombrement de 1841, Julien DENE déclare l'activité de meunier à Cantizac et emploie un garçon meunier. La consultation des tables décennales et des sites de genealogie permet de retrouver l'acte de décès de Julien DESNE à Séné Cantizac le 2/07/1855. Il a marié sa fille Mathurine Anne [19/08/1817 Plumelec - 2/03/1878 Le Hézo] à un meunier du Hézo en 1848. Il a enterré son fils Jean [28/11/1824 Plaudren - 8/07/1854 Limoges, transcrit à Séné] alors incorporé dans le 5° régiment des hussard à Limoges.
Carte postale : figurant en habit de garçon meunier coiffé de la calaboussen et chaussé de sabot. Roscoff
Toutefois sa fille, Louise Françoise DENE [29/09/1815 Plumelec] se marie en 1840 avec Pierre LE RIDANT, un gars de Séné, et déclare la profession de meunière. Pierre LE RIDANT adopte le métier de sa femme.
Extrait de cadastre 1844 :
L'étang de Cantizac reçoit les eaux du ruisseau éponyme en amont. la route principale qui relie Séné à Vannes enjambe le ruisseau au lieu-dit "Pont d'Argent". C'est l'axe principal pour aller à Vannes. En aval de l'étang, une digue, des vannes et le moulin bloquent à marée haute l'eau de mer qui a pénétré l'étang. La digue est étroite et incurvée. Un chemin poursuit, passe au plus près de la maison du meunier puis bifurque vers le manoir de Cantizac et vers Kerhuilieu. La digue sera élargie à la fin du XIX°siècle. Le tracé retenu sera droit, enlevant à la mer quelques m² d'estran.
En 1860, il l'exerce toujours lorsqu'il est témoin au mariage de Pierre Marie JOLAM, garçon meunier.
En 1845 le moulin est acheté par Charles AVROUIN FOULON qui fera faillite et vendra le moulin à Joseph Gachet. Cet annonce notariale de 1859, indique que le moulin de Cantizac, exploité par la veuve Desné est mis en vente.
La consultation fastidieuse des régistres d'état civil numérisés par les archvies du Morbihan permet de lire la profession des Sinagots qui déclarent par exemple la naissance d'un enfant. Il y a aussi le nom et la profession des témoins.
Sur cet extrait de naissance de Marie Le Viavant née à Cantinzac le 6 mars 1863, on peut lire que Pierre GACHET, meunier à Cantizac a été témoin. Pierre GACHET [2/09/1798 St Nolff - 23/12/1872 Sulniac] était déjà meunier au moulin de Caradec à Saint Nolff.
Cependant l'acte de vente de 1928 issu du Conservatoire des Hypothèques (voir plus bas) retrace l'histoire de la vente. Il apparait que le fils de Pierre GACHET, Jean Marie GACHET, acquiert en aout 1859, à l'âge de 23 ans, le moulin de Cantizac au sieur Charles Gratien FOULON, ex receveur du Morbihan qui a fait faillite. Depuis quand M. FOULON était propriétaire du moulin ? Pierre GACHET était probablement l'employé meunier de FOULON..
Arthur Midy (1877-1944) Intérieur du moulin du Grand-Pont au Faouët.
Huile sur toile 54.5 x 46 cm. Musée du Faouët.
Jean Marie GACHET [6/05/1836-19/03/1901] se marie à Saint-Nolff le 4/11/1866 avec Marie Anne MARTIN. Ses enfants naitront à Séné. Jean Marie GACHET est un entrepreneur dynamique. Il reconstruit le moulin et l'équipe d'une chaudière pour s'affranchir des horaires des marées et de la capacité de l'étang de Cantizac qui sans doute s'est envasé avec le temps. Le moulin laisse place à une minoterie équipée de cylindres et de plansichter. le bâtiment s'élève sans doute sur au moins deux étages et les combles pour disposer les matériels de mouture.
L'abbé Louis Marie Gachet, livre dans le bulletin paroissial "le Sinagot" dans les années 1970, un souvenir d'enfance :
"Il était à un étage peut-être deux plus probablement, le 1er étage contenait surtout les cylindres – et aussi nécessairement les élévateurs qui dans toute minoterie se dressent et y fonctionnent de haut en bas et de bas en haut. Au 2ème étage, ou bien au grenier, il y avait les bluteries (plansichter) qui servent au tamisage ( ou blutage) des différentes moutures et séparent les farines et le son, jusqu’à ce que ayant monté et descendu – remonté et redescendu, tout ne tombe dans les chambres à farine pour attendre, ou dans des sacs prêts à être enlevés. Le moulin avait à son pignon Est, côté SENE, une lucarne d’où s’échappaient après un dépôt ( de grains cassés – ou de sable – ou d’autres grosses saletés), les poussières que, à tout le moins, on trouvait alors après vannage ou la battage dans les froments du pays. Pendant que le moulin tournait, l’éclairage électrique y était assuré – de même ailleurs qu’à la maison d’habitation du meunier assez proche. (Une merveille qu’un pareil éclairage en ces temps-là !!!)
Photo du chemin vicinal Source Emile Morin. Cette phto des années 30 permet de distinguer en second plan la hauteur du moulin..
Jean Marie GACHET, dont le frère Mathurin a été maire de Saint Nolff, se lancera aussi en politique et deviendra maire de Séné. Il donnera son accord à l'élargissement de la digue et à la création d'une voie directe vers Vannes qui changera la physionomie de Séné (lire digue et pont).
Lors du dénombrement de 1891, la famille GACHET esr recensée à Séné. Elle emploie 5 domestiques.
La carte 1887 montre également la présence du moulin et de la retenue. En face côté Vannes on reconnait les salines de Rosvellec dont il reste aujourd'hui des vestiges.
Après la mort de son père en 1901, le fils, Jean Marie Désiré GACHET [19/09/1867] reprend l'activité et apparait au dénombrement de 1901 à Cantizac. Une certaine prospérité se dégage du foyer composé de deux ouvriers meuniers, de deux charetiers pour livrer la farine aux boulangers et de deux domestiques. Le temps où les paysans apportaient leur blé et repartaient avec leur farine semble révolu. D'autres difficultés apparaissent : se faire payer des boulangers !
Le 18 mars 1905, le Tribunal déclare en faillite la minoterie Gachet à Cantizac. Le moulin est vidé de sa machinerie et laissé à l'abandon.
Le beau-frère de Désiré GACHET, Jean Mathurin CAIJO, marchand de bois à Moustoirac, rachète le moulin en 1907 pour le revendre en 1909 à M. EVENARD Mathurin sérurrier à Vannes. On peut comprendre de l'article suivant, que M. EVENARD n'est pas meunier; il loue les batiment à l'ostréiculteur Esnold.
Après la mort de ce dernier en 1920, sa veuve et ses enfants cèdent le moulin en 1928 en indivision à M&Mme LE GOUGUEC, armateur à la Trinité sur Mer, M&Mme MAOUT et M&Mme TERIOUX. Ces trois propriétaires revendent en 1929 leur bien à Francis CHABREDIER et sa femme née FAUCONNET.
Source : Conservatoire des Hypothèques :
M&Mme CHABREDIER décident dès 1930 de s'en défaire mais la vente est invalidée. En mai 1934, comme l'indique l'article de presse ci-dessus, le moulin est remis en vente mais tarde à trouver un acquéreur. On ne parle plus de moulin mais d'une maison d'habitation.
En avril 1940, les batiments sont détruits par un incendie comme le rapporte cet article de Ouest Eclair daté du 19/04/1940.
En octobre 1943, les ruines sont acquises par Eugène LE GUERNEVE de Vannes qui a dû remettre en état l'habitation. En novembre 1952, un certain Joseph Jean GUILLEVIC epoux CAUDAL acquiert l'habitation. En 1954, le moulin est acheté par la famille LE RAY et passera aux héritiers qui s'en déssaisissent 2014.
Photo aérienne www.remonterletemps (IGN) de 1952.
Le nouveau propriétaire du vieux moulin de Cantizac a complètement restauré les batiments pour en faire une habitation moderne avec une superbe vue sur la Golfe du Morbihan et la pointe de Rosvellec.
La maison du meunier existe toujours à quelques pas du vieux moulin rénové.
CHRONOLOGIE
1664 Confiscation des bien de Nicolas Fouquet
1673 Mme de Castille récupère ses biens dont le moulin de Cantizac
1676 Yves Cormier et Jaquette Morice meuniers à Cantizac
ca 1700 : la famille LE MEZEC d'Auray est propriétire du Moulin
ca 1708 famille SIMON meuniers à Cantizac
1714 ca Le moulin devient propriété des Dames de la Visitation
1735-1762 famille MORICE x Simon meuniers à Cantizac
ca 1771 : famille BOUILLY meuniers à Cantizac
1789 Révolution
1791 Le moulin devient bien national et M PERIER l'achète.
1793 A la mort de Périer la famille LETTY x Bouilly devient meunier à Cantizac
1805 Mort de Marc Letty, le moulin passe à son beau-frère Toussaint DALIDO
1828 Mort de Toussaint Dalido.
1841 La famille DENE est établie à Cantizac
1855 Julien DENE décède. Sa fille et son gendre LE RIDANT continuent l'activité
1860 LE RIDANT Pierre toujours meunier
1863 Pierre GACHET a repris le moulin
1866 Son fils Jean Marie GACHET modernise le moulin.
1901 Décès de jean Marie GACHET
1905 Faillite de Jean Marie Désiré GACHET
1907 Vente à M. CAIJO de Moustoirac
1909 Achat par M. EVENARD Mathurin sérurrier rue de l'abbatoir à Vannes
1914-18 1ère Guerre Mondiale
1928 Vente à M. LE GOUGUEC et consorts, armateurs à la Trinité sur Mer
1929 Vente à M; Francis CHABREDIER et sa femme née FAUCONNET
1930 Vente à Mr Tallusière Albert époux Hamon, invalidée pour non paiment
1934 Vente du moulin qui était une habitation par M. Chabedrier et Mme Fauconnet
1939-45 2° Guerre Mondiale
4/1940 : Incendie et destruction totale du moulin; Le moulin avait été transormé en logements saisonniers
10/1943 Vente à Eugène LE GUERNEVE époux Coquer, 9 rue de Conleau Vannes
11/1952 Vente à Joseph Jean GUILLEVIC epoux CAUDAL
03/1954 Vente à André LE RAY, charpentier de Locmaria Grand-Champ
01/1961 Vente à Mathurin Marie LE RAY
03/1970 Vente à Clément Louis Marie LE RAY époux Loyer
2007 Vente au propriéatire actuel.