Dans son livre intitulé les Cap-Horniers de Séné, L. Brulais a recensé les voyages des marins sinagots au delà du Cap Horn entre les océans Atlantique et Pacifique. Il s'est appuyé sur le site du Service Historique de la Défense SHD, Mémoires des Hommes, où les fiches des Inscrits Maritimes du Sud-Morbihan ont été numérisées et sur les travaux de l'association des Cap-Horniers. Celle-ci a recensé les marins français qui ont entrepris un long voyage depuis l'Europe jusqu'aux Amériques en passant par le célèbre Cap Horn et le Passage de Drake. Cette route maritime périlleuse a vu un grand nombre de navires en difficulté et de nombreux marins périr lors d'un naufrage ou d'une mauvaise mer. Avec l'inauguration du Canal de Panama en 1914, le traffic des cap-horniers sera consédérablement réduit.
Il saluer ce travail collaboratif qui pu ainsi mettre à jour le destin dramatique du marin sinagot Emmanuel MORIO.
Emmanuel MORIO nait au village de Montsarrac le 14/5/1874 au sein d'une famille de marins, comme ce village sinagot en compte beaucoup. Son père Vincent Marie {1840-1900] est marin et sa mère, Marie Anne LOISEAU [1840-1929] est ménagère puis pêcheuse après le décès de son mari..Son oncle Sylvestre MORIO était également marin. Il fit d'un voyage vers Tahiti en 1870 d'où il ne revient pas.
On retrouve la famille pointée lors du dénombrement de 1886. Son frère aîné, François [1868-1937], âgé de 20 ans, accomplit sa doute son service national et ne réside pas au foyer. Le petit fils de François, Alphonse Le Derf sera maire de Séné. La famille a été endeuillée par le décès en bas âge de 4 enfants : Jean Marie [1870-1882], François [1871-1882], Jean Louis [1872] et Vincent [1879-1881]. La famille de marins compte donc 5 enfants, François, Emmanuel, Louis [1876-1941], Joseph [1881-1956] et Marie Vincente [1884-1960]
Au dénombrement de 1901, Mme Morio a perdu son mari. François et Louis ont quitté le foyer familial.
Emmanuel MORIO embrasse le métier de marin comme mousse à l'âge de 11 ans le 19 février 1885. Il navigue sur des canots inscrits dans les quartiers de Vannes et Lorient. Il est novice à l'âge de 14 ans , le 14 octobre 1888 et continue à naviguer pour des patrons inscrits en Morbihan. Il devient matelot le 21 août 1892, il est âgé de 16 ans. Il navigue alors pour des navires rattachés aux ports de La Rochelle et Bordeaux.
Le matelot MORIO navigue pour des patrons de Bordeaux, Cancale, Dunkerque, Fécamp. Il rejoint le dépôt de Lorient pour son service militaire et il est rapidement affecté à Toulon. Il sera en mission à bord du Cécile, du Bien Hoa, du Duguay-Trouin du Bouvet et de l'Alcyon où semble-t-il, il tombe malade. Il est "congédié" en juillet 1899.
De retour en Bretagne, il sert sur des navires armées à Nantes, Bordeaux, La Ciotat.
Le 29 août 1901, il embarque à la Rochelle sur le quatre-mâts le Pacifique III.
Pacifique III, est un quatre-mâts barque en acier de 3450 tpl construit en 1883 au chantier Thomson de Glasgow sous le nom de KNIGHT OF SAINT-MICHAEL. Il est racheté en 1897 par la maison Bordes et rebaptisé PACIFIQUE.
Premiers voyages sur l’Inde (Calcutta); puis des voyages de nitrate-charbon sur le Chili et de blé sur la Californie. A noter une traversée Chili – La Pallice effectuée en 76 jours. En 1902, allant de Newcastle/Tyne à Valparaiso, il essuie un terrible ouragan au cap Horn et doit entrer en relâche à Montevideo avec le pont rasé, les embarcations broyées et de graves avaries de mâture.
Son capitaine, le CLC Charles Leyat, né le 08/07/1867 à Fellinger (Haute Savoie) inscrit au Havre, a été enlevé avec 6 hommes par une lame qui a balayé le pont, défoncé la dunette et tout emporté sur son passage.
Pendant la Grande Guerre, PACIFIQUE 3 ne fut pas armé. En 1916, il fut vendu à l’armement Gaillard, de Bayonne.
Il disparut corps et biens au cours d’une traversée Penarth – Port Arthur. Il avait été rencontré pour la dernière fois le 21 Octobre 1916. Sources :
"Mémoire de Marins de l'Armement Bordes" de Brigitte et Yvonnick Le Coat
" Les derniers Cap-Horniers français" de Louis Lacroix
"Hommes et navires au Cap Horn" de Jean Randier
Emmanuel MORIO à 27 ans losqu'il rejoint, le 31 août 1901 la Pacifique III qui appareille pour North-Shields en Angleterre avec 35 hommes d'équipage. Il fait escale à Newcastle du 13 septembre au 9 octobre puis il prend la direction de l'Atalntique Sud. Début décembre 1901, c'est l'été dans l'hémisphère sud, le Pacifique se présente au Passage Drake pour franchir le Cap Horn.
Ce rare article de presse en France rapporte les circonstance du drame: "Le quatre-mâts dunkerqouis "Pacifique" a été assailli par une violente tempête au large du Cap Horn. Le capitaine, le lieutenant, quatre matelots et un mousse ont été enlevés par un coup de mer. Le navire a perdu ses embarcations, ses haubans, ses pavois et a de plus des avaries dans sa mature. Il a pu cependant faire relâche à Montevideo."
La fiche d'inscrit maritime mentionne la disparition du marin sinagot, entériné par un jugement du du tribunal de La Rochelle.
A Montevideo, la presse locale s'empare de la nouvelle. Le périodique La Alborada mandate un journaliste pour recueillir des témoignages. (voir en pièce jointe l'article complet en espagnol)
Une tempête au Cap Horn - La frégate Pacifique
La presse quotidienne a déjà donné la nouvelle de l'arrivée à notre port de la frégate française Pacifique, qui durant sa traversée entre l'Angleterre et le Chili a subi une des plus furieuses tempêtes au passage du terrible Cap Horn.
La Pacifique naviguait sans nouvelle depuis son départ de Tyne jusqu'à arriver au lieu où s'est déroulé le terrible drame que nos lecteurs connaissent déjà. Les vagues énormes et accablantes balayèrent le pont de la frégate, lui causant des dommages dans la coque. Au plus fort de la tempête, quand l'équipage se trouvait exténué de fatigue luttant contre la bravoure de la mer, une vague passa sur le pont et emporta pour toujours son capitaine et six de ses subordonnées.
Le 1er commandant, M. Gascon, dont le portrait (*) avec sa famille accompagne ses notes graphiques, accomplissait à ce moment-là son devoir de chef directeur des manœuvres.
Les noms de ses compagnons malheureux sont : Ropers (officier, pour lequel nous publions aussi une photographie au milieu de ses camarades) Lenclos, Grégoire, Morio, Senize et Béré.
Le commandant en second, après avoir demandé conseils auprès des autres officiers, décida de poursuivre vers Montevideo, où il arriva avec la frégate samedi dernier. Depuis lors, la frégate subit les réparations nécessaires.
Notre directeur, qui a interviewer les survivants de l'horrible catastrophe, pu recueillir de leurs lèvres que ce n'est que grâce aux conditions excellentes du navire qu'ils ont pu être sauvés du naufrage. La Pacifique, qui était une splendide frégate, comme on pourra voir sur la photographie (*) pris pour l'occasion par La Alborada, est un sister-ship du voilier France qui disparut dans l'océan il n'y a pas très longtemps.
La Pacifique demeurera dans la rade extérieure de notre port jusqu'à qu'elle recoive des ordres de son armateur et des consignataires. Une photographie (*) illuste également cette breve information, prise au Havre, dans laquelle figure l'actuel commandant de la Pacifique, monsieur Leyat,avec un goupe d'amis. Le sieur Leyat es celui qui se trouve à gauche appyé sur une canne.
*photographies sans doute retrouvés dans les effets personnels des marins disparus
Le journal El Siglo, se rend également sur place et interviewe un des marins, Mathurin promu second capitaine après le drame
.
A bord du Pacifique
Afin de développer au mieux les brèves informations données à nos lecteurs concernant l'arrivée de la frégate française Pacifique dans nos eaux, nous avons interviewé M. Mathurin, le second capitaine qui a piloté le navire à son arrivée, qui nous a livré le récit suivant :
Nous avons quitté l'Angleterre le 10 novembre, à destination du Chili, avec une cargaison de charbon à transporter jusqu'à Pisagua.
Pisagua a cet époque est une villeportuaire qui vit dse l'extraction du salpêtre.
Jusqu'à l'entrée dans le Rio de la Plata, rien de notable ; mais à ce moment-là, nous avons rencontré du mauvais temps, qui, heureusement, n'a causé aucun dommage. Nous avons dépassé et aperçu le cap San Juan, que nous avons franchi avec succès, ainsi que le cap Horn, avec des vents favorables et une vitesse horaire de 10 nœuds.
À partir de ce moment, le mauvais temps est devenu presque la norme. Nous avons subi de fortes tempêtes et le navire était constamment recouvert par les vagues, rendant impossible toute manœuvre sur les ponts, ce que nous avons finalement réussi à faire grâce aux petits ponts dont disposent tous les grands navires.
Le 17 décembre, au soir, en vue du cap Horn, nous naviguions sans autre voile que les perroquets et les grands-voiles bordés, un vent frais et favorable. À 18 heures, il pleuvait brièvement. Le baromètre baissa et le capitaine donna l'ordre de charger presque toutes les voiles, ce qui fut fait immédiatement. Très vite, la tâche fut achevée, à l'exception des trois huniers inférieurs et de l'artimon.
Puis, en un instant, une formidable rafale de vent s'abattit sur nous. La mer, jusque-là calme, devint par moments furieuse, et, à perte de vue, on ne distinguait que l'écume des éléments agités. Les voiles, malgré leur charge, commencèrent à se déchirer et nous les perdîmes presque toutes.
Nous avions auparavant placé quatre hommes à la barre, et les officiers étaient tous à leurs postes de manœuvre. Il fallut s'abriter près des mâts pour éviter les vagues qui déferlaient sur le navire et balayaient le pont. Ce fut une lutte acharnée et terriblement sombre, car le moindre évanouissement signifiait la mort de tous.
Le vent forcit, nous emportant vers l'arrière, et ainsi, poussés rapidement, nous fendîmes la brume jusqu'à 22 heures.
Une vague arracha alors les rayons de la roue, et avec ses fragments, deux hommes disparurent dans l'insondable ressac. Un troisième tomba mortellement blessé au pied du grand mât, où il mourut, et un quatrième, enfin, resta coincé entre les quelques rayons restants du gouvernail, qui lui transpercèrent la poitrine.
Le gouvernail fut abandonné et le navire vira face au vent. Le commandant et le sous-lieutenant se précipitèrent alors vers lui. Une vague rapide, saisissant le navire par l'avant, emporta le capitaine et projeta le sous-lieutenant sur l'épave, où il put se mettre à l'abri avec beaucoup de difficulté.
La tragédie n'était pas encore terminée. Une troisième vague, saisissant la frégate le long du côté, emporta avec une force irrésistible tout sur son passage : hommes, bateaux, etc.
Le navire disparut dans la mer tumultueuse et déchaînée, comme si les vagues allaient l'engloutir à jamais. Heureusement, cela ne dura que quelques secondes.
L'une des embarcations, libérée de ses amarres, s'éleva de trois mètres au-dessus du pont et emporta avec elle dans sa chute un homme abrité à l'intérieur. Toute manœuvre devint impossible, et pourtant, dans ces instants d'angoisse, chacun redoubla d'efforts, car l'espoir infini ne nous abandonnait pas. Les officiers à l'arrière attendaient que la fureur des vagues s'apaise, le gouvernail solidement fixé pour ne pas être emporté par la mer. Ainsi se passa la nuit.
De temps à autre, un officier montait sur le pont, emporté par les vagues. La chambre remplie d'eau fut vidée par les officiers et les marins restés à bord, mais ce travail s'avéra inutile, car elle se remplit rapidement. Un marin, abrité dans le nid-de-pie, ne pouvait communiquer avec le pont, ayant miraculeusement échappé à la mort. Il se trouvait sur la passerelle de manœuvre lorsque la deuxième vague le fracassa, tombant sur le pont avec un poids de 200 kilos sur lui. Il roula là pendant un certain temps. Lorsqu'il put se libérer, il grimpa sur un mât et, de là, au nid-de-pie, où il resta jusqu'à la fin.
Un autre jeune marin fut emporté par la deuxième vague par-dessus le mât d'artimon, à quatre mètres au-dessus du pont. Il quitta le mât d'artimon, mais la mer le ramena à bord. Le temps se calma bientôt et, dès que possible, la barre fut remplacée et le navire mis au repos.
Le 18 à 4 heures du matin, nous pûmes communiquer avec les différentes parties du navire, et c'est alors que nous réalisâmes les terribles pertes que nous avions subies.
Le capitaine et six hommes manquaient à l'appel ; mais le désastre ne s'arrêta pas là : nous avions également une dizaine de blessés, incapables de fournir le moindre service.
Puis, avec le reste de l'équipage, nous avons déployé autant de voiles que possible et, à 11 heures, après avoir rassemblé les bagages, je décidai de faire route vers Montevideo, où j'arrivai par mauvais temps, mais sans inconvénient majeur.