Parfois il suffit d'une photographie ou une vielle carte postale d'Emile MORIN, ou bien encore d'un article de l'abbé LE ROCH pour susciter l'envie d'approfondir un aspect méconnu de l'histoire de Séné.
C'est le cas avec cette photographie tirée de l'ouvrage d'Emile MORIN, "Le Pays de Séné". Dix gaillards posent devant le photographe, debout autour d'une roue de charette qu'ils s'apprètent à cercler de fer. Emile MORIN nous dit qu'il existait une forge à peu près au débouché de l'actuelle rue du Versa sur la Route de Nantes. Il donne des noms de ces hommes. Tachons d'opérer avec méthode pour retracer l'histoire de cette profession à Séné et pour en savoir plus sur cette photographie.
Les vieilles cartes postales insérées dans le texte ne sont pas de Bretagne ou de Séné. Elle illustre les type de tâches des anciens métiers de maréchal ferrant, charrons ou forgerons.
Lors du procès entre les chanoines du chapître de Vannes et les religieuses de la Visitations, le 22 octobre 1719, des habitants de Séné sont appellés à témoigner. Parmi ces Sinagots, Pierre LAYEC qui déclare la profession de maréchal ferrant au bourg de la paroisse. Un site de généalogie nous permet d'identifier cet artisan au ferrage des chevaux, à la fabrication d'outils agricoles, des outils du calfat, des pièces métalliques d'un sinagot ou de leur encre. Pierre LAYEC, né le 24/5/1681 est le fils d'Yves LAYEC [ca 1654 - 25/5/1710] lui même maréchal ferrant comme en témoigne son acte de décès et l'acte de naissance de son 1er enfant Vincent en 1679.. Les nombreux enfants de Pierre LAYEC et de son épouse mariée le 27/6/1705 nous permette de dire qu'il est encore le 17/9/1719 à la naissance de sa fille Perrine. N'ayant eu que des filles survivantes, on peut supposer que l'atelier du maréchal ferrant au bourg de Séné change de main.
Plus d'un siècle est passé et deux Révolutions lors du premier recensement à Séné de 1841. La France alors sous la Monarchie de Juillet de Louis Philippe 1er, "Roi des Français". Ce document précieux nous présente la sociologie de Séné à plein XIX° (lire article dédié). Cet extrait nous apprend que le forgeron de Séné habite le bourg. Il se nomme Vincent LANGLO. La consultation des sites de genealogie et des registres d'état civil permet d'établir la généalogie de la famille Langlo à Séné.
François LANGLO, né à Elven, se marie à Séné en 1768 avec Marie RIGUIDEL. A la naissance de son premier enfant, Marie, en 1769, il déclare la profession de maréchal (maréchal ferrant qui ferre les sabots des chevaux). Pour la naissance de Bertrand, idem maréchal. Pour son fils François en 1786, on retient la profession de forgeron. A sa mort, en 1807, sous le 1er Empire, Gervais Eveno, maire de Séné et officier d'état civil indique le métier de "taillandier" (forgeron spécialiste des outils tranchants, serpes, couteaux, faux, faucilles). A sa mort, en 1831, Bertrand est "forgeron"; son fils Vincent en 1862 à sa mort est aussi "forgeron". Plus tard viendra le terme de charron, pour le forgeron qui sait "ferrer" la roue en bois d'une charette avec un cerclage de fer.
Les recherches menées sur la descendance de Vincent LANGLO montrent qu'il n'a pas eu de garçon arrivant à l'âge adulte, apte à reprendre la forge du bourg de Séné? Où se stiuait-elle?
Le dénombrement ultérieur disponible date de 1886. On note au bourg de Séné, la présence des forgerons Joseph SEVENO [7/9/1850 St-Avé - 18/8/1901 Séné] et Joseph PETITPIERRE [22/3/1852 à Saint Jean-Brevelay - ??], tout deux non natifs de Séné. A leur côtés, plusieurs Sinagots se réclament de cette profession : un certain RIGUIDEL, 29 ans est charron et vit à la Grenouillère; Maximilien LE PAUTREMAT le fils de l'aubergiste du Poulfanc est charron, il épousera Marie Vincente LE TREHONDAT; Louis LE CORVEC 43 ans est charron et demeure au Poulfanc; Jean-Baptiste LE LAN [1/10/1837 - <1911], 48 ans est forgeron et vit au bourg. C'est le fils des paludiers LE LANxLE GUELZEC. A son mariage en 1876, il déclarait le métier de maréchal. Tout laisse à penser, qu'à l'âge de choisir un métier, il fut été placé chez le nouveau forgeron SEVENO installé au bourg;
En 1886, au Poulfanc, Jean Pierre TREHONDAT [5/4/1845 St Nolff - ??] est forgeron. Lors de son mariage à Séné le 18/6/1867 avec Marie DAGORNE [31/31846 - 11/2/1888], il déclarait la profession de forgeron. Fils du maréchal ferrant, Mayol TREHONDAT [1810-1857], il perd son père, à 12 ans. Il a du sans doute reprendre l'atelier familial avec ses frères, avant de s'établir à Séné dans les années 1865, sur la route impériale de Nantes à Audierne. Il a su remettre sur pieds sa forge suite à son incendie, comme le relate cet article de presse du 1er décembre 1880.
En 1891, Jean Jacques CAUDAL [13/6/1850 Plaudren - 26/1/1922 Cadouarn] est établi comme forgeron au Goah Ver, non loin du bourg de Séné. Il est le fils d'un cordonnier et lors de son mariage, le 22/5/1878, avec Jeanne DIGABEL [24/3/1845-13/2/1903], il vit à Saint-Léonard, commune de Theix, à proximité du Poulfanc. Vraisemblablement, il travaillait à la forge Trehondat avant de s'installer à son compte au bourg de Séné, où l'on retourve également la forgeron PETITPIERRE. Ce dénombrement de 1891 est incomplet mais SEVENO est encore forgeron.
Au Poulfanc, la forge a été reprise par Jean Mathurin TREHONDAT [19/9/1875-11/5/1907] avec son père à ses côtés, désormais veuf. La forge emploie désormais un ouvrier, Joseph HOUEIX, 23 ans.
Au dénombrement de 1901, Joseph PETITPIERRE emploie Henri LE CORVEC, jeune ouvrier de 17 ans.[C'est le frère de Patern LE CORVEC, épicier et futur maire de Séné].
La forge de Joseph SEVENO [7/9/1850 St-Avé - 18/8/1901 Séné] semble prospère. Elle emploie Jean Baptiste LE LAN, forgeron de 63 ans et Julien GODEC, apprenti de 15 ans aux côtés de Jean Marie DANIELLO, charron de 36 ans et de Joseph LE DIVELLEC, menuisier de 26 ans qui vit à Cano.
Au Goah Ver, Jean Jacques CAUDAL tient sa forge et emploie peut-être Julien EVENO, charron de 29 ans qui vit à Kerleguen.
Au Poulfanc, Jean Mathruin TREHONDAT [19/9/1875-11/5/1907] et son père Jean-Pierre emploient le forgeron Jean Pierre JEHANNO de 28 ans et sans doute aussi Joseph GUILLEMOT, charron de 30 ans établit au Versa. On complète ses revenus avec la location d'une machine à battre le blé dont il assure à la forge l'entretien des pièces en métal. Un mécanicien, Jean Marie JEGO est affecté à cette tâche. Le maître forgeron perdra son épouse Marie Anne CELIBERT [23/5/1878 – 6/4/1904] dont il aura eu un fils, Félix né en 1902.
En 1900, avant de partir au service militaire Jean Marie ROPERT [16/6/1880 - 7/12/1914], fils d'un cultivateur du Versa, déclare sur sa fiche de matricule être forgeron, sans doute travaille-t-il chez Trehondat. Il se mariera en 1907 à Séné avant de s'établir sur Nantes. Il sera un des premiers natifs de Séné à perdre la vie en 1914 dans la Somme.
En mai 1905, les ouvriers charrons de 6 ateliers du Pays de Vannes se mettent en grève dans le but d'améliorer leur conditions de travail. Le métier est dur avec 10 heures de travail par jour.
Au dénombrement de 1906, au Goah Ver, près du bourg, Joseph PETITPIERRE et son épouse Marie Françoise RICHARD, se font à l'idée de ne pas avoir d'enfant. Ils prennent chez eux un jeune apprenti, Louis Marie DAUBER [16/11/1891 Hennebont - 16/5/1972 Séné ], enfant de l'assistance (il a perdu son père enfant) âgé de 15 ans.
Au décès en août 1901 de leur père, les filles Séveno sont casées et Vincent Marie SEVENO [22/9/1878 - 21/7/1947] a embrassé la carrière de marin pour devenir second maître mécanicien...La forge est arrêtée si bien que le vieux forgeron Jean Baptiste LE LAN s'en est allé travailler, à l'âge de 69 ans, à la forge Caudal.
Au Poulfanc, Jean Mathurin TREHONDAT s'est remarié le 30/1/1906 avec Marie Anne LE GUENNE [23/5/1878-6/4/1904] qui déclare l'activité de cabaretière. A son décès l'année suivante, c'est elle qui va prendre les rennes de la forge familiale avec son beau-frère Pierre Marie TREHONDAT [19/4/1881 - ?].
En 1911, l'apprenti DAUBER est devenu ouvrier chez PETITPIERRE. Au Poulfanc, la forge gérée par Mme LE GUENNE-Tréhondart emploie toujours Joseph GUILLEMOT ainsi que deux jeunes forgerons, Auguste MAHE [17/8/1893-7/6/1917] et Lucien LE PLAT [7/11/1890-19/11/1914], qui perdront la vie durant la guerre 14-18.(Lire lespages Centenaires).
Après guerre, l'équilibre économique et les innovations techniques bouleversent l'ordre précédent.
Au Goah Ver-Purgatoire, Le fils Caudal, engagé volontaire dans l'artillerie coloniale puis l'infirmerie coloniale, ancien combattant de 14-18, ne reprendra pas la forge. Son cousin, Mathurin CAUDAL [3/3/1885 - 18/5/1950], natif de Meucon reprend la forge de Séné où il a épousé Anne Marie JOUAN [26/10/1889 - 23//11/1968] qui sera cabaretière, comme nous le précise le dénombrement de 1921. Il emploie Pierre Marie LOTODE comme forgeron.
Louis Marie DAUBER s'est marié le 26/8/1919 avec Marie Angelina RICHARD [2/10/1896-18/12/1969] et il a repris la forge de PETITPIERRE, son ancien patron.
A Cadouarn, le jeune Pierre Marie MORIO [26/1/1899 - 27/10/1989] est forgeron mécanicien.
Au Poulfanc, Jean François LEROUX est apprenti à la forge Tréhondat alors que les Trehondat-Le Guenne ne sont plus dénombrés au Poulfanc. La forge est bien là. Elle emploie Louis ROPERT en 1924 comme l'indique cette coupure de presse.
Plus tard, la forge Tréhondat fermera et la batiment sera racheté par le café-restaurant Penru dans le sannées 1950. Maison à gauche sur cette photo.
Au dénombrement de 1926, Pierre Marie MORIO, le jeune forgeron mécanicien, formé à la réparation des pièces mécaniques, a repris la forge au Poulfanc. Il s'est marié le 10/4/1923 avec Marie Célestine QUESTER.
Le dénombrement nous indique que Morio emploie Henri Marie ALLANIC domicilié à La Poussinière, Mathurin ALLANIC, domicilié au Versa, le jeune Marcel François HOUEE domicilié à Bézidel et L'ancien apprenti Jean François LEROUX de Limur.
Et nous avons confirmation sur le jeune forgeron Louis ROPERT, blessé en 1924 d'un coup de marteau.
Le prochain dénombrement nous porte en 1931. Au Poulfanc, on ne voit plus de trace de MORIO. A la "Grenouillère" René RAUD est patron forgeron; il a sans doute repris l'ancienne forge Trehondat. Il y est encore avec son fils Guy RAUD en 1936.
Au bourg, nos deux forgerons, Mathurin CAUDAL et Louis DAUBER sont pointés en 1931 et en 1936.Louis DAUBER a été compagnon dont le surnom, habitude de la confrérie était Berry l'Île d'Amour.
Sur la photo ci-dessus, Louis Dauber, son épouse Angelina RICHARD et leur deux enfants, Louis et Léontine. Lors de l'Exposition Internationale des Arts et des Techniques dans la Vie Moderne à Paris en 1937, Louis DAUBER fils [4/10/1921 - 2/10/1995], alors âgé de 16 ans, reçoit un prix pour un trident ou foëne en fer forgé.
Dans ces années 1925-1935, le métier change, de forgeron on passe à mécanicien. On lit sur ces dénombrements : Alfred Jean DAVID, Louis LE ROHELLEC mécaniciens chez Poulichet à Vannes (le futur garage Simca, Talbot et aujourdh'ui Peugeot); Marcel Houée, carrossier chez Lambert à Vannes; René LE DERF, charron chez Le Coq à Vannes; Joseph LE DORIOL, forgeron chez Jean PETIT à Vannes; Pierre Marie LOTODE, a laissé Caudal en Séné pour travailler chez Fily à Vannes; Henri CORBEL, mécanicien; Eugène BOSSU, mécanicien...
Après la Seconde Guerre Mondiale, le métier de forgeron va s'éteindre. Les mécaniciens se retrouveront au sein des premiers garages de camions et d'automobiles (lire l'article sur Pascaline et les garagistes-pompistes de Séné).
Aux élections de 1947, le "fils de l'assistance publique, le jeune apprendit de PETITPIERRE, Louis DAUBER, fait partie de l'équipe municipale.
Au bourg de Séné, Louis DAUBER (ci-dessus à l'enclume) et Lucien CAUDAL déclarent toujours le métier de forgeron en 1962, activité en lien avec la pêche et d'ostréiculture (ancre, grappin, mâts, treuil).
Son fils, Jean Luc CAUDAL, 4° génération de forgeron, reprendra l'atelier de son père en 1988 et orientera l'activité vers les métiers de la serrurrerie, ferronnerie et métallerie (clôtures, porte de garage etc.). Entre-temps, le feu de la forge a laissé place à l'acétylène...
En 1962, au Poulfanc, Vincent DREANO est forgeron et son épouse Marie LE PINIEC tient une épicerie à côté de la forge qui se situait à l'emplacement des logements Résidence Hortensia, non loin du bar le Suroit. Un de ses enfants entrera dans les ordres. Les voisins se rappellent un atelier des plus sommaires en fibrociment. Etait-ce là que se teniat la forge établie par TREHONDART?
Epilogue :
Emile MORIN nomme les employés pris en photographie devant la forge : LE GUEN, patron, GUILLANTON, Pierre MORIO, Paul LE CORRE, GOUPIL, LEROUX, COLLET, LE GUEN (frère du patron).
Les frères LE GUEN seraient de la familel de Marie Anne LE GUENNE, l'épouse de Jean Mathurin TREHONDAT; Pierre MORIO pourrait être Pierre Marie MORIO, le jeune mécanicien qui va reprendre la forge; LEROUX serait l'ouvrier Jean Marie LEROUX qui débuta apprenti; Paul LE CORRE serait de la famille de Marie Anne LE CORRE, l'épouse de Félix TREHONDAT; GOUPIL, COLLET et GUILLANTON restent "inconnus".
Et pour mettre un visage sur ces noms...c'est une autre histoire.