La Ramasseuse de Choux-Louis-Henri-Saintin-1846-1899 (autour de Dinan-Cancale)
La presse d'épqoue a été numérisée par les Archives du Morbihan et les journaux sont une source inépuisable de témoignages sur le passé de notre commune pour qui sait chercher...
Ainsi cet article de 1886 nous relate le dramatique accident dont a été victime Jean Marie LERAY [25/1/1847-4/01/1886] en allant décharger des choux à Saint-Gravé. La famille LERAY cultivera les choux à Brouel pendant trois générations.
Cet autre article d'août 1887, est consacré à un fameux procès où 182 Sinagots et Sinagotes furent jugés au Tribunal pour une pêche en fraude (Lire article dédié). A la fin de son exposé, le journaliste de l'époque relève déjà les "Voiles Rouges" et le "Chou Pommé" comme éléments qui caractérisent Séné.
Cet autre article de "L'Avenir de la Bretagne" daté du 7 janvier 1893, nous relate le décès de Patern LE FRANC [22/02/1850-31/12/1892], agriculteur de Séné. L'acte de décès indique que l'accident eu lieu à Péaule ou le cultivateur de choux allait livrer sa marchandise.
Camille Rollando dans son livre intitulé "Séné d'Hier et d'Aujourd'hui" nous explique le fondement agronomique de cette culture en Séné :
Le chou pommé (Brassica oleracea) est une plante de la famille des brassicacées qui comporte des feuilles qui se coiffent mutuellement en formant une pomme, plus ou moins allongée ou aplatie. Quand ses feuilles sont lisses, il est appelé « cabus » et, lorsqu'elles sont cloquées, «chou de Milan ».
Cet autre article daté du 16 février 1908, témoigne de la culture du chou à Séné au début du siècle dernier.
Aspect d'une cour de ferme bretonne vers 1900-Charrette de choux. Musée de Bretagne
Une recherche Google Book permet de repérer ces deux extraits de la même période, indiquant qu'avant la Première Guerre Mondiale, la culture du chou était importante sur Séné :
"Dans les terres fertiles des environs du golfe du Morbihan, et particulièrement dans la presqu'île de Séné, il est fait actuellement d'importantes cultures de choux-pommes, et depuis peu on y a introduit la culture du chou-fleur géant d'automne. page 253
Notice sur le commerce des produits agricoles
France. Service des Etudes Techniques - 1906
La culture des choux cabus , des choux-fleurs et des brocolis se pratique avec succès dans de nombreux villages du littoral breton. Ainsi les environs de Vannes, de Lorient et de Saint-Brieuc sont renommés par la production des choux
Bulletin de l'Office de renseignements agricoles, Volume 8,Numéro 2
France. Direction de l'agriculture - 1909 -
Gravue Jean Frélaut 1914 Planteurs de choux
Tableau de Jean FRELAUT - 1923 - L'abreuvoir. Scène où on voit un champs de choux.
Sinagots devant la Préfecture de Vannes
Extrait Enquête Agricole 1929 Gallica Bnf
LA CAMPAGNE des CHOUX,
est ouverte depuis un mois,
Elle s’annonce bonne.
Ainsi titrait Ouest Républicain, le 3 février 1938.
Cet article plus récent a le mérite de dresser un historique de la culture du chou dans le Morbihan où l'on comprend que la culture du chou à Séné est très liée à celle du choux à Lorient...
L'article est ici proposé dans son intégralité avec des annotations et des illustrations, afin de comprendre comment la culture du chou à Séné a revêtu une grande importance avant guerre.
../...Début de l'article de l'Ouest Républicain
L’expédition des choux est, depuis plusieurs années, l’une des sources de l’activité commerciale de notre région lorientaise.
Elle ne date pas de loin. En 1892, on comptait dans le Morbihan que 1.200 ha de terres ensemencées en choux-fleurs et choux-pommes. Par suite d’une sélection heureuse de semences, la situation de cette culture devint florissante peu après la guerre [guere 14-18] On comptait en 1923, 3.100 ha ensemencées de choux-pommes. En 1929, le nombre d’hectares était monté à 3.300, pour descendre en 1934 à 1.250.
La production était dans tout le Morbihan de 560.000 quintaux en 1929, 660.000 quintaux en 1930, 556.550 en 1931, 404.250 en 1932, 362.500 en 1933, 313.500 en 1934. Depuis ce chiffre est demeuré stationnaire [soit environ 30-35.000 tonnes par an]
Il n’est que deux régions du Morbihan où l’on cultive le choux-pomme : la campagne à l’est de Vannes et celle située en périphérie de Lorient.
Photo Fond David : femmes plantant des choux à l'Ile d'Arz
Près de Vannes ce sont les communes de Séné, Le Hézo, Noyalo et Saint-Armel ; Près de Lorient, celles de Ploemeur, Larmor-Plage, Caudan, Quéven et Guidel.
[ces deux terroirs du Morbihan offre douceur et terres favorables à la culture du chou-pommé ou chou de Milan]
Le chou de Vannes est un chou-prime dans toute l’acception du terme puisqu’il est récolté en octobre, novembre et décembre, celui de Lorient en décembre, janvier, février-mars.
[les deux bassins de production se complètent pour assurer une production de chou frais d'octobre à avril]
Notez l’influence ici de l’engrais tout particulier fourni par les résidus ménagers récoltés par les cultivateurs dans les villes.
[fabrication agricole de compost qui n'a rien à envier à la produciton de biomasse actuelle]
Les expéditions se font de la gare de Vannes, pour la région de Séné, aux gares de Lorient et d’Hennebont pour nos communes circonvoisines.
Les expéditions ont été en gare de Lorient de 4.042 tonnes pour la saison 1933-34, 3849 pour la 1934-1935, 4.952 pour 1935-1936, pour tomber à 1.684 tonnes pour 1936-1937.
[Les expéditions hors du Morbihan reprensente entre 10% et 15% de la production]
On voit que chaque saison est à cheval sur deux années, pourquoi ?
C’est qu’une saison normale commence au 15 décembre pour finir au 1er mars. L’an passé, il n’en fut pas ainsi, puisque la saison commencée le 12 janvier ne se termina que le 8 mai.
1920-La récolte des choux - Lucien SIMON - Huile sur toile
OU VONT LES CHOUX
C’est très joli de produire beaucoup, il faut trouver des débouchés. Nos choux lorientais ont été particulièrement demandés dès 1923 dans la région de l’Est.
Et puis de 1928 à 1934, l’Allemagne en réclame de fortes provisions. Ce fut pour nos campagnes une source réelle de richesse. La rue Cosmao-Dumanoir [près de la gare de Lorient], connut, chaque jour de véritables caravanes de charrettes se dirigeant vers la gare des marchandises. Car, sur les 4.000 tonnes expédiées des gares du Morbihan, 500 tonnes seulement étaient expédiées de la gare de Vannes.
Négociant venu voir la récolte de chou Baud
[ce chiffre de 500 Tonnes livrées en gare de Vannes permet d'extrapoler une productions sur les communes autour de la rivière de Saint Léonard (Séné, Noyalo, Saint-Armel) de 50.000 à 60.000 quintaux, soit environ le dixième de la production lorientaise].
[les agriculteurs de Séné, Saint-Armel, Noyalo, livre des grossites de Vannes qui se charge d'expédier par train les choux. Le passeur de Saint-Armel était-il utilisé?]
Mais voici qu’en 1934, l’Allemagne augmente les droits de douane et par peur de l’épidémie de doryphore, restreint ses commandes.
[Il n'y avait pas de "Politique Agricole Commune", ni de volonté de libre-échange. De tout temps, les états se sont prémunis contre les risques de calamité agricole. Aujourd'hui le risque "ravageur" liés aux insectes est peu commun mais des mesures de sauvegarde contre des épizooties sont utilisées , par exemple aujourd'hui la grippe aviaire ou la peste porcine].
En 1935, par suite d’interventions heureuses de nos parlementaires, les tarifs de transports sont abaissés et d’autres part M. Briend, notre très actif inspecteur commercial de la région, obtient que les transports P .V.[pour petite vitesse] soient accélérés.
Wagons de "grande vitesse" : le terme "grande vitesse" désigne ici l’aptitude des wagons à être incorporés aux trains de voyageurs. Cette possibilité était réservée à certains services : service postal, messageries, transports de chevaux, des voitures, transport des produits de marée, du lait et des produits finis.
Wagons de « petite vitesse » : la petie vitesse désigne les services de marchandises non incorporés aux trains de voyageurs. On va trouver ici le matériel tels que les fourgons, les tombereaux, les plats, les réservoirs.
La situation va donc être équilibrée. Mais, à ce moment, nouvel et gros ennui. Les expéditeurs ne peuvent plus arriver à se faire régler.[L'Allemange fait un chantage au réglement car elle souffre d'un déficit commercial avec la France] Les Lorientais pour un temps dont on ne prévoit pas la fin, doivent renoncer à des expéditions en Allemagne.
Au mois de mars 1935, nous avons alors exposé en détail cette situation dans nos colonnes.
Heureusement la région parisienne nous fournit tout à coup un débouché inattendu en 1936. La récolte devint déficitaire à Pontoise et on fit alors appel aux choux bretons. Ce qui a fait le malheur des uns a fait le bonheur des autres.
Cette situation ne dura pas. Les choux de Pontoise suffirent largement aux besoins de la capitale en 1937 et d’autre part nos choux lorientais ne purent être expédiés avant la fin de janvier à l’heure où déjà bien des commandes étaient faites.
[Cet article de février 1937, relate la crise du chou lors de la campagne 1936-1937 - où seulement 1.684 tonnes furent exportées. Les mauvaises conditions météo ont retardé la récolte sur Lorient et dégradé la qualité des choux. La production lorientaise est venue se téléscoper avec celle de Vannes (Séné) entrainant une chute des prix. La crise remonta à Paris comme l'indique cet article daté d'août 1937, aboutissant à un accord avec l'Allemagne, chou contre charbon.
Photo prise vers 1936-37 à Kerfontaine (Collection Odette Le Franc-Cadouarn). Camionette Ford à pneus plains, servant à aller vendre les choux de Séné sur les marchés de saint Jacut, Saint Gravé, Redon, Peilleac,etc.. Sur la photo à droite, Jean Marie LE RAY, exploitant à Brouel et à gauche, son beau-frère Joseph LE GAL. (Source bulletin munipal 11-1995)
LES PREMIERS ENVOIS
C’est le 28 décembre dernier (1937) que furent expédiés de Lorient le premier wagon grande vitesse et le 29 le premier wagon petite vitesse, partis de Lorient, soit une moyenne de 250 tonnes. C’est peu.
La récolte nous dit-on, parait inférieure à celle de l’an passé. La sécheresse de juillet et d’août en est la première cause, les gelées de fin décembre et janvier étaient d’un bon augure. Elles ne durèrent malheureusement pas assez longtemps. La saison des pluies que nous traversons n’est pas faite, actuellement pour favoriser les expéditions, bien au contraire ! La fermentation agit au cours du voyage.
[l'article est écrit en février; le chou est une denrée périssable et préfère les grands froids pour voyager même en train "grande vitesse".Les gelées d'hiver sont donc favorables pour le transport et la concurrence !]
Les gelées n’ont pas été assez fortes pour nuire aux choux de Pontoise, tandis que les nôtres plus robustes les supportent aisément. Nous ne pouvons donc pas cette année profiter de la vitalité de nos espèces. La région parisienne va pouvoir, comme en 1937 se suffire à elle-même.
Joignez à cela le chômage qui va grandissant.
UN BON SON DE CLOCHE : L’ALLEMAGNE VA REDEVENIR NOTRE CLIENTE
Est-ce à dire qu’il faut désespérer de la saison 1938 ? Pas du tout.
Souvenons-nous que l’un des principaux intérêts de notre production lorientaise est la durée. Alors qu’en fin février-mars, les autres régions de France sont complètement démunies de choux, nous en possédons encore, parfois jusqu’en mai et c’est ce qui a fait du reste que nous pouvons les vendre à des prix très rémunérateurs.
Et puis il y a un autre fait : Les expéditions pour l’Allemagne vont reprendre.
[La négociation bilatérale est la règle dans l'Entre-deux-Guerres. La France, sous la pression de ces agriculteurs, cherche des débouchés pour les productions et notamment le chou breton. L'Allemagne entend exporter son charbon. On négocie]
L’Allemagne a en effet décidé d’accepter pour 2 millions d’importations de choux. Or la région lorientaise est à peu près la seule région de France à même de donner satisfaction aux commandes.
Dans quelques jours vont commencer les expéditions pour l’Allemagne et nos exportateurs lorientais ont droit de bien augurer de l’issue de la campagne. Nos cultivateurs récolteront des choux et ils vendront à bon prix.
LES PRIX
Au début de chaque saison, les prix de 450 à 500 frs. la tonne sont pratiqués. Il en est ainsi cette année.
Mais ils ne tarderont pas à monter. Ils sont à l’heure actuelle tout juste rémunérateurs pour nos agriculteurs.
Il est peu probable néanmoins qu’ils revoient l’âge d’or de 1933, à l’époque d’une disette complète de choux en Allemagne où le prix de la tonne monta à 1500 frs. Par suite du reste de spéculation.
Sinagots au mouillage à Moustérian - 1951: au 1er plan un jardin avec des choux
.../...Fin de l'article de Ouest Républicain
La 2° Guerre Mondaile va éclater. A la Libération l'agriculture bretonne et morbihannaise va se moderniser. La culture du chou va toutefois persister mais en déclin pour approvisionner l'Alsace et les régions limitrophes en Allemagne. Par exemple sur Lorient on compte en 1954 que 400 ha de chou contre plus de 3000 ha vant guerre. Durant les Trente Glorieuses, la production va diminuer sous l'effet du cout de la maindo'euvre, de la désertification rurale et du changement d'alimentation des Français.
Photo extraite du nournal "La Liberté du Morbihan" 20 janvier 1955.
Charrettes de choux en gare de Lorient
Dans son livre, "Le Pays de Séné", Emile Morin rassemble un grand nombre de cartes postales anciennes et de vieilles photographies. Pour celle-ci montrant un champ de choux près de notre église, il écrit : "Un champ de choux. Jusqu'aux années 1950, les choux de Séné étaient renommés dans toute la région. Par cherrettes entières, les cultivateurs les envoyaient à la gare des marchndises pour être livrés en Alsace pour la choucroute. Tout au long du trajet des choux tombaient et les gamins se battaient pour les ramasser. Le champ que l'on voit ici se trouvait à l'emplacement de l'école publique mixte Françoise Dolt et de la rue du 19 mars 1962 (qui n'est pas encore construite)."
Un chargement de choux prêts pour l'expédition.
Sur la remaroque entre les cagettes : Jean LE RAY
Dans un article paru dans Ouest-France en mai 2018, Jean LE RAY, dont le grand-père mourut lors d'une livraison de choux en 1886 (voir ci-avant), agriiculteur en retraite à Kerstang se souvient : "Toutes les fermes de Séné faisaient du chou". "Ce chou, variété Milan, se plaisait en terre sinagote. les terres, fortes et argileuses mais aérées, convenaient à la culture de ce légume. Chaque paysan faisait ses propres graines à partir de la culture précédente. C'était un secret bien gardé et préservé".
Dans les années 1960, la moitié de la surface agricole utile est dédiée à la culture du choux. Les expéditions diminueront à cause d'un marché en déclin. Dans son documentaire de 1964, Moisan, immortalise un vieux Sinagot qui ramasse des choux dans son champ.
Dans les années 1970, on cultive encore le chou du côté de Brouel, comme le montre cette photo tirée du magazine paroissial "Le Sinagot" pour la consommation locale.
Jean RICHARD, grand témoin sinagot de son temps, se souvient dans ce même article Ouest-France.
Aujourd'hui, le choux de Lorient, le grand frère du chou de Séné, tente un nouvel essor au travers d'une démarche de qualité. Les agriculteurs de Séné doivent-ils monter dans le train à "grande vitesse" ou à "petite vitesse"?
Bibliographie :
Les Cahiers du Pays de Ploemeur, Darcourt pages 39-43
Histoire de Lorient n°3 avril 2011.
Séné d'Hier & d'Aujourd'hui - Camille Rollando.
Archives du Morbihan : article de presse.