Balades à Séné
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Marais Salants
Les salorges de Séné
L'extraction du sel dans les marais salants de Séné s'est développé de la fin du XVIII° siècles et jusqu'à l'entre-deux-guerre qui a vu la disparition des derniers paludiers de la commune.
Une fois le sel récolté dans les oeillets des marais salants, il fallait le stocker pour le metttre à l'abri de la pluie et ...des voleurs!
Tableau de Marcel MENTHENHOVEN Chemin de Morbihan vers 1935
Les douaniers en poste à Séné avaient pour première mission de veiller à la contrebande du sel en surveillant les les marais salants à partir de guérites disposées le long du littoral de Séné,Ils veillaient également à la sécurité du sel récoltés par les paludiers et les paludières, qu'il s'agisse des mulons (tas de sels) ou des salorges. Ces magasins de stockage du sel étaient régis par des régles que les douaniers devaient faire respecter.
Les marais de Séné ont compté jusqu'à 4 salorges à Billarec, à Kerbiscon, aux Quatre-Vents et à Michotte.
Billarec :
On fait mention d'un salorge à Billarec sans que l'on sache où le situer.
Kerbiscond :
Le dénombrement de 1841 répertorie le brigadier François REY, les sous-brigadiers Guillaume Deloget et Jean Cariaux, et 11 préposés des douanes (Jeffredo, Jego, Guillo, Quintin, Lerousique, Fily, Lefetisse, Lestutour, Jouanno, Digué et Leguentice) avec leur familles.
La cadastre de 1844 indique la présence d'une caserne dite de Kerbiscond, située près de la saline de Kerbiscond, mais que l'on ne confondra pas avec la ferme de Kerbiscond, quant à elle située au bout du chemin de Balgan.
Quant au salorge, il devait se situer à proximité de la caserne, sans doute le bâtiment figuré en rose sur ce plan en limite de la saline. Il faudrait faire des fouilles sur la parcelle n°0017 pour peut-être, retrouver les traces des fondations de la caserne et du salorge.
Quatre-Vents :
L'xistence d'un salorge près de la caserne des Quatre-vents nous est attestée par ces deux annonces d'adjudications publiques.
Le salorge était située sur la parcelle 217P, à quelques pas des fenêtres de la caserne. Il faudrait sans doute faire quelques fouilles sur la pârcelle n°0090, pour peut-être retourver ses fondations.
Michotte :
Le salorge de Michotte est parvenu jusqu'à nous. Le bâtiment en ruines est visible au sein de la Réserve de Falguérec.C'était le plus gros de magasins de stockage du sel extrait dans les salines de Séné. On peut regretter que cet élément du patrimoine paludier de Séné ne soit pas restauré en bonne intelligence avec la préservation de la quiétude des oiseaux...
Le plan de 1882 le nomme "usine" où d'ailleurs travaillaient plusieurs ouvriers comme en témoignent ces articles de presse qui relatent les médailles de travail qu'on leur a décernées.
LE SALINES DE SENE, par l'Abbé LE ROCH
3. DU MOYEN-ÂGE A LA REVOLUTION
LES SALINES DE SENE, PROPRIETE DU CHAPITRE CATHEDRAL DE VANNES
de 1721 à 1791
S1 l'on admet que les nombreux fours et ce pots d'augets, dont nous avons parlé dans un précédent article et qui ont été découverts à partir de 1902 sur les rivages de SENE, étaient destinés à la fabrication du sel marin, il faut dire que cette industrie remontait à une haute antiquité dans le pays ... Ces salines rudimentaires et miniatures (plutôt salières que salines; durent être abandonnées vers l'an -56, lors de l 'occupation romaine, à moins que ce ne soit plus tardivement, si elles ont continué à être exploitées par les Gallo-Romains.
Dans ce cas, elles furent délaissées lors des invasions barbares au début du Vème siècle. On sait qu'à cette époque, des hordes venues de l'Ouest et du Nord déferlèrent sur le pays, dévastant tout, semant la panique, le pillage et la désolation, l'incendie et la mort sur leur passage. Les lieux habités furent changés en déserts et toute vie cessa.
L'industrie du sel ne fut reprise semble-t-il dans le pays , du moins sur une grande échelle, que longtemps plus tard et sous une forme, suivant un procédé totalement différent. Les godets utilisés primitivement pour l'évaporation de l'eau et la cristallisation du sel disparurent ; les salines se modernisèrent et se transformèrent en marais salants. Le sel s'obtint alors sur de vastes surfaces: offrant au phénomène de l'évaporation de l'eau de mer une plus grande étendue. Il fut également transporté dans des récipients plus importants que les centaines de petits godets d'argile d'autrefois.
Il est difficile, écrit Amédée de Francheville, d'assigner une date certaine à l'origine des nombreuses salines qui ont fait jadis la richesse de notre contrée. Et l'auteur laisse entendre que l'industrie du sel a pu être implantée au pourtour du golfe du Morbihan, à SENE, et sur le littoral de Rhuys comme dans la baie de CARNAC, par une colonie de Saxons, de même que dans la presqu'île de GUERANDE et du CROISIC, à SAILLE.
On sait comment se fabriquait le sel, il n'y a pas si longtemps. La saline qui etait un relai de mer disposé pour la cristallisation du sel, avait pour accessoires la vasière ou réservoir d'eau de mer et le gobier qui servait à préparer cette eau avant de la faire entrer dans la saline. Celle-ci se subdivisait elle-même en oeillets, fares, adernes et appartenances. Ces divers compartiments, séparés par de petites digues hautes de
30 cm, étaient fermés au moyen de petites planches verticalement placées ; elles servaient aux paludiers à retenir les eaux nourricières et à les répandre dans les oeillets ou bassins d'évagoration. Les oeillets occupaient le milieu de la saline ; ils étaient rangés sur deux lignes parallèles et séparés par un étroit canal profond au plus de 15 cm. Les servitudes occupaient le reste de la saline. L'eau de mer, chauffée et préparée par l'action du vent et du soleil, en parcourant les sinuosités des canaux nourriciers, des fares, des adernes, des appartenances, était introduite dans l'oeillet à la hauteur de 7 cm. Le sel blanc, semblable à une glace, se formait à la surface. Le sel gris ou gros sel se déposait dans le fond de l'oeillet et se recueillait sur de petits plateaux ménagés au centre et nommés bordures. Il y restait jusqu'à ce qu'il soit ramassé en tas (mulon) ou amulonné. Une planche nommée laz, longue de 50 cm, servait à le recueillir. Une lousse ou pelle en bois, une baguette ou pelle concave également en bois, étaient les seuls outils. employés par les cultivateurs des marais ou paludiers.
Les chanoines du chapitre de VANNES viennent "se saler" ou plus exactement "se sucrer" à SENE.
Les revenus du chapitre cathédral n'avaient jamais été très importants ni les chanoines très riches. A diverses reprises, l'Evêque fut obligé de leur trouver des sources de revenus pour vivre honorablement. La plus ancienne dîme ou contribution attribuée au chapitre paraît avoir été celle provenant de Saint Patern de VANNES. L'Evêque Maengui donna vers 1080, la moitié de cette paroisse au chapitre et en 1177, son successeur, l'évêque Rotald, lui céda l'autre moitié. Devenu ainsi recteur primitif de Saint Patern, le chapitre perçut naturellement les dîmes de la paroisse ; elles se percevaient en nature sur les villages d'Arcal, le Versa et autres. Mais, en 1790, ce reste de dîme ne donnait plus que 4 perrées et demie de froment valant 121 livres 10 sols.
A cette époque reculée (XIe - XIIe siècles), SENE était¬elle déjà paroisse indépendante de Saint Patern? ... Nous l'ignorons, mais il semble bien qu'elle en ait été détachée au XIe siècle, après l'expulsion des pirates normands, lors de la restauration religieuse de la Bretagne.
Par une bulle du 23 septembre 1451, le Pape Nicolas V, pour venir en aide au chapitre, autorisa l'évêque de VANNES, Yves de Pontsal qui s'était adressé à lui au nom des chanoines, à unir six paroisses au chapitre, dont SENE. Les deux tiers des revenus de la paroisse appartiendraient au chapitre et l'autre tiers au recteur du lieu. Cette fois, l'appoint était sérieux. Les dîmes de SENE ou redevances écclésiastiques revenant au chapitre étaient affermées en 1521 pour 80 perrées de froment ; en 1790, elles rapportaient 47 perrées de froment et 30 perrées de seigle qui valaient alors environ 1,779 livres.
En 1720, la chute du système financier "Lavo" avait causé partout en France d 'effroyables ruines. De nombreux capitaux avaient été remboursés au chapitre cathédral de VANNES en billets de banque et ces
billets perdirent aussitôt leur valeur. Le chapitre, pour relever ses finances, sollicita du roi, par l'intermédiaire de l'évêque, la concession des terres vagues situées le long de la côte méridionale de SENE pour y établir des salines. Louis XV accorda au chapitre sa demande par un acte passé en conseil d'Etat le 7 février 1721, confirmé par lettres patentes du mois d'avril suivant, à la condition de payer une redevance annuelle de 30 livres au Domaine,
Dès 1725, le chapitre se mit à l'oeuvre et employa à l'établissement de nombreux marais salants, des capitaux considérables qui lui furent peu à peu remboursés par le clergé du diocèse. Ces salines avaient été installées à Kerbiscon, Dolan, Bindre, Falguerec, Broël, Micbsot et Kérarden. Elles furent par la suite, partagées entre les 14 chanoines qui formaient le chapitre, en réservant 491 oeillets pour la mense ou la table capitulaire et
54 pour le recteur de SENE. La part de la mense fut louée en 1740 pour 9 ans à raison de 4. 173 livres 10 sols par an. C'était comme on le voit, un joli denier.
Ces marais prirent bientôt de nouveaux développements, si bien que les salines qui rapportaient 3. 185 livres au chapitre en 1730, lui donnaient un revenu net de 15.556 livres en 1765. Trois ans plus tôt, on avait procédé, le 26 février 1762, en assemblée capitulaire à un partage définitif qui fut approuvé par l'Evêque et sanctionné par lettres patentes du roi. Dans ce partage, sur 2.511 oeillets, 1679 furent attribués aux chanoines et partagés entre eux et 832 furent réservés à la maison capitulaire pour payer ses charges. Le tout avait une valeur brute de 21 .408 livres par an, mais on déduisait les bénéfices des paludiers et la part du recteur. Il ne restait plus que 15.556 livres, dont 12.308 livres 10 sols pour les chanoines et 3.247 livres 10 sols pour leur maison,
Mais bientôt, la concurrence des sels étrangers vint arrêter la prospérité des salines de SENE; et, aux approches de la Révolution, il fallut aux chanoines faire de nouvelles économies.
Un état des biens et des charges du chapitre, fourni à 1l'administration civile en 1790, déclare qu'il avait trois sources de revenus dont la principale était l'industrie du sel de SENE :"les gros fruits comprenaient
les salines de SENE". La part réservée aux chanoines était alors de 1.662 oeillets qui produisaient à peine 10.000 livres au total.
La valeur relative de la livre changea beaucoup avec le temps : en 1275, la livre valait 113 Fr de notre monnaie de 1900 ; en 1325, elle valait 82 Fr et en 1375 seulement 55 Fr, tandis qu'en 1425, elle ne valait plus que.
40 Fr et en 1475 : 35 Ff. La dévaluation des monnaies ne date pas d'aujourd'hui.
Mais, voici que la Révolution éclate et que l'Assemblée Nationale confisque tous les biens écclésiastiques. Les salines de SENE furent vendues à leur tour. Le 16 mars 1791, M. LE MAUFF achetait 75 oeillets à Michot pour 16.000 livres. Le 30 mars, M. GUILLEMOT acquit 103 oeillets à Dolan pour 5.425 Fr. Du 20 au 30 avril, M. PERIER de LORIENT se fit adjuger le plus gros lot, soit 2.333 oeillets à Kerbiscon, Bindre, Falguérec, Brouel et Kérarden pour 282.550 livres. Ainsi disparut, emportée par les acheteurs de biens nationaux, cette propriété écclésiatique : les salines de SENE, ayant appartenu au chapitre cathédral de VANNES pendant 70 ans.
Nous terminons cette étude sur les salines de SENE par une référence à la vie admirable du bon pasteur que fut M. Pierre LE NEVE, recteur de la paroisse de 1721 à 1749. Depuis plus de 15 ans (1705), il était vicaire à
Saint Patern, lorsque Monseigneur FACON, évêque de Vannes, le nonnna à la curé de SENE le 12 mars 1721. Prêtre mortifié, aimant la pauvreté et charitable à l'extrême, il conquit très tôt et d'emblée le coeur de ses paroissiens. Non seulement il s'occupait de leurs besoins spirituels, mais rien de ce qui regardait leurs intérêts temporels ne lui était étranger. Lorsqu'on établit les salines à SENE en 1725, il s'en affligeait à cause de l'embarras que devraient avoir les pauvres gens pour trouver à l'avenir un lieu propre à faire paître leurs bestiaux. Comme on voulut lui faire entendre que ces salines augmenteraienc les revenus du presbytJre : "Beau profit vraiment, répondit-il, on donne à ceux qui en ont et l'on ôte à ceux qui n'ont pas !" Tel était le détachement de ce bon recteur qu'il se refusait le nécessaire pour soulager les pauvres et qu'il n"estimait les biens de la terre qu'autant qu'ils lui fournissaient le moyen de taire des aumônes. Il en répondait d'abondantes jusque dans les faubourgs de Vannes. L'Evêque lui ayant demandé un jour quel était le revenu exact de son bénéfice : "Il vaut autant que votre évêché Monseigneur, répliqua-t-il, il vaut le paradis ou l'enfer !" Parole pleine de sens et qui montre combien était grande la vivacité de sa foi : il comprenait bien que son salut était attaché
à celui de son peuple.
Les douaniers de Séné en 1841
La consultation du plus ancien des dénombrements de la population de Séné réalisé en 1841 permet de localiser la population de douaniers et leur famille à Séné. Les cadastres de 1810 et 1844 situent quelques postes de douanes et des casernes de douaniers sur notre commune.
Que nous apprenent ces documents sur la présence des douaniers à Séné entre 1840-1845 ?
On note 6 implantations de familles de douaniers à Séné dans le dénombrement de 1841: au bourg, à la caserne de Kerbiscon, à la caserne des Quatre Vents, à la caserne de Billerois, à Michotte, au Poste de Gorneveze et à Brarrach.
- Caserne de BILLEROIS : le cadastre de 1844 mentionne une caserne de Billerois sur l'île de Mancel et indique un autre bâtiment près de la digue Lorois à la pointe du Bil.
Sur l'île de Mancel, ce mur de pierres est sans doute le vestige du corps de garde mentionné sur le cadastre. Il y avait un chemin ici figuré sur le cadastre en noir qui menait à un bâtiment sur l'île de Mancel.
Le dénombrement de 1841 nous indique que la caserne de Billerois est organisé autour d'un brigadier, d'un sous-brigadier et de 8 préposés des douanes. Les familles apparaissent les unes après les autres et on peut penser à un seul lieu de domicile du type caserne ou à des logements voisins. 10 familles de douaniers vivent à Billerois. Etaient-elles logées dans l'actuelle ferme de Bilherbon car les batiments figurés sur Mancel ou à la pointe du Bil, ressemblent plus à des lieux de guet qu'à des logements.
- Caserne de Kerbiscon :
On ne confondra pas la ferme de Kerbiscond, située au bout du chemin de Balgan, avec la cserne de Kerbiscond situé au plus près de la saline de Kerbiscond, la plus au nord des marais salnts de Séné.
Les cadastres de 1810 et de 1844 indiquent clairement la présence d 'une caserne à Kerbiscon avec un salorge au plus près des salines. L'effectif en 1841 compte le brigadier François REY, les sous-brigadiers Guillaume Deloget et Jean Cariaux, et 11 préposés des douanes (Jeffredo, Jego, Guillo, Quintin, Lerousique, Fily, Lefetisse, Lestutour, Jouanno, Digué et Leguentice) avec leur familles. Le bâtiment est aujourd'hui disparu.
- Douaniers de Michotte :
Une forte population de douaniers est établie à Michotte comme l'indique l'extrait du dénombrement de 1841. Un brigadier, un sous-brigadier et 7 préposés y sont recensés.
Où logeaient-ils ? Les cadastres ne mentionnent pas de "caserne" près de Michott, à moins qu'il ne logeassent à Dolan dans une longère [à vérifier].
Le positionnement d'un gros effectif de douaniers à Michotte répond sans doute à l'existence d'un grenier à sel, nommé l'usine sur la carte de 1882. une salorge en plein milieu des salines. Il fallait vieiller sur ce tas de sel, cet "or cristallin" des paludiers.
Ces douaniers devaient détacher quelques préposés pour guetter la sortie de la rivière de Saint-Léonard. La petite construction encore visible sur l'île de La Garenne etait-elle un poste de guet ? Ce poste d'observation complèterait bien un dispostif d'observation poursuivant sa pointe de Boëdic et la guérite à Barrarach, pour contrôler les mouvements de barques.
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- Corps de garde de Bellevue :
Le corps de garde de Bellevue ou patache des douaniers est encore visible sur la butte de Bellevue non loin de la croix. Lire article dédié.
Ce poste de garde était un lieu de travail pour les douaniers établis avec leur famille à Barrarach. En 1841, on recense le brigadier Charles JEHANNO et sa famille, les préposés Honoré EHQUET, MARCADET Jean et EVENO Joseph. Depuis la guérite de Bellevue? ils peuvent surveiller le goulet de Conleau. Le dénombrement de 1841 révèle que la famille nombreuse du préposé MARCHAND loge à Langle.
Pour contrôler les allés et venus d'embarcations entre les salines de la rivière de Saint Léonard et la sortie du Golfe, on peut penser que la Douane de l'époque avait installé des points de guet sur le littoral. On sait que la chapelle de Boëdic a pu être à l'origine une guérite de douaniers (lire article associa). Le préposé des douanes de Barrarach-Langle devaient également prendre une barque et aller en poste sur Boëdic.
- Douaniers du bourg :
Au bourg de Séné vivent 7 familles de douaniers. Un brigadier encadre 6 préposés. Où logeaient ces familles ?
Les salines les plus proches sont à Rosvellec sur Vannes en face Cantizac. Ensuite le marais de Languersac délimité par le Pont Lisse et ensuite les salines du Morboul. Mais à Gornevze, il ya aussi un effectif de douaniers.
On peut émettre l'hypothèse que la Douane a souhaité quadriller le territoire, se répartir dans les hameaux de Séné au plus près de la population. Une sorte de "douane de proximité". Proximité qui aboutira à de nombreux mariages entre enfants de douaniers et jeunes Sinagots et Sinagotes.
- Poste de Gorneveze
Le dénombrement de 1841 ne parle pas de caserne mais de "Poste de Douane" pour recenser les familles de douaniers logés à Gorneveze.
Le poste regroupe un brigadier, un sous-brigadier et 10 préposés aux douanes et ne mentionne aucune famille. On peut penser alors à un effectif de "célibataires" logés dans une caserne. Où était-elle ?
La cadastre de 1844 mentionne une guérite en bordure de la saline de Morboul dont on a une vue anicenne car aujourd'hui elle est disparue, et un bâtiment de l'autre côté de la rue.
Etait-ce la "caserne" ou bien ces douaniers logeaient-ils au village de Gorneveze ?
Le poste de Gorneveze et son effectif de douaniers devait à la fois surveiller les salines du Morboul, de Languersac mais à l'opposé, les salines du Porhic et de Boëd. On peut supposer que les préposés se rendaient sur Boëd à marée basse ou prenaient une barque.
- Caserne des Quatre-Vents :
Le plus gros des effectifs de douaniers à Séné, comme nous l'indique le dénombrement de 1841, est à la Caserne des Quatre vents. La caserne abrite 1 lieutenant des douanes, 2 brigadiers, 3 sous-brigadiers, 1 receveur des douanes et 1 visiteur des douanes ainsi que 22 préposés.
La bâtiment est figuré au cadastre de 1810 et sans doute aggrandi et doté d'un poste de garde avant 1844. Le leiu semble fourni en eau potable.
Vue de la Caserne des Quatre Vents au début du 20°siècle.
On y distingue le bureau du receveur.
Les douaniers partis de Séné, la caserne des Quatres Vents sera réhabilitée en colonie de vacances catholique puis en logements qui existent encoure.
A ces lieux de vie et de travail attestés par des documents, Camille Rollando ajoute une localisation au Versa, à Cadouarn, Canivarch, Cariel et Montsarrac.
Il est vrai que les poste de guet étaient parfois très rudimentaires commesur cette photo. Sur l'île de la Villeneuve subsiste une consctuction en contre-bas d'un sentier ? Etait-ce un poste de douaniers ?
Ainsi en 1840-1845, Séné abrite plus de 80 agents des Douanes, dont 1 lieutenant, 8 brigadiers, 8 sous-brigadiers, un receveur et un visiteur des douanes et une vingtaine de préposés. Leur uniforme devaient être proche de ces représentations.
L'anse du Bil (Digue Lorois) par Camille ROLLANDO
SOCIETE POLYMATHIQUE DU MORBIHAN
ATELIER TOPOGRAPHIQUE HISTORIQUE
Château Gaillard – 2 rue Noé – VANNES
L’ANSE DU BIL DE SENE
Par Camille Rollando
AVANT PROPOS : wiki-sene présente ici un travail de Camille ROLLANDO complété d'apports photographique et cartographique.
PRÉFACE
A nos fidèles lecteurs des productions de l'Atelier topographique mis en place par la Société Polymathique du Morbihan je souhaite, pour leur plus grand profit, que la brochure n° 6 satisfasse a leur curiosité en apportant des réponses à des questions restées longtemps indécises. Tel est le cas, pour le moins, de l'un d'entre eux, en la personne de votre serviteur.
A l'époque des faits rapportés ici, les habitants de la presqu'île de Rhuys ne disposaient, pour rendre visite à la cité des Vénètes. que du joyeux « petit train du CM » et des services imprécis de quelques bus prives cahotant et ahanant dans les rares côtes les séparant du chef-lieu. Restait, bien entendu, l'initiative privée, fondée pour l'essentiel sur les vertus du char à banc et le succès, grandissant, de la bicyclette individuelle. En ce qui me concerne et compte tenu de mon très jeune âge dans le premier cours des années vingt, je bénéficiais des avantages d'une selle adaptée à ma taille et fixée sur le cadre de la bicyclette paternelle, complétée d une paire d'appuie-pieds montés sur la fourche de la roue avant. Nous utilisions couramment le « passage de Saint-Armel » où officiait Louis Le Gai à bord du « Séné » (5 sous pour la bicyclette, 2 sous par passager).
Dans l'insouciance et l'ignorance de mon âge je ne m'inquiétais guère des « contraintes de la marée » qui paraissaient beaucoup marquer les conversations des grandes personnes, déterminantes pour la fixation des heures de dépari et de retour! J'ignorais, bien entendu, l'importance de l'événement que décrit notre publication II me semblait étonnant, toutefois, qu 'en certaines circonstances nous avions, sur le trajet compris entre le carrefour du chemin d'Ozon et le pied de la colline de Montsarrac, à patauger dans l'eau. D un cote s- 'étendait un bois de pins complètement envahi par des eaux qui. dans le même temps, mondaient la cour de la ferme voisine De l'autre côté une bergerie juchée sur un monticule dominait curieusement un paysage maritimo-rural • les haies des anciens champs, encore plantées de leurs arbres et buissons émergeaient curieusement de la mer: à marée basse se distinguaient encore très nettement les sillons qui, peu a peu, se couvraient d'algues insolites. Rouler dans l'eau ne m'inquiétait guère mais lofait, malgré ma naturelle confiance en la sagesse des adultes, ne laissait pas de m'étonner quelque peu.
Le commandant Camille Rollando, aujourd'hui, répond à toutes les questions que je pus me poser dans les années qui suivirent. Son enquête exhaustive me révèle les raisons d'un phénomène qui marqua l 'étonnement mêlé d'une certaine inquiétude que je ressentais alors. L'anse de Bilherbon, extraite des eaux par la volonté des hommes, était retournée à ses destinées premières.
J'ai pris un plaisir particulier à découvrir le sujet qui fait la substance de notre publication de ce jour. Je souhaite qu 'il en aille de même pour tous.
Yves LE BŒUF.
L'ANSE DU BIL EN SENE
ENDIGAGE ET ASSÈCHEMENT
Si l'on remonte à des temps très anciens, la période préromaine par exemple, cette baie, sans doute, n'existait pas. La côte devait offrir une ligne continue et ne faire qu'un seul bloc avec les terres environnantes. Au cours des siècles, la mer a poursuivi son travail de sape et découpé le rivage en creusant cette petite rade artificielle.
Carte de Cassini : Les villages de Moustérian, Kerleguen, Kerarden, Motsarrac ou encore Cressignan et Michot sont figurés. La chapelle d'Auzon et le moulin de Bilherbon avec une roue sont précisés ainsi que les maisons au Passage. L'anse est ouverte sur le Golfe du Morbihan.
Carte du XVIII°siècle (1771-1785) : On reconnait le cordon de terre que constitue la pointe du Bil avec à son extrémité une peit îlot. L'île de Mancel est figurée séparé par l'asne de Barbon avec au fond le moulin à marée de Bilherbon et derrière la digue l'étang d'Auzon. De l'autre rive de l'île Mancel le cartographe a figuré le "ruisseau" laissé à marée basse par la mer. Cet espace se couvre à marée haute et la mer vient entourer l'île de Mancel et mouiller la côte à Montsarrac. Au sud, un chapelet d'ilôts est figuré dont le Pechit, Senague (la Villeneuve).
D'après les croquis datés du début du XIXème siècle, voici comment devait se présenter l'anse du Bil avant que la main de l'homme intervienne.
Venant du golfe, la mer pénètre entre l'extrémité du Bil de Moustérian à gauche et un îlot appelé Bechic à droite. Celui-ci est séparé de l'île de Peschit ou Senage que nous appelons aujourd'hui le Trech. Bot-Spemen est lui-même un îlot qui, comme son nom l'indique, est couvert de landes et de ronces (en breton : bosquet d'épineux) ; plus tard un large muret en maçonnerie le reliera au village de Montsarrac. On ne sait pas très bien à quelle époque il a été édifié, mais nous avons connaissance d'un procès-verbal d'experts maritimes, en date du 24 novembre 1786, venus constater l'état de vétusté de l'embarcation du passeur de Saint-Armel et réclamant la construction d'une chaussée pour faciliter l'embarquement des bestiaux.
TOPOGRAPHIE DU SITE
L'anse du Bil est située entre le bourg de Séné et le passage de Saint-Armel. Reportons-nous à la reproduction partielle d'une carte levée en 1820 par l'ingénieur hydrographe Beautemps-Baupré. (Cf.- carte page 2).
On y voit la baie, avec l'îlot Mancel en son milieu, ceinturé par les villages de Moustérian, Auzon, 1 Kerleguen, Kerarden et Montsarrac. En en faisant le tour, dans le sens des aiguilles d'une montre à partir del'embouchure, on laisse à gauche les anciennes salines de Moustérian, Auzon avec sa petite chapelle... Pour la petite histoire, ce hameau était autrefois une métairie noble qui appartint successivement de 1530 à 1781 aux sieurs Garlot (ou Curso), du Fossé et de Francheville. La chapelle, dédiée à saint Sébastien, fut édifiée près de la ferme-manoir ; elle a dû disparaître vers 1840-1846 car une partie de ses matériaux servirent à la construction de la chapelle de Kerarden en 1846 et dans laquelle on a transféré les statues de saint Roch et saint Sébastien. Emest Rialan, de la Société Polymathique du Morbihan (S.P.M) y a vu ses ruines en 1856, dans lesquelles il a découvert de nombreuses tuiles à rebord (tegulae) ainsi que des pierres brûlées par le feu, ce qui laisse à penser qu'il y avait là auparavant une habitation romaine.
Au fond de la baie existait autrefois un moulin de mer dit moulin du Herbon avec sa digue de retenue qui, plus tard surélevée et renforcée, deviendra le chemin d'intérêt communal IC 99, appelé chemin de Vannes à Pencadénic. Ce moulin, qui fonctionnait au rythme des marées, est signalé vers 1780 sur les cartes de Cassini (géographe de Louis XV) mais on n'en trouve aucune trace dans les archives. On peut raisonnablement penser, qu'à l'instar de celui de Cantizac, il était une dépendance de la sieurie noble d'Auzon.
On longe ensuite la côte ouest de Montsarrac puis on arrive à Bot-Spemen où sera plus tard construit, par le comte de Castellan, un château, actuellement propriété d'un industriel parisien.
Nous arrivons enfin au Peschit pour fermer la boucle. Ce site, bien connu des archéologues de la S.P.M. a été prospecté entre autres, par le Dr Lejards, le Cdt Baudre, Y. Rollando et Y. Coppens qui y ont découvert de nombreux vestiges d'augets et fours à augets gallo-romains. Beaucoup de ces objets sont d'ailleurs entreposés dans notre Musée.
DES PROJETS AMBITIEUX
L'histoire de l'anse du Bil a ses origines dans la 2° moitié du XVIIIème siècle, vers la fin du règne de Louis XV. A cette époque, les finances de la France, conduites par le chancelier de Maupeou et l'abbé Terray n'étaient guère brillantes. Ils décidèrent de prendre un certain nombre de mesures et parmi celles-ci, la promotion des produits du sol. Encouragées, des sociétés d'agriculture virent le jour dans tout le pays. En 1770, Parmentier vulgarise la pomme de terre. Des économistes suggérèrent d'assécher des marais afin de gagner des terres agricoles et l'Etat proposa d'accorder une exemption de dîmes et d'impôts pendant 20 ans à ceux qui réaliseraient ces assèchements. C'est ainsi que le financier nantais Graslin procéda avec succès à cette opération sur les marais de Donges et de Savenay. L'idée était bonne, d'autres la reprirent, en particulier un autre nantais, Pierre Joseph Couillaud de la Pironnière.
Période ancien régime :
Ce financier conçut le projet ambitieux d'assécher une bande de 1 300 hectares sur le pourtour du Golfe du Morbihan, dont l'anse du Bil. Les terrains furent concédés par ordonnance royale le 1er mai 1770, sous condition que l'assèchement soit effectué dans un délai de 10 ans. Mais M. de la Pironnière dut capituler devant l'hostilité générale des paroisses riveraines et à l'expiration du délai, présenta un nouveau projet plus modeste. Cette nouvelle concession fut accordée par un arrêté du Conseil d'État en date du 12 décembre 1780, avec les mêmes conditions de délais d'assèchement. Mais les réactions furent aussi violentes et M. de la Pironnière, déjà valétudinaire, mourut vers 1785. Sa veuve, héritière des droits, n'eut pas le courage de poursuivre et, avec la période révolutionnaire, le projet demeura en sommeil durant une vingtaine d'années.
Sous l'Empire :
Il refait surface sous l'Empire avec les sieurs Martin et Lorois de Nantes. Ce dernier avait jeté son dévolu sur les marais du Poul en Saint-Armel et surtout l'anse du Bil en Séné, qui nous intéresse ici. Il écrit donc une longue lettre, en date du 5 octobre 1821, au préfet, comte de Chazelles, pour demander l'acquisition d'une anse qu'il signale comme improductive et recouverte à chaque marée, et réaliser son assèchement.
Pour appuyer sa requête, il en montre les avantages :
1.- Augmentation de la matière imposable en rendant productif un terrain inutile : d'où avantage pour l'État.
2.- En livrant à la culture une quantité considérable de terrain (100 hectares).
3.- En employant pendant longtemps un grand nombre d'ouvriers.
Malgré les oppositions des riverains, le préfet émet un avis très favorable.
Cadastre napoléonnien :
A la Restauration :
L'ENTENTE EST LOIN D'ÊTRE CORDIALE
-21 Janvier 1822 : Réaction du conseil municipal de Séné.
... Il fait valoir les préjudices que l'assèchement entraînerait... les marins riverains du village de Moustérian n'ont d'autres mouillages pour leurs chaloupes, par mauvais temps, que la lande du Bil... si l'entrepreneur ne leur fournit pas un autre port, 24 chefs de famille seront obligés de quitter leur village... les laboureurs du même village éprouveraient la perte d'un marécage qui s'étend jusqu'à la métairie d'Auzon et qui sert de pâturage à une centaine de bestiaux à marée basse... que les habitants de Kerleguen, Kerarden et Montsarrac seraient privés du « béhain » qui sert habituellement d'engrais pour amender les champs...
Le 24 juin 1824, le ministre des Finances demande au préfet de lui fournir un rapport détaillé sur cette affaire et lui donner son avis ainsi que celui des personnes compétentes.
- 7 Juillet 1824 : Ordonnance du roi Louis-Philippe.
... Vu la demande des sieurs Martin et Lorois de la concession de sept lais de mer faisant partie de celles concédées précédemment au sieur Couillaud de la Pironnière (qui n'a pas rempli les conditions de la concession).
...Vu les avis favorables du préfet du Morbihan, du directeur des Ponts et Chaussées, du directeur de l'administration des Domaines.
...Vu l'article 41 de la loi du 16 septembre 1807 qui laisse, en dernier ressort, au gouvernement le soin de concéder les marais, lais et relais de mer.
...Donne son accord et concède au sieur Edouard Lorois l'anse du Bil située sur la commune de Séné, contenant environ 100 hectares, sous certaines conditions rédigées en 10 articles... en particulier que le dessèchement et l'endigage devront être effectués en trois ans et que tous les frais de défrichement seront à sa charge.
Un procès-verbal de reconnaissance est délivré, signé par le maire et deux membres de son conseil, l'ingénieur des Ponts et Chaussées et le représentant du préfet.
L'ENDIGAGE, UN TRAVAIL DE TITAN
Les travaux commencent très rapidement pour se terminer vers 1827, mais en réalité, les finitions et l'assèchement se poursuivent jusqu'en 1830. L'ouvrage principal est une digue de 200 mètres de long, 15 à 20 mètres d'épaisseur et 5 à 6 mètres de haut au milieu du chenal.
Un système de vannage est installé, qui aura un double effet, soit laisser entrer une certaine quantité d'eau de mer pour alimenter les salines de Billorois situées dans les terres basses, soit au contraire pour évacuer les trop-pleins d'eau douée vers la mer. Cette digue barre le passage entre le Bil de Moustérian et l'îlot Bechic. Un remblai de maçonnerie appelé petite digue sera établi entre Bechic et le Peschit, passage relativement étroit et peu profond. Un certificat « ad hoc », en date du 31 juillet 1834, de l'ingénieur de l'arrondissement du Sud certifie que « les travaux fort difficiles ont été bien exécutés et n'ont été terminés qu'en 1830, date à laquelle l 'endigage et l'assèchement sont complets ».
Cadastre 1844 : ainsi apparait le polder une fois construite la digue "Lorois". La caserne des douanier à Bilorois est figuré sur l'île de Mancel.
LA VALSE DES PROPRIÉTAIRES
Edouard Lorois, né en 1792, mène parallèlement une carrière préfectorale. Sous-préfet de Châteaubriant en 1815, il est nommé préfet de Vannes en 1830, puis conseiller d'État de 1843 à 1848, date à laquelle il sera révoqué à l'avènement de la IIème République. Ce sont ces activités importantes qui vont l'amener, sans doute, à vendre ses biens quelques années plus tard ;
-Le 31 août 1833 : II cède les 2/3 de sa propriété au sieur Augustin Septiivres, c'est-à-dire la ferme de Bilherbon avec ses dépendances (66 hectares). L'ensemble comprend :
1.- Des biens immeubles dans la partie dite du « Bil Lorois », à l'exception des marais salants et de leurs dépendances ainsi que la caserne des Douanes en construction.
2.- Dans l'étang du Herbon, chaussées et dépendances achetées en 1822 à Louise Le Courvoisier, Vve Le Blanc Lacombe.
3.- Divers autres bâtiments construits par M. Lorois sur des parcelles achetées à des particuliers. - Toute cette propriété passera par la suite entre les mains de MM. O'Murphy, de Castellan et de Bouan du ChefduBos.
- Le 5 Septembre 1835 : II vend le 1/3 restant à M. de Castellan qui le cède, à son tour, à M. de Bouan, son cousin (la mère de M. de Castellan était née Anne Sophie de Bouan) qui va exploiter la propriété jusqu'à la fin du siècle. Les cultures pratiquées seront celles classiques de la région : blé, avoine, pommes de terre, choux et même du jonc utilisé pour ligaturer les gerbes de blé. Bien entendu, herbages et pâturages pour les ovins et bovins. Plus tard on verra un élevage de chevaux de boucherie.
Les décennies suivantes seront une période faste pour cette partie de la commune. Outre l'exploitation intensive de ces nouvelles terres agricoles, une usine de produits chimiques vient s'implanter à la Garenne près de Montsarrac en 1853, à l'initiative des frères Lagillardaie, négociants à Vannes. Cette usine, destinée à transformer les goémons et varechs en sulfate de potasse, chlorure de potassium, iode, brome, alun, chlorure de sodium, etc., utilise une main-d'œuvre non négligeable.
Cadastre en 1866 : Le trait noir épais montre les chemins et la voirie.
LES ENNUIS VONT COMMENCER
- Le 8 Juin 1901 : M. de Bouan vend la ferme de Bilherbon avec ses dépendances (66 hectares) ainsi que charrettes, instruments aratoires, pailles, foins, bestiaux, etc. à Mme Rohiing née Anna Eugénie Jégo et à M.Rohiing son époux, banquier en Hollande. La digue est comprise dans l'acte de vente. Le tout pour la somme de 60 000 francs. Dans l'acte, une clause stipule que l'entretien de la digue est entièrement à la charge du propriétaire.
Une partie du reste (22 hectares) sera vendue plus tard à M. Brouard, marchand de bois à Saint-Brieuc qui la cédera ensuite à M. Fleury, boucher à Vannes, M. de Bouan se réservant 14 hectares
- Le 28 Juillet 1912 : Une pétition de plusieurs cultivateurs adressée à la préfecture, signale le mauvais état de la digue de Bilherbon qui menace de se rompre et pourrait submerger environ 200 hectares. Ils signalent aussi que M. Rohiing, banquier à Amsterdam, a été prévenu mais n'a rien fait
- Le 22 Septembre 1913 : Lettre du conseiller général M. Marchais au préfet.... Il signale une fois de plus les grands dangers que fait courir l'état actuel de la digue. Il est certain qu'elle cédera à la première tempête. Il en résultera une inondation considérable... Il serait souhaitable que l'administration intervienne et fasse exécuter, au frais de qui de droit, la réfection qui s'impose. 1914 c'est la guerre ! La préfecture estimant la propriété Rohiing délaissée et mal exploitée, la fait occuper par une escouade militaire.
- Le 18 Juin 1917 : Rapport du subdivisionnaire des Ponts et Chaussées
... Il y a urgence à procéder à la réparation de la digue, pour éviter un désastre avant la prochaine marée d'équinoxe. M. Rohiing, à qui incombe entièrement les réparations, n'a pas donné signe de vie depuis longtemps et ne répond à aucune lettre... En désespoir de cause et comme les ouvriers se font rares (c'est la guerre), l'autorité militaire qui exploite la ferme de Bilherbon pourrait envisager l'emploi de main-d'œuvre militaire. Le capitaine Ferron du 35cme régiment d'artillerie, qui dirige la ferme, a visité la digue accompagné de l'ingénieur des Ponts et Chaussées.
- Le 30 Décembre 1920 : Lettre du préfet à l'ingénieur des Ponts et Chaussées.
... Il signale que le rapport de son prédécesseur est toujours d'actualité, à ceci près que la ferme n'est plus exploitée par le 35emc régiment d'artillerie, mais par M. Théodore Laudrain, cultivateur à Kerleguen... Divers autres courriers insistent sur l'état critique de la digue et devant le silence de la propriétaire, Mme Rohiing, il est suggéré la création d'une association syndicale libre.
PREMIÈRE RUPTURE DE LA DIGUE
Les années suivantes l'état de la digue reste précaire et ce qui devait arriver arriva : la rupture depuis si longtemps annoncée.
- Le 22 Décembre 1925 : Une effroyable tempête ravagea les côtes morbihannaises causant d'immenses dégâts à terre comme en mer. A Bilherbon, une brèche de 20 mètres s'ouvrit dans la digue et la mer en furie s'engouffra, submergeant environ 130 hectares des terres basses cultivées appartenant pour la plus grande partie à Mme Rohiing et pour des moindres parts à Messieurs Fleury et Brouard.
MOBILISATION DES PROPRIÉTAIRES EXPLOITANTS
- Le 29 Mai 1926 : Un projet d'association syndicale est rédigé par M. Charles Pleyber, géomètre expert. II est equTyal27 hectares submergés contre 23 hectares émergés. Il évalue le montant des travaux à 122 825 francs.
Voici la liste des propriétaires (gros et petits) concernés :
- 10 Janvier 1928 : Première assemblée générale de l'association syndicale.
Les membres qui la constituent sont : Mme Rohiing (d'office), R. Fleury Dr. Bérard, E. Savaiy, Mme de Bouan Dr Canet.Melle Robino, F. Le Franc, J-F. Le Ray, Mme Vve Noblanc et la commune de Séné, propriétaire du chemin IC 99.
Quatre personnes refusent d'adhérer au syndicat : F. Le Franc, J-F. Le Ray, la veuve Noblanc et la commune de Séné qui demande à consulter au préalable le conseil municipal.
Peu de temps après, le conseil se réunit et décide, non seulement d'adhérer mais d'octroyé,^une ^et^^^^^^^ étaient prévus.
Les statuts sont déposés le 10 mars 1928 par le président R. Fleury. Tous les fonds ayant été recueillis, la digue sera réparée sous la direction de M. Charles Pleyber, maître d'œuvre et conseiller technique du syndicat.
INERTIE DES PROPRIÉTAIRES DE LA DIGUE
- 6 Août 1929 : Assemblée générale du syndicat en présence de M. Le Corvée, adjoint au maire et le Dr. Besse conseiller général, représentant le préfet. Le bilan financier à ce jour indique 164 410 francs de recettes et 150 885 francs de dépenses. Il reste donc un avoir en caisse de 13 525 francs.
L'assemblée demande au préfet de désigner un séquestre des biens de Mme Rohiing qui se dérobe à toute communication et ne règle pas ses contributions qui se montent à 20 000 francs.
- 1er Janvier 1932 : Lettre adressée par le syndicat au préfet, faisant un historique succinct des événements. Elle indique qu'en 1901, les propriétaires du lais de mer de 65 hectares, cédé à Mme Rohiing née Anna Jégo et mariée à un banquier hollandais, devaient par contrat se charger intégralement de l'entretien de la grande digue et de sa restauration pour deux tiers de la dépense en cas de dégradations par des événements de force majeure.
En 1911, l'ouvrage montra des signes de fatigue, Mme Rohiing fit faire (mal) quelques petites réparations, s'en désintéressa jusqu'en 1914, date à laquelle elle disparut de la circulation, à tel point que, pendant la guerre, la propriété fut occupée au titre des terres vacantes par la préfecture. La guerre terminée, elle revint à Vannes percevoir le montant de ses loyers, puis on n'eut plus de ses nouvelles que par la poste restante d'Orléans, La Rochelle et Besançon. Depuis 1928, plus rien...
L'ASSOCIATION SYNDICALE SE FÂCHE
- 6 Octobre 1934 : Procès-verbal déposé au Greffe du tribunal civil de Vannes par Me Camenen à la demande de M. Charles Pleyber, pour poursuites et saisie à l'encontre de M. et Mme Rohiing.
Objet concerné : vente sur saisie immobilière de la propriété de Bilherbon comprenant : bâtiments d'habitation et d'exploitation (cours, granges, écuries, courtils, aires, jardins, prés, pâturages, terres labourables, friches, landes, marais etc.).
Amende de 5 000 francs à payer à M. Pleyber.
La saisie immobilière est signifiée aux consorts Rohiing ayant demeuré à Bordeaux n° 3 rue Gobineau et actuellement sans domicile en France.
L'ensemble de la propriété est cadastrée du n° 184 au n° 313 et concerne Bilherbon, Billorois et le Bechic pour une superficie totale de 63 ha 65 a 83 ça.
Origine de la propriété : Melle Anne Eugénie Jégo, demeurant à Bordeaux, n° 3 rue Gobineau pour l'avoir acquise de M. Henri du Bouan du Chef du Bos et de Mme Anna du Gargouet, son épouse, demeurant ensemble au Val Bouan, commune de Planguenoual (Côtes du Nord).
La vente est faite pour payer les créanciers. - Art. 20.- la propriété est englobée dans le périmètre de l'association syndicale du lais de mer de Bilherbon, chargée de l'entretien des ouvrages de défense contre la mer. - Art. 21.- la mise à prix initiale sera de 35 000 francs en un seul lot.
- Novembre 1934 : Lettre de l'association syndicale au préfet.
Elle dit ceci : l'association a été créée par arrêté préfectoral du 10 mars 1928 pour la restauration de la digue détruite le 22 décembre 1925 et pour la défense contre la mer qui avait envahi 150 hectares. L'association comprenait 10 propriétaires (plus la commune), dont Mme Rohiing possédait la moitié du terrain. Elle avait totalement disparu depuis 1914 et n'a pas participé financièrement aux travaux. Les dernières réparations dataient de 1910 et c'est à cause d'elle que s'est produit le désastre. En conséquence, la propriété sera vendue le 18 décembre prochain.
La vente se fait à la bougie. A la première bougie l'enchère monte à 52 000 francs. Deux autres bougies sont brûlées sans succès. Finalement la propriété est adjugée pour la somme de 52 000 francs à M. Le Peivé Pierre, veuf de Marie Josèphe Périgault. La vente est enregistrée à Vannes, le 22 février 1935.
Vers la même époque, M. Le Boleis achète la ferme de la Villeneuve et ses dépendances à M. Fleury (32 ha 84). - 22 Novembre 1936 : Réunion du syndicat pour discuter d'une contribution extraordinaire de ses membres dans la perspective de travaux de maçonnerie au titre de l'année 1937.
Sont concernés :
À PEINE CICATRISÉES, LES PLAIES SONT ROUVERTES
DEUXIÈME RUPTURE DE LA DIGUE
Article de presse 20 mars 1937
Le 14 mars 1937, une violente tempête, conjuguée avec la marée de vives-eaux précédant la grande marée d'équinoxe, provoque une énorme brèche dans la grande digue. - 15 Mars 1937 : Rapport du maréchal des logis Le Diagon.
... Le 14 mars 1937, la digue de Montsarrac s'est rompue sur une longueur de 15 mètres environ. La ferme de Bilherbon a été mondée. Le propriétaire a pu évacuer à temps sa famille et ses bêtes. Les maisons du « Purgatoire » ont été mondées également à marée haute. Les villages de Montsarrac et Kerarden sont actuellement isolés. Les chemins V.O. n° 3 de Michotte et V.O. n° 4 du Purgatoire sont submergés... - 20 Mars 1937 : Rapport du président de l'association au préfet.
... La digue, d'une longueur de 200 mètres, a été recouverte le 14 mars 1937 par les vagues qui ont débordé sa crête et provoqué de nombreuses brèches dont la principale a 40 mètres de longueur au point le plus élevé.
...C'est là, d'ailleurs, que s'était produite la brèche de 1925. Elle s'est produite vers 06 h 30 du matin ; la mer s'est précipitée en torrent sur les terres basses où paissait un troupeau de moutons que le propriétaire eut du mal à sauver et dont il dut se défaire à bas prix dans la journée, faute de trouver des locaux pour les abriter. La marée a recouvert tout le terrain situé entre les digues et le chemin I.C. 99, puis entre celui-ci et le chemin vicinal de Kerarden. Les terres basses seraient laissées sous l'emprise de la mer (105 hectares), réparties entre 6 propriétaires dont Le Peivé 54 hectares et Le Boleis 25 hectares. Cette surface inondée pourrait être utilisée pour la pêche professionnelle à leur bénéfice, en attendant une autre solution... - 1er Juin 1937 : Lettre de l'association syndicale au préfet.
Si aucune mesure de protection n'est prise avant l'hiver, la transformation de la presqu'île de Montsarrac en plusieurs îles, entraînant la destruction de quantités de propriétés, est une chose à envisager, par le résultat de la jonction du lais de mer de Bilherbon avec la rivière de Noyalo... - 24 Novembre 1937 : Compte-rendu de l'assemblée générale du Syndicat.
On donne lecture d'une lettre du préfet relative à l'établissement d'une vanne automatique sur l'aqueduc du chemin I.C. 99. Cette vanne avait été demandée par le syndicat pour évacuer les eaux douées entre deux marées.
... Le syndicat maintient sa demande de reconstruction de la digue ; sinon, une juste rémunération en compensation de la perte de leurs terres inondées, dont le retour au domaine public maritime doit devenir, pour l'État, une source de bénéfices du fait de l'ostréiculture...
- 10 Juin 1938 : Lettre de l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.
... La digue fut établie vers 1927 pour isoler environ 100 hectares concédés par une ordonnance royale de 1824. Entretenue jusqu'au début du XXème siècle par les propriétaires du lais de mer qui ne purent s'entendre sur la répartition des frais... la digue fut plus ou moins délaissée... la digue est rompue le 25 décembre 1925... le chemin I.C. 99 est submergé à chaque vive-eau et rehaussé en 1927... la digue fut reconstruite en 1928 grâce à une association syndicale.
La dépense s'éleva à 166 000 francs ; elle fut supportée par l'État (90 000 francs), le département (24 000 francs), la commune (12 000 francs) et les propriétaires (40 000 francs). Seule parmi les concessionnaires, Mme Rohiing, qui possédait la majeure partie des terrains, n'a pas participé aux frais. L'association prit les frais d'entretien à sa charge mais en 1933, elle déclara n'avoir plus de ressource et, de ce fait, délaissa le barrage qui fut rompu une deuxième fois en 1937. - 21 Août 1938 : Assemblée générale du syndicat, en présence de M. Ménard, maire de Séné.
- Membres présents : MM. Le Boleis, Laudrain, Le Peivé, Kerrand.
- Membres absents : Mme Vve Noblanc, Dr. Bérard, MM. Pleyber, Savary.
... On évoque la rupture de la digue, ce qui a eu pour conséquence que les terrains sont devenus à nouveau domaine maritime jusqu'au plus grand flot de mars... les dommages causés aux biens et aux récoltes... malgré les critiques concernant l'entretien de la digue, on s'accorde pour dire qu'il a fallu un cataclysme comme le raz de marée du 14 mars 1937 (jamais vu en Bretagne) pour provoquer la rupture...
Le maire indique que si les membres de l'association veulent entreprendre la reconstruction de la digue, l'administration est disposée à verser la somme de 300 000 francs. Les membres du syndicat déclarent être dans l'impossibilité de faire un effort pécuniaire supplémentaire... ils demandent l'exonération des taxes foncières sur les terres envahies et sur les immeubles maintenant improductifs.
Les choses restèrent en l'état. Un an plus tard éclatait la seconde guerre mondiale de 1939-1945. On peut imaginer l'amertume et la désillusion des principaux fermiers qui avaient tant oeuvré pour mettre ces terres en valeur. On réalise aussi combien l'Homme reste fragile face aux déchaînements des éléments, lorsqu'il se met en tête de contrarier la nature.
Ces dramatiques événements ont naturellement trouvé de larges échos dans la Presse de l'époque. Avant de clore cette petite histoire de l'Anse du Bil, voici un article paru en fin de 1926 dans un journal que je crois être le « Nouvelliste du Morbihan ». Il est écrit dans le style emphatique et alambiqué propre à cette époque, et est intitulé : « La Leçon du Passé ».
LA LEÇON DU PASSE
Vers 1830, un gentilhomme breton, M. de Castellan, dont la vigoureuse nature s'accommodait mal du régime romantique, alors en faveur à Paris, quittait la capitale pour venir accomplir chez nous une besogne de titan. Ses propriétés s'étendaient en bordure de vasières longeant la côte de Séné à Montsarrac. L'une d'elles, d'une superficie de plus de 300 hectares, s'ouvrait sur le golfe par un goulet large d'environ 200 mètres.
Tant de terrain perdu mettait la mort dans l'âme du gentilhomme campagnard, aussi résolut-il de le récupérer en fermant le goulet. Pendant plus de deux ans on y travailla ferme. La main-d'œuvre était réduite, les fonds très limités ; la besogne formidable, puisqu'il s'agissait d'opposer au flot un massif de maçonnerie de la longueur du goulet et large de plus de 30 pieds. Parfois la tempête et les fortes marées d'équinoxe anéantissaient en quelques heures le travail de plusieurs mois mais, grâce au courage indomptable des travailleurs, un jour vint où les lames impuissantes se brisèrent à la solide barrière et l'on put, dès lors, se livrer à l'aménagement du terrain conquis.
Plus de 300 hectares furent ainsi mis en culture, modifiant avantageusement ce quartier de la commune de Séné dont l'importance s'accrut, bientôt de quelques fermes et d'une agglomération : le village de Bilherbon. Les prairies furent bordées de pins, les champs plantés de pommiers ; la vasière drainée s'écoula par un charmant ruisseau. Bref, ce fut un Eden à la place du marais pestilentiel.
Cette victoire péniblement remportée sur les éléments - épisode héroïque de la lutte incessante des paysans morbihannais contre la mer envahissante - et qui paraissait devoir apporter aux habitants de Bilherbon une paix définitive, devait malheureusement, 100 ans après, être suivie d'un désastre retentissant.
Le 25 décembre 1925, une tempête formidable s'abattait sur nos côtes. Notre journal en rapporta les échos lamentables : toitures enlevées, arbres déracinés, etc. A Bilherbon, ce fut un cataclysme.
Dès les premières rafales, on s'était inquiété. La digue, qui, avouons-le, n 'avait pas eu les soins nécessaires de la part de ceux qui, pourtant, lui devaient leur aisance, reçut de rudes assauts.
La tempête redoublant d'intensité et la pression des eaux devenant irrésistible, une brèche se produisit. On essaya bien de la combler, mais les conditions de travail étaient telles que l'on dut abandonner tout espoir d'arrêter le flot mugissant qui, libéré, alla fouiller de son écume blanche son domaine d'autrefois.
Des arbres furent fauchés, des maisons s'écroulèrent; les habitants s'en échappèrent à grand'peine. Le lendemain, l'état des lieux était tel qu'avant la rude entreprise du comte de Castellan.
L'émotion fut énorme dans toute la région. On porta largement secours aux malheureux sinistrés - plus de 10 familles ruinées -puis les jours passèrent : on oublia. Les gens du pays n'approchèrent que le moins possible de la région dévastée et bientôt l'on n 'y vit plus que quelques touristes appelés là par le goût perverti du pittoresque macabre. Une année s'est écoulée. Où 'a-t-on fait pour Bilherbon ? Nous sommes allés nous en rendre compte.
Il pleut, il vente : hiver 1926. Là-bas, le spectacle est encore plus catastrophique qu'en 1925. Les maisons rendues squelettiques par les coups impitoyables des tempêtes successives évoquent les plus sinistres illustrations de la guerre. IL 'eau salée et corrosive a couvert d'une hideuse lèpre rougeâtre tout ce qu'elle a touché. Les algues desséchées, marquant l'étiage des fortes marées, pendent lamentablement sur les tiges des arbres morts. Au bruit que nous faisons pour sortir des fondrières de la route un maigre paysan sort de sa maison. A notre approche, il disparaît dans un chemin bourbeux, fuyant comme un pauvre.
Un passant nous renseigne. La route de Montsarrac et celle de Michotte qui traversent le quartier de Bilherbon, sont de véritables routes du front. Par fortes marées elles sont coupées par les eaux et leur emploi devient précaire et même dangereux. Les villages de Kerdren et Kerleguen plongent dans l'eau bourbeuse leurs silhouettes déchiquetées. Le mal est incalculable. Voyons la blessure ! 1
De la route de Montsarrac, éloignée d'environ 500 mètres - elle semble insignifiante -petite brèche dans la barre noire de la digue. Vu de près, elle n'apparaît guère formidable. Qu'est-elle, comparée à la trouée formidable à laquelle s'attaqua le vaillant Castellan ?... Tout au plus une vingtaine de mètres à combler et ce, cela avec les outils merveilleux que la science met, de nos jours, entre les mains des travailleurs.
Alors que penser ? La leçon du courageux ancêtre n'aura-t-elle donc point porté des fruits ? On nous dit bien : c 'est une question d'argent qui empêche que le malheur soit réparé tout de suite... Il faudrait plus de 100 000 francs pour remettre la digue en état. Mais qu'est-ce 100 000 francs en regard des 300 hectares perdus ? Le département ne peut-il desserrer les cordons de sa bourse et serait-ce là pour lui un mauvais placement ?
Du reste, les propriétaires sinistrés ne semblent pas vouloir bouder à la besogne. Ce qui les empêche de se mettre immédiatement à l'œuvre, c'est la lourde charge qu'ils ont à assumer. Alors venons-leur en aide. Que le département fasse un geste généreux ; la commune de Séné n'est pas riche, mais elle se saignera à blanc pour secourir ses enfants de Bilherbon. Les Ponts et Chaussées, qui sont toujours sur la brèche, ne pourront moins faire que d'apporter leur concours éclairé et, sous peu, si chacun y met du sien, les mânes du comte de Castellan, qui avaient frémi à l'heure du cataclysme, pourront reposer en paix. (1).- Le Nouvelliste du Morbihan ? ? fin 1926.
QUELQUES REMARQUES
Cet article qui relève d'un bon sentiment, puisqu'il appelle à ne pas oublier, comporte toutefois de grossières erreurs que je me dois de rectifier.
Il ressort de tous les documents que j'ai consultés que la concession a été accordée à Edouard Lorois à charge pour lui d'exécuter les clauses du contrat, ce qu'il a réalisé dans les délais.
Le comte de Castellan n'est donc pour rien dans la construction de la digue. D'ailleurs Louis Joseph de Castellan est né à Quintin dans les Côtes du Nord en 1815. Il avait donc neuf ans au moment où ont commencé les travaux d'endigage et douze ans quand ils ont été terminés. M. de Castellan est décédé le 11 août 1891, à l'âge de 76 ans, en son château de Bot Spemen. On peut voir sa tombe à l'entrée du cimetière de Séné.
Il est également exagéré de parler d'une propriété de 300 hectares dans l'anse du Bil. Les terrains concédés en 1824 à Edouard Lorois avaient une surface de 100 hectares. Ils passèrent ensuite entre les mains de Augustin Septiivres puis M. O'Murphy avant d'être cédés à M. de Castellan qui les cédera à son tour à son cousin M. de Bouan.
Camille ROLLANDO
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Sources : Archives Départementales du Morbihan S 1568
VESTIGES DE LA DIGUE :
Vue aérienne à marée basse :
Carte postale :
Pilier sur l'île Pechit
Système de vannes :
Digue de pierre entre la Villeneuve et Pechit:
Plus...
Mémoires du sel 2/2, par Yvon DUFRENE
Yvon Dufrêne - Sept.1996
Histoire des marais salants de Séné (suite et fin)
4 VENTE DU SEL
Mesure des sels
Après les premières récoltes de sel, les chanoines se préoccupèrent de vendre celui-ci. Pour cela il fallait le mesurer. On alla chercher au Croisic un mouët : mesure qui était une sorte de cuve en bois, cylindrique, à six pieds pouvant contenir environ 150 kilos de sel.
Le chanoine Nebout en nota scrupuleusement la dépense:
"Alloué la somme de vingt quatre livres payée {e 10 octobre 1728 pour un mouët achepté
au Croisic pour mesurer le sel " A.D.M 69 G 2 (7)
1764 1 muy du Croisic= 22 mouëts
1785 1 mouët = 10 quartaux; 1 quartau= 15 kilos
Avant cet achat, on trouve trace aux archives départementales du Morbihan d'une vente de sels en septembre octobre 1727. Les mesures étaient alors celles traditionnellement employées pour les grains: godelée et perrée.
1 godelée, mesure de Vannes= à peu près 10 litres
1 perrée = à peu près 160 litres
"Lundi 16 7 bre vendu 2 godelés et demy de set sept sols et six deniers
Le 19 vendu une pairé deux livres huits sols," A.D.M ( 69 G 3)
Dès 1730, les salines rapportaient déjà 3185 livres au Chapitre et en 1765, elles donnaient un revenu net de 15 556 livres.
Transport et stockage
Le sel une fois égoutté sur la ladure était ramassé. Il était transporté dans des grands récipients en bois ou en paille tressée appelés gèdes ou plus tard dans des sacs.
On remplissait ses gèdes ou ses sacs à l'aide de deux petites planchettes : les salgaïes.
Les gèdes étaient portées sur la tête posées sur un morceau de tissu torsadé roulé en spirale, la torche. Les sacs étaient portés sur l'épaule. A Séné, on disait que les paludiers se reconnaissaient à ce qu'ils avaient une épaule plus basse que l'autre.
Pour ramasser le sel, il fallait être deux: pour tenir le sac ouvert, charger le sac sur l'épaule ou poser la gède sur la tête.
Le sel était porté depuis la ladure jusqu'à un terre- plein où il était mis en tas. Ces tas, les mulons avaient une hauteur d'environ 3 mètres sur une largeur de 5 mètres.
" Dans chaque ruche * on pouvait mettre à peu près une trentaine de kilos. Entre la ruche et la tête, on plaçait un rond de grosse toile Après on s’est mis à porter au sac. Alors les épaules attention!
* ruche : gède de paille tressée
Les gars, ils avaient fa peau tannée. Les gars au sel, ils étaient là dedans du matin au soir. Ils avaient les mains et les pieds. . . ils marchaient pieds nus tout le temps, hein, ces gars là.
Ah ! il fallait monter la digue, hein. C'était dur. C'étaient vraiment des bonshommes costauds qui n'étaient pas nourris comme maintenant. C'était le pain et le fard et la bouteille d'eau, c'est tout."
Témoignage de Ferdinand Quester
Vestiges d'une salorge à Michotte
A la fin de l'été, il fallait mettre le sel à l'abri des intempéries.
Au départ, le stockage se faisait directement sur le marais. Le mulon était recouvert de végétaux et d'une couche de vase ou de terre. Puis au XIX° siècle de grands greniers à sel, les salorges, furent construits par les négociants propriétaires des marais
"'En général le sel ne restait pas sur les digues. A ce moment-là il y avait ce qu'on appelait les salorges, des bâtiments où on mettait le sel. Il en existait une à la Belle Etoile qui a été abattue quand on a construit la cité. Il y en avait sur les marais de Kerbiscon et il y en a encore une en ruines que l'on peut voir dans les marais de Michotte. Les tas de sel étaient achetés par des marchands de sels et ils l'emmagasinaient là dedans."
Témoignage de Ferdinand Quester
Après la fermeture des salorges on reprit l'ancien système:
" le sel restait donc sur les marais en tas pour le garder l’hiver, on coupait des mottes en rond sur le marais et on en fais ait un toit en commençant par le bas comme on fait une toiture, Le sel étant bien tassé, et couvert par ça, l'eau ne rentrait plus dedans. Il passait l’hiver et au printemps, on le vendait. C'était pris par des collectivités. Moi ce que j'ai connu le plus c'est la maison Le 'Douarin de 'Vannes, épicerie en gros qui nous achetait le sel"
Témoignage de Ferdinand Quester
Au bas de ce document daté de 1904, figurent deux magasins à sel (salorges) où les bateaux venaient par la rivière de Noyalo charger le sel.
Le Syndicat des salines de l'Ouest présidé par M. de Limur demandait l'autorisation de construire un pont pour permettre l'accès au chemin de Brouelle:
" Les expéditions de sel se faisaient autrefois par mer, le magasin en question n'a pas été relié à la terre."
Destinations
Au XVIIIème siècle la plus grosse partie des sels est exportée vers l'Espagne. Les bateaux sont originaires de Pénerff, de l'Ile aux Moines et jaugent de 40 à 100 tonneaux .
Si on prend pour mesure celle de Rhuys: 1 muid = 3 800 kilos (au début du document est indiquée la mention "grande mesure") on trouve un tonnage global de 854 tonnes environ (quarante quatre tonnes sur l'Anglots, et cent soixante sur le Griffon Volant)
Les sels étaient exportés aussi vers la Suède comme en témoigne la requête adressée à l'Amirauté de Vannes le 13 octobre 1766. Elle relate les difficultés qu'ont les Chanoines à faire charger leurs sels sur un bateau suédois par: ''Jacques Doriot ait Steval Pierre Leduc demeurant au village de Kerarden en paroisse de Séné, Ives Lefranc et Benoit Lefranc demeurant au village de Montsarrat tous bateliers de la paroisse de Séné "qui refusent de transporter le sel depuis les marais jusqu'à Roguédas pour le prix de 2 livres par muid.
A.D.M (69 G 4)
Au XIXème siècle, le commerce des sels avec l'Espagne semble avoir cessé. Des navires de petit tonnage, descendent vers Nantes, Libourne et Bordeaux avec une cargaison de sel et remontent avec de la résine, du vin, de l'eau de vie ou des prunes.
Après la chute de Napoléon et la fin du blocus maritime imposé par l'Angleterre le commerce avec les pays nordiques avait pu reprendre.
Les bateaux norvégiens en particulier apportent la rogue (appât nécessaire à la pêche à la sardine), des bois, de la résine et repartent chargés de sel pour les ports d'Alesund, de Christiansand ou de Ber¬gen.
La rogue était des œufs de harengs, de morues, ou de maquereaux mélangés à de la saumure. Bergen, en Norvège était le centre principal de sa fabrication.
En 1820, tous les quinze jours, le directeur des Douanes de Lorient fait son rapport au Préfet du Morbihan, le Comte de Chazelles, sur les bateaux étrangers venus charger des sels:
" 'Une galiotte hollandaise: une goélette, un sloop et un brick norvégien sont venus apporter de la rogue dans les ports de ma 'Direction. Ces navires qui sont les seuls bâtiments étrangers qui aient paru sur [es côtes de votre 'Département s'en sont éloignés avec des chargements de sel." 19 août 1820. A.D.M (P 207)
LE PRIX DU SEL
Au XVIII° siècle
En 1 730, la mense capitulaire vend 124 muids 2/3 pour la somme de 4528 livres 6 sols et 8 deniers, soit 35 livres 15 sols le muid.
Dans le " Compte particulier des sels de la saline de 124 œillets appartenante cy devant à Mgr de Pressac pour les années 1764-1765 les dits sels vendus à Mr du Bodan" le muid de 22 mouëts, mesure du Croisic, vaut 50 livres soit 2 livres 7 sols et 8 deniers le mouët.
A.D.M (69 G 3)
Le prix du sel fluctue, d'une façon importante parfois, suivant les quantités de sel récoltées, la période de l'année, la demande. Ainsi dans le" Livre rentier" tenu pour le Sieur Pierre Augustin de Cramezel on trouve le détail des prix des sels" certifiés juste au Croisic en octobre 1868"
Si le muid de sel coûte 28 livres et 26 sols en août 1750, il vaut 67 livres en 1 751, 75 livres 85 sols en 1 752 et 24 livres en 1753. En octobre, novembre, décembre 1 751 et janvier 1 752 le muid atteint le prix de 100 livres ; mais en 1755, il ne se négocie plus qu'à 16 livres en juillet et 15 livres en août.
A.D.M (B 770)
Au XIX° siècle et au XX° siècle
En 1833-1834 le prix moyen du sel à Vannes est de 35 centimes au kilo pour le sel grts et 40 centimes pour le sel blanc ou raffiné. En 1838, 100 kilos de sel grts en gros sur les marais valaient 30 francs. Chez le détaillant 1 kilo valait 40 centimes et le sel raffiné au détail 65 centimes. Les prix variaient notablement d'une commune à l'autre
Prix des sels en 1845 : à Sarzeau les 1 000 kilos se vendent 60 à 70 francs ; à Ambon et Surzur 70 francs ; à Carnac 80 francs ; à Baden 80 francs ; à Pluneret 90 francs ; à Billiers 300 francs le grand muid
(le muid du Morbihan étant de 4 000 kilos, les 1000 Kg valaient 75 francs).
Ce qui faisait un prix moyen de 7,5 francs les 100 Kg. AD.M.(S255)
Ces prix ne cesseront encore de baisser après 1848.
Revenu du propriétaire et salaire du paludier dans l’ouest 1845 à 1865
Ainsi à Séné le prix de la tonne de sel a chuté de 50 francs en 1845 à 10,50 francs en 1861.
5 LE SEL UN PRODUIT TAXE ET CONTROLE
"L'origine de l'impôt sur le sel remonte à la plus haute antiquité. Introduit dans les Gaules à la suite de la conquête romaine, l'impôt sur le sel, fit partie au Moyen-âge des droits seigneuriaux, avant de devenir au XIV° siècle dans les mains des rois de France, sous l’appellation. De « gabelle du sel" l'imposition la plus durable, la plus constante, la plus éprouvante et donc la plus honnie dans la France d'avant 1789."
Gabelle et gabelous
Catalogue d'une exposition réalisée par le Musée des Douanes établi par Michel Boyé conservateur
C'est en effet au XIVe siècle sous le règne de Philippe VI de Valois que remonte la création du monopole du sel et l'établissement définitif de l'impôt en France (Lettres du 20 mars 1342 et ordonnance du 15 février 1345)
En mai 1680 fut signée à Saint Germain en Laye l'Ordonnance qui demeura jusqu'à la chute de la monarchie la Charte de la Gabelle.
L’union de la Bretagne à la France ratifiée à Nantes en 1532 se fit à la condition expresse que la province serait à jamais exemptée de tout impôt sur les sels et elle conserva ces franchises en 1680.
Sous l'Ancien Régime: gabelous et faux sauniers
En Bretagne, province franche le minot de sel ( 52 1) coûtait entre 1 et 3 livres alors qu'en Mayenne, en Anjou, en Touraine et dans le Maine , pays de grande gabelle, il valait entre 58 et 60 livres.
Cet écart considérable était une véritable provocation et la contrebande et la fraude firent rage aux marges de la Bretagne.
Le sel sur lequel la gabelle n'avait pas été acquittée s'appelait le faux sel d'où le nom de faux sauniers donnés aux contrebandiers du sel.
Un des plus célèbres de ces faux sauniers fut sans doute Jean Cottereau dit Jean Chouan qui fut sous la Révolution l'un des chefs de l'insurrection appelée à cause de son surnom la Chouannerie.
La Ferme Générale chargée sous l'Ancien Régime de percevoir la gabelle employait pour essayer de juguler la fraude une véritable armée de gabelous.
A la fin du XVIIIe siècle, sur l'ensemble du territoire, la Ferme alignait 15 000 hommes (soit cinq fois plus que la Maréchaussée).
Le faux saunage était puni très sévèrement. Les contrebandiers en bande, au nombre de 3 et au dessus, armés de fusils, pistolets, baïonnettes, épées, bâtons ferrés ou autres armes, étaient condamnés à la peine de mort, les autres aux galères.
Les faux sauniers sans armes étaient passibles d'une amende de 200 à 300 livres qui à défaut de paiement était convertie en peine de 3 à 6 ans de galères (9 ans avec flétrissure, c'est à dire marquage au fer rouge à l'épaule, en cas de récidive).
Pour les femmes, les peines de galères étaient remplacées par des peines de fouet et de bannissement hors de la région.
Les enfants tombaient sous le coup de la loi à partir de 14 ans (déclaration du 12 juin 1722). De 1680 à 1748, 11 000 faux sauniers furent envoyés aux galères.
Documentation:
Gabelle, gabelous Michel Boyé, Nelly Coudier (Musée des Douanes )
L'A venture du Sel Micheline Huvet- Martinet (Editions Ouest - France )
Séné, située loin des pays de grande gabelle, ne fut guère concernée par la contrebande du sel. Il fallut attendre , après la suppression de la gabelle en 1790, le rétablissement en 1806 par Napoléon Ier d'un nouvel impôt sur le sel pour voir les marais se couvrir des casernes, corps de garde , guérites et cabanes des préposés des Douanes impériales.
L'impôt sur le sel de 1806 à 1945
Les campagnes napoléoniennes coûtaient cher et l'Empire pour augmenter ses ressources fiscales pensa à nouveau à l'impôt sur le sel.
L'Etat n'aurait plus le monopole de la vente du sel comme sous l'Ancien Régime mais un droit d'enlèvement du sel sur les marais serait établi.
Par décret du 16 mars 1806 un nouvel impôt fut créé qui instituait un droit de 0,10 francs par kilogramme sur" les sels provenant soit des marais salants, soit des salines et fabriques de l'intérieur."
Ce droit fut porté, dès le 27 mars, à 0,20 francs.
Dans le même temps on se préoccupa des modalités de recouvrement de l'impôt et le 11 juin 1806, un autre décret stipula que la surveillance des préposés des douanes s'exercerait "jusqu'à la distance de trois lieues de rayon des fabriques et salines de l’intérieur."
Les marais salants furent étroitement surveillés par une armée de douaniers. Les douaniers à pied, les matelots des douanes sur leurs "pataches" et les brigades à cheval créées en 1807 assuraient la garde des marais. A.D.M ( P 207 )
Le 20 septembre 1809 un décret fixa les conditions d'enlèvement: le paiement des droits était certifié par la délivrance au Bureau des Douanes (à Séné, il était situé à la caserne des Quatre Vents) d'un acquit de paiement qui donnait la quantité de kilogrammes de sel sur lesquels les droits avaient été payés, indiquait le lieu de destination, le moyen de transport et fixait le délai pour parcourir la distance.
Il fallait pouvoir présenter ce document à toute réquisition des douaniers.
Ces douaniers, il fallut les loger et cela se fit tout d'abord, non sans conflit parfois, chez l'habitant, grâce au droit de réquisition dont disposait le préfet. Mais, très vite on entreprit la construction de casernes.
A Séné on compta trois casernements principaux aux Quatre vents, à Kerbiscon (près de Balgan) et à Billorois (dans l'île de Mancel.)
Au mois d'août 1809 furent dressés les procès verbaux de réception des casernes des Quatre Vents et de Kerbiscon. A.D.M (P 203)
C'était la caserne la plus importante, où se trouvait le bureau du receveur général. Vendue dans les années 30, elle fut un temps une colonie de vacances. C'est aujourd'hui une maison particulière.
Lors du recensement effectué en 1841 on dénombre 98 douaniers dont 31 dans la seule caserne des Quatre Vents (à la même date on recensait 91 paludiers)
".Les agents des 6rïgaâes sont organisés militairement, armés, souvent casernés, ils portent l’uniforme. La discipline, très stricte régit même certains actes de leur vie privée: mariages, déplacements, etc ...
Les brigades comptent dans leurs rangs beaucoup d'anciens militaires."
(Gabelle et Gabelous)
Si les lieutenants, brigadiers et sous brigadiers avaient une instruction suffisante pour rédiger les procès-verbaux établis aux bureaux des Douanes, nombreux étaient les préposés qui savaient tout juste signer.
Pour aider les préposés qui ne savaient pas compter, l'administration des Douanes mit à leur disposition des sortes de bouliers: les fasquelines, qu'une circulaire du 19 août 1816 décrit ainsi "appareil composé de cinquante plaques de fer-blanc marquées et numérotées par dizaines, et passées dans un anneau de fer adapté à un manche en bois "
La Douane et les douaniers de l'Ancien Régime au Marché Commun Jean Clinquart- Editions Taillandier
La vie quotidienne des agents affectés à la surveillance des marais salants, zones peu salubres, où sévit alors à l'état endémique " la fièvre des marais" est peu enviable. Leurs conditions de travail étaient très dures et leurs rétributions assez faibles.
Fasqueline : appareil mis à la disposition des douaniers qui ne savaient pas compter à partir de 1816. Il servait aux préposés à dénombrer les sacs de sel.
Ligne Brunel : petit grapin utilisé par les matelots des douanes pour la récupération des objets flottants.
La fraude du sel
Pour contrer les enlèvements frauduleux de sel sur les marais, la surveillance s'exerçait en toutes saisons, de jour comme de nuit. •
Ces enlèvements se faisaient" à col", c'est à dire à pied en portant un sac sur le dos, mais aussi avec des chevaux, en canot ou en yole et même avec des voitures à double fond.
On procédait par petits groupes de 2 à 3 personnes, mais c'était aussi des bandes armées beaucoup plus nombreuses, de plusieurs dizaines d'individus et même parfois plusieurs centaines comme à Carnac où en 1806 les douaniers se trouvèrent sur les salines de Beaumer face à environ 300 fraudeurs de sel. Ces échauffourées se terminaient par des blessés plus ou moins graves et parfois par des morts comme à Billiers en 1806 où Yves Le Floch, tailleur d'habits de 19 ans reçut "un coup de balle par les reins côté gauche et sorti par le flanc droit vers l'aine et à la suite de ce coup perdit une si grande quantité de sang qu’il en est mort. "
A Séné, si les batailles rangées entre douaniers et contrebandiers ne firent pas de victimes il y eut quand même des blessés comme sur les marais de Kerbiscon en 1814
Bataille rangée sur les marais de Kerbiscon
Le 26 aoûtl814, vers huit heures du matin, le sieur Delarue lieutenant des douanes à la caserne de Kerbiscon rencontre aux environs de la caserne, Joseph Prêté dit" Sabot " bien connu de lui pour être un fraudeur multi récidiviste:
"Tu viens encore sans doute prendre tes mesures pour attaquer nos marais." lui dit-il.
" Bien. au contraire, lui répond le dit Sabot, je viens vous voir pour vous prévenir qu’il se forme un grand rassemblement composé de militaires et d'habitants de la ville et des environs, et que je crois qu’ils se porteront ce soir sur nos marais."
Il ajouta "Les militaires doivent venir armés et surprendre les préposés."
Joseph Prêté alla aussi prévenir" le Sieur Gaugain lieutenant principal à Vannes" qui alerta ses supérieurs: l'inspecteur des Douanes Rousseau et le contrôleur de Brigade Compagnon. Ceux-ci prirent leurs dispositions et dressèrent un plan de bataille.
Sur leur ordre, on rameuta toutes les brigades des environs : de Séné, bien sûr mais aussi de Saint Avé, de Mériadec, d'Arradon, de Plescop, de Theix, de Saint Nolff. On fit appel aussi aux grenadiers des 130ème et 75ème régiments de ligne en garnison à Vannes et on dressa des embuscades autour de la ville.
Le lieutenant Jean Louis Miclet embusqué avec quatre grenadiers dans un pré à proximité du cimetière de " Bois Moreau'' laissa passer la bande entendant les militaires qui disaient ".Ah, ah, on dit que ces gens là sont des cranes, nous allons les remuer."
Vers les dix heures et demie du soir, les douaniers embusqués près des marais virent 's'avancer et entrer sur lesdits marais une troupe nombreuse d'individus pouvant être composée de soixante à quatre vingt hommes, parmi lesquels nous en avons distingués à peu près la moitié de militaires dont partie armée de fusils, et d’autre de sabres et quelques uns non armés." Les douaniers les laissèrent entrer sur les marais et charger le sel dans les sacs qu'ils avaient apporté avec eux, puis refermant le piège, ils intervinrent leur faisant les sommations d'usage auxquelles répondirent des coups de fusil et des cris " 'En avant sabre en main, baïonnette en avant."
Les douaniers répliquèrent et les fraudeurs surpris par le nombre se dispersèrent alors à travers les marais en abandonnant leurs sacs. On récupéra 18 sacs représentant 730 kilos de sel.
Sur les marais mêmes, on arrêta deux militaires du 130ème de ligne et deux civils, habitant le quartier de Saint Patern à Vannes.
L'un des militaires, Jean Baptiste Malherbe, grenadier au 130ème fut blessé à l'épaule d'un coup de feu et le tambour maître Jean Barbier, qui tenta de résister, dut finalement se rendre, cerné par les baïonnettes des préposés. Voilà le témoignage du préposé Jean François Le Breton du poste de Langle qui procéda à son arrestation:
"J'ai présenté la baïonnette audit Barbier qui était armé d'un sabre nud, en le sommant de se rendre. Le préposé Guillevic l’a pris au collet, moi je lui ai saisi la main qui était armée de son sabre. Il se débattait, mais le lieutenant Trastour survint et lui dit de rendre son sabre qu'il ne lui serait fait aucun mal. Alors il me le remit et je le confiai au préposé Le Maréchal. Le dit Barbier se mit à genou et dit : fusillez moi, nous passons demain la revue, ne me me¬nez pas devant mon colonel, je suis un homme perdu. Il fut conduit à la caserne de Kerbisccon."
Outre Jean Marie Quérel, sans profession habitant place Cabello et Jean Mathurin, garçon couvreur rue de la Tannerie capturés avec ces deux militaires, les patrouilles organisées et les barrages dressés aux entrées de Vannes permirent d'arrêter huit autres personnes soupçonnées d'avoir fait partie de
la bande. •
Sur les onze heures du soir, les douaniers à cheval de la brigade de Meu¬con arrêtèrent cinq "individus, couverts de vase" qu'ils conduisirent "au corps de garde des douanes sur le quay à 'Vannes ". Il s'agissait de Nicolas Guérin, marchand de quincaillerie; Louis Pourchasse dit Mirecourt , garçon d'écurie; Yves Fohan¬no, maréchal; Michel Robin, garçon boulanger habitants dans le quartier de Saint Patern et Denis Augé fondeur de cuillères et raccommodeur de faïence , ''sans azile".
• Vers les six heures du matin, ''.Le sieur Moroy, cavalier des douanes résidant à fa caserne de Sainte Elisabeth, contrôle de 'Theix, arrêta auprès de Saint Léonard "deux individus dont l'un fui dit se nommer Davase fils demeurant chez son père à 'Vannes rue du Roulage, l'autre ne s'étant pas nommé a dit être journalier travaillant chez les boulangers à Vannes" ••
Ils lui déclarèrent "qu'ils avaient été forcés par {es militaires de se joindre à ceux pour faire partie de l'attroupement considérable qui s'était porté sur les marais et qu'ils s'étaient enfuis fors de la fusillade."
''
.Le Sieur Jean Miclet, Lieutenant ambulant à Plescop, à la tête de 4 grenadiers du 130e de liqne, embusqués près du cimetière du Bois Moureau " arrêta un individu couvert de vase " qui en répondant à ses interpellations" s'est dit être de Camors mais n'a pas voulu se nommer, ni aire d'où il venait " Le lieutenant remarqua "que cet individu était sans cha¬peau, ni bonnet et n'avait qu'un soulier." Il fut identifié plus tard comme étant Fran¬çois Leloire, journalier.
En continuant, ils aperçurent aussi "un individu, chargé d'un sac qui prit la fui¬te jetant son sac." Le sac, ramené à Vannes et pesé, contenait 16 kilos de sel qui s'ajoutèrent aux 730 kilos trouvés sur les marais.
Joseph Prêté qui avait pris la tête de l'attroupement jusque sur les marais s'était abrité lors de la fusillade dans une cabane de douaniers. Il ne fut pas inquiété.
Laurent Calvil déclara "être en ribote" et après être allé chez un oncle à Saint Léonard et étant ivre avoir couché chez Jacques Le Roux cabaretier à saint Léonard. Celui ci et sa femme confirmèrent ses dires.
Denis Augé, lui dit, avoir voulu se rendre ce jour à Muzillac avec l'intention d'aller à la Rochelle où il se proposait "de travailler aux vendanges ». Mais rendu à une lieue de Muzillac, il réfléchit qu'il n'avait pas de quoi faire la route et revint pour se faire arrêter près de Saint Léonard.
Le juge lui fit tout de même remarquer qu'étant parti à cinq heures de l'après midi et s'étant rendu "à une lieue de : Muzillac qui est éloigné de cette ville de six lieues de poste" et se retrouvant entre dix heures et demie et onze heures aux environs de Saint Léonard" il en résulterait que dans l'espace de cinq heures et demie" il aurait fait "près de neuf lieues ce qui n'est guère présumable."
La Cour d'Assises du Morbihan prononça l'acquittement de Denis Augé, de François Leloire et de Laurent Calvil.
Elle décida qu'Antoine Davas, 16 ans serait détenu pendant quatre ans dans une maison de correction et le plaça sous la surveillance de la haute police pendant dix ans.
Nicolas Guerrin, Michel Robin, Louis Pourchasse, Yves Fohanno furent condamnés à six ans de réclusion mais les plus sévèrement condamnés furent Jean Pierre Barbier, Jean Baptiste Malherbe, Jean Mathurin et Jean Marie Quérel à qui la cour infligea une peine de six ans de travaux forcés.
Ses huit condamnés avant de subir leur peine furent "exposés aux regards au peuple pendant une heure" dans un carcan, un écriteau placé au dessus de leur tête indiquant leur délit .
A.D.M ( U 1855)
Ils furent soumis aussi à la surveillance de la haute police pendant toute leur vie.
Dans les dossiers de surveillance légale des condamnés (A.D.M 539) on retrouve la trace de Jean Pierre Barbier. En octobre 1815, sa peine de six ans de travaux forcés avait, par grâce royale, été commuée en celle d'un an d'emprisonnement. Il fut libéré du bagne de Brest et en janvier 1816, obtint un passeport pour se rendre à Vannes où résidait sa femme.
On ne sait s'il en fut de même pour les autres condamnés
6 LE DECLIN DES SALINES
La baisse considérable du prix du sel illustre bien le déclin rapide des salines de l'Ouest dans la seconde moitié du 19ème siècle.
Une législation défavorable
Une loi promulguée le 17 juin 1840 modifie les règles du commerce du sel réduisant les droits d'entrée sur les sels étrangers et permettant la concentration des Salins de l'Est et du Midi aux mains de grandes compagnies.
En 1856, une coalition est créée autour de la société Renouard et Cie qui deviendra la Compagnie des Salins du Midi. La société Henri Merle qui deviendra la Compagnie Péchiney crée la même année le Grand Salin de Giraud en Camargue.
Les récriminations sont nombreuses contre les différentes dispositions de cette loi.
En 1856, le Ministre de !'Agriculture, du Commerce et de l'industrie lance une grande enquête sur la production et le commerce des sels dont le rapport sera publié en trois volumes en 1868 et 1869.
Le 20 juin 1851, la Société d'Agriculture de Vannes proteste auprès de la Commission d’enquête:
"Les individus employés à la production. du sel sont foin d'être heureux depuis la réduction des droits d'entrée sur les sels étrangers laquelle a ouvert une large concurrence à ceux du pays et par suite a fait considérablement baisser le prix de vente."
Concurrence déloyale
Les propriétaires, négociants, sauniers et cultivateurs de sel de la Vendée, de la Loire Inférieure et du Morbihan adressent au Sénat une pétition s'élevant contre la concurrence déloyale dés Salines de l'Est et des Salins du Midi.
"Les pétitionnaires se plaignent de ce que le sac de sel de 100 Kg qui se vend à 'Dieuze (Meurthe) à la porte même de la saline 17 francs droit acquitté est livré à Paris après un voyage de 300 km à 13 francs 50 ou 14 francs toujours droits acquittés. "
"Les sels de l'Ouest se rencontrent donc sur les marchés avec des produits qui ont profité de grandes réductions sur les frais de transport par l’application des tarifs différentie des compagnies de chemin de fer. En outre ces sels ayant été obtenus par des associations financières puissantes exploitant sur une échelle considérable les saûnes de l'Est ou les marais du Midi celles-ci dans un intérêt d'avenir peuvent faire des sacrifices momentanés sur les prix de vente que les producteurs des sels de l'Ouest seraient hors d'état de se permettre assurément.
Ils se trouvent que la concurrence ainsi permise devient la lutte du pot de terre contre le pot de fer."
La voie ferrée est arrivée à Nantes en 1851, à Saint Nazaire et Rennes en 1857, Redon, Vannes, Lorient, Saint Brieuc en 1862, Quimper, Pontivy en 1864, Morlaix, Brest en 1865 et à Dinan en 1868.
Ce développement des compagnies de chemins de fer qui pratiquent des tarifs préférentiels pour les compagnies des Salins de l'Est et du Midi porte tort aux Salines de l'Ouest réparties entre de petits négociants qui ne peuvent obtenir les mêmes avantages.
Entre 1850 et 1870, l'Ouest a perdu sa position dominante dans presque la moitié des départements qui constituaient son marché traditionnel (19 sur 39). (Enquête sur les sels 1866.)
Pendant la même période les salines du Midi ont augmenté de 35% leurs ventes, et les salines de l'Est et du Sud Ouest de 90%.
Découverte d'une nouvelle technique de conservation
En 1824, le nantais Pierre Joseph Colin appliquant la nouvelle technique de conservation découverte par Appert et connue sous le nom d'appertisation ouvre à Nantes la première usine de conserves. Le salage est remplacé par la stérilisation en boîtes.
Vignette publicitaire, manière d’ouvrir les boites de sardines « Jockey Club » de Saupiquet.
Nantes vers 1900
En 1860, on compte 22 "fricasseries" dans le Morbihan.
La première crise de la pêche à la sardine intervient entre 1880 et 1887. Les sardines désertent les côtes bretonnes et dès 1880 le lorientais Delory installe une conserverie à Sétubal au Portugal. Chancerelle de Douarnenez et Saupiquet de Nantes l'imitent et s'implantent au Portugal et en Espagne
En 1883 Vigo en Espagne possède 3 conserveries, elles sont 137 en 1905.
Il y a plusieurs raisons à ces " délocalisations":
1. une plus grande docilité de la main d'œuvre.
2. une période de travail plus longue sur les salines: 10 mois contre 4.
3. une production d'huile sur place.
Les bateaux étrangers ne viennent plus charger le sel.
Le sel du Portugal et de l'Espagne étant meilleur marché, les bateaux norvégiens désertent les ports bretons. A cela s'ajoute, à partir de 1880, la crise de la pêche de la sardine faisant que les besoins en rogue des pêcheurs sont bien moins importants,
M. Dubois, négociant à Vannes signale dans sa réponse à l’Enquête sur les sels de 1866:
''Autrefois la Norvège, la Suède, la Hollande etc ... étaient pour l'Ouest d'importants débouchés. J'ai expédié beaucoup de sel dans ces contrées. 'Depuis quelques années, leurs navires deviennent de plus en plus rares sur nos côtes; mes dernières opérations remontent à 1859, 1860.
'En 1859, j'ai expédié sept navires norvégiens et en 1860 quatre seulement. 'Depuis fors, malgré nos pris avilis, il ne m'en a été adressé aucun ". Enquête sur les sels, 1866 A. D.M ( 1-3 F 207)
M. Voirin le Receveur des Douanes aux Quatre Vents le confirme:
"Les sels de Séné ont peu de débouchés; ils sont presque exclusivement enlevés par des sauniers qui les revendent dans l'intérieur au département " Enquête sur les sels, 1866
A cette évolution du commerce du sel s'ajoute la spéculation de négociants
"L’exportation qui autrefois avait lieu à destination de la Suède et de la Norvège a complètement cessé depuis 1861 "
"La plus grande partie du sel est dirigée par terre sur les voies de l'intérieur de la Bretagne spécialement, Napoléonville* et Rennes. Quelques chargements sont en outre expédiés en cabotage sur Nantes." * Pontivy
"La plupart des propriétaires ne vendent plus leur sel directement aux consommateurs mais le livrent à de gros négociants de Nantes et autres qui spéculent sur la denrée achètent lorsque les cours sont au plus bas, concentrent de grandes quantités de sel entre leurs mains et profitent de la hausse qui se produit." Delandre, directeur des Contributions Indirectes
Enquête sur les sels, 1866 A.D.M ( 1-3 F 207)
Conditions de vie des paludiers
La situation des paludiers devient critique. En 1857, Antoine de Cramezel propriétaire de marais à Surzur envoie une lettre au Préfet du Morbihan dans laquelle il cite l'exemple d'un de ses paludiers.
" Benoit Hervé, paludier qui travaille les sels de Kergonan est un homme de 44 ans, il a avec lui sa femme âgée de 49 ans, six enfants mâle de 4 à 18 ans et se trouve en outre chargé de son vieux père âgé de 85 ans. J’aurais eu au commencement du siècle, sous l'empire 900 kilos de sels exempts de droit ce qui lui eut valu de 250 à 270 francs suivant plus ou moins de facilité qu'il aurait et à s'en défaire, on l'aidait ainsi à élever une grande et robuste famille capable de donner à l'état de vaillans défenseurs car cette race de paludiers de la côte est de haute taille et d'un caractère ferme en même, temps que paisible.
Aujourd'hui, Benoit avec ses 9 bouches à nourrir a 520 Kgs qui lui valent 41,60 francs au fieu de 270 francs. Autre perte pour le paludier, le sel dont ils ont la récolte entière n'a plus son prix au dessus du sel commun, depuis qu'on en raffine de plus blanc et de plus fin." •
A.D.M (P 204)
Les paludiers sont rémunérés le plus souvent " au quart " (le quart de la récolte). L'évaluation de la production est faite généralement par un expert désigné par le propriétaire. Des partages plus avantageux existaient" au tiers" et "à moitié" pour maintenir des paludiers sur les exploitations.
La troque des sels
Sous la pression des grands propriétaires terriens qui font état de la misère de leurs paludiers, la "Troque" supprimée en 1791 est rétablie sous la Restauration par une Ordonnance du 30 avril 1817.
En vertu d'un privilège datant de Jean IV, une part de sels en franchise de tous droits était allouée à chacun des membres des familles de paludiers et de sauniers pour leur permettre de " troquer " ce sel dans les villes et villages de l'intérieur contre des quantités équivalentes de céréales.
La loi du 17 juin 1840 avait prévu son abolition dans un délai de 10 ans mais ce délai fut prorogé jusqu'au 1er janvier 1865.
L'une des revendications des paludiers est le rétablissement du bénéfice de la troque, bien qu'ils ne se fassent pas d'illusion comme le montre cette déposition de M. Simon, propriétaire de marais salants et paludier à Séné, dans l'enquête sur les sels de 1866.
"Le déposant est propriétaire de deux, marais contenant 68 œillets et d'une superficie de 3 hectares environ. Il cultive lui-même, ses marais et quelque que soit leur produit, il compte bien ne pas les abandonner, car il est vieux ; et il les aime.
Autrefois, la troque lui était d'un grand secours, sa famille se composant de dix personnes, chacun de ses membres en profitait. On désirerait dans les pays la voir rétablie mais on l'espère peu."
Enquête sur les sels, 1866
A.D.M ( 1-3 F 207)
Mais, ceux-ci sont souvent contraints de se louer en plus comme journaliers pour compléter leurs ressources. Après la suppression définitive de la troque du sel, beaucoup abandonnent les marais.
"Les paludiers sont de plus en plus misérables: ils abandonnent presque entièrement la culture des marais salants, et essaient de gagner leur vie en travaillant aux champs. Ils cultivent sur les digues des marais, du froment, de l’avoine et récoltent assez pour pouvoir se nourrir pendant quatre mois environ. Si les propriétaires ne se décident pas à les payer à la journée, ils quitteront tous leur état de paludier préfèreront gagner aux champs 1 franc par jour plus la nourriture comme les autres ouvriers. Déjà, un certain nombre d'œillets sont abandonnés depuis l’année dernière:"
M. Voirin Receveur des Douanes aux Quatre Vents
Enquête sur les sels 1866.
La situation des derniers paludiers, avant la seconde guerre mondiale n'avait pas évolué.
"Ces gars-là qui faisaient ce qu'on appelle le paludier, c'étaient des gars qui avaient en général deux, ou trois vaches. La femme, s'en occupait. Ils avaient la moitié du sel pour eux et la moitié pour le propriétaire. On leur donnait un bout de terrain qu'ils travaillaient eux-mêmes où ils pouvaient semer de l’orge, planter des betteraves et une petite prairie pour faire des foins pour leurs bêtes."
" Et quand ce n'était pas la saison du sel , ils travaillaient soit en carrière pour arracher la pierre, soit chez les cultivateurs au moment des grands travaux, L'hiver, ils venaient casser du bois. Ils étaient pris un peu à tout faire. "
Témoignage de Ferdinand Quester
Le paludier, outre sa part de sel gris disposait de "la fleur de sel", le sel blanc et il était payé pour les travaux de remise en état de la saline, pour la livraison de la récolte (1 franc par tonne) et pour l'entretien du mulon si le sel restait plus d'un an sur le marais.
Vente ou démolition des casernes, diminution des effectifs des douanes
La fraude de l'impôt sur le sel au XIX° siècle n'eut jamais la même importance que le faux saunage sous l'Ancien Régime. Au fil des années, et surtout à partir de 1840, le revenu fiscal que représentait la taxe sur les sels diminue régulièrement par rapport aux autres revenus.
L'impôt sur le sel constituait en 1816 près de 50 % des perceptions de la douane. Cette part n'était plus que de 25% en 1848, de 13% en 1845, de 5 % à compter de 1880 et en 1925 elle avait chuté à 1,5%.
La douane et les douaniers de l'Ancien Régime au Marché Commun.
Jean Clinquart Editions Taillandier
En 1926, la surveillance permanente sur les marais cessa. Les sauniers durent seulement tenir une comptabilité soumise à des contrôles inopinés des services des douanes.
Vingt ans plus tard, en 1945, l'impôt lui même fut supprimé définitivement. Quand la surveillance des marais devint de moins en moins rentable, on entreprit de vendre casernes, guérites et corps de garde et les effectifs des brigades diminuèrent.
Séné conserva la caserne des Quatre Vents mais la caserne de Billorois fut vendue et celle de Kerbiscon en mauvais état fut démolie et les matériaux furent achetés en 1886 par un marchand de bois de Vannes, M. Le Guen pour la somme de 140 francs.
A.D. M ( P 220)
Le Maire de Surzur fait état lors du recensement effectué en 1866 de l'incidence du départ des brigades des douanes sur la diminution de la population:
"'Rapport sur tes causes connues ou présumées des augmentations ou diminutions que présente ce dénombrement comparé à celui de 1861 ".
Il y a 65 habitants en moins, diminution attribuée à : "la suppression de plusieurs brigades de douanes qui a eu lieu l’an dernier. Le retrait de ces préposés dont les nombreux enfants disséminés dans cette commune et qui ont presque tous suivis leurs parents est le seul motif auquel nous puissions imputer la diminution de la population que nous croyons avoir recensée avec la plus scrupuleuse attention."
A.D.M (6M 16)
Evolution de la propriété salicole
De 1721 à 1791, les salines ont appartenu à titre individuel ou collectif aux Chanoines du Chapitre de Vannes. En 1791 les biens du clergé furent confisqués et les salines furent vendues comme domaines nationaux.
M. Le Mauff, capitaine de vaisseau du Roy acheta 75 œillets pour la somme de 16 000 livres. M.Guillemet, marchand à Vannes acheta 103 œillets pour 5425 livres.
Mais la plus grande partie, 2307 œillets fut achetée par Augustin Périer commandant des Gardes Nationaux de Lorient et Administrateur de la Compagnie des Indes pour un prix de 280 525 livres. Il les revendit presque aussitôt à MM Lucas, Le Mauff et Poussin.
La dernière création de salines à Séné fut celle de la Villeneuve dans l'anse de Mancial, asséchée après qu'une ordonnance royale du 7 juillet 1824 eut autorisé M. Jacques Martin et M. Edouard Louis Lorois qui deviendra préfet du Morbihan en 1830 à construire une digue entre la pointe du Bill et la pointe du Peschit. La digue fut construite en 1827 et l'assèchement fut achevé en 1830.
Au cours du XIX° siècle, les marais salants appartiennent à des propriétaires terriens, comme Levesque Hippolyte, Comte de la Ferrière à Tréhon en Loudéac (un des propriétaires du marais de Mézentré Michot), ou Philippe Alexandre de Kerarmel à Parc Le Gal en Larré (propriétaire en 1890 du marais du Grand Falguérec)
Des négociants peu ou prou intéressés par le commerce du sel achètent aussi des salines. comme Alexandre Yves Marie Soymié d'Etel qui, en 1830, créa sur le port la première usine de conserves de sardines à l'huile.
Après la crise de la pêche à la sardine de 1880-1887, Alexandre Soymié pour faire face à ses difficultés financières vendit les salines qu'il possédait au Hézo et à Séné. Un autre gros négociant de « sels en gros, poissons secs et salés", Auguste Fortune Théodore Douaud de Nantes les acheta en 1897.
Mais posséder des marais salants étaient de moins en moins rentables et dès 1866 les salines étaient déjà fortement dépréciées.
"Avant la loi du 17 juin 1840, dans les localités où l’hectare de marais salants se vendait entre 3 000 et 4000 francs les meilleures terres valaient 1 000 francs, on ne trouve plus à vendre ces mêmes marais 600 francs et les terres ont triplé de valeur. "
M. Dubois négociant à Vannes Enquête sur les sels, 1866
Aussi à la fin du XIX° siècle et au début du XX° siècle, les négociants et les propriétaires terriens vendent leurs marais aux agriculteurs et aux paludiers.
Petit à petit, l'activité salicole se désorganise. Elle ne représente le plus souvent qu'une ressource d'appoint. Les marais mal entretenus, travaillés dans de mauvaises conditions sont progressivement abandonnés.
La saignée de la guerre 1914-1918 n'arrangea rien sans doute et peu avant la seconde guerre mondiale, la saliculture sur les marais de Séné était en voie d'extinction.
Seuls, quelques paludiers continueront quelques années encore après la guerre de 1939-1945 à récolter le sel. Le dernier paludier cessera toute activité en 1951.
Les salines de Séné
Au 18e siècle, la majorité de la population vit de l´agriculture. Toutefois, certains habitants pratiquent la saliculture ou la pêche.
L'extraction de sels a cependant existé avant l'avènement des techniques des marais salants par les paludiers (lire article Saunerie)
A partir de 1723, le chapitre cathédrale de Vannes décide d´aménager des marais salants à Séné. Pour cela, il encourage l´installation de paludiers de la presqu´île de Guérande, où ils sont trop nombreux. Les nouveaux arrivants, originaires pour la plupart de Bourg-de-Batz (aujourd´hui Batz-sur-Mer), s´installent dans les villages situés à l´est du territoire communal (Michotte, Falguerec, Bindre, Cano) avec leurs familles. Venus initialement pour former de nouveaux paludiers, ils se mêlent progressivement à la population locale par mariages. Les marais salants modèlent le paysage et ouvrent une ère de prospérité. Le « terrain inculte que la mer couvre de son flux chaque jour » est métamorphosé.
Mathurin MEHEUT Les ramasseuses de sel Guérande
En 23 ans, entre 1725 et 1748, sont réalisés à Séné autant d´oeillets qu´en 140 ans dans toute l'étendue du bassin salicole de Guérande, entre le milieu du 16e siècle et le 18e siècle. Entre 1725 et 1737, 26 des 39 salines du chapitre de Vannes sont situées sur la presqu'île de Séné. La production, destinée en grande partie à l´exportation vers l´Espagne sur des bateaux originaires de Pénerf et de l´île aux Moines, connaît son apogée en 1765, date à laquelle l´ensemble des salines est mis en valeur.
En parallèle à l'essor des paludiers, l'essor des charpentiers de marines qui construisent les bateaux nécesaires à "l'exportation" du sel.
Salines de Falguérec aujourd'hui inclues dans la réserve ornithologique selon le cadastre de 1844.
Cette carte datée de 1882 donne le plan des salines avec l'emplacement de la salorge ou "usine à sel" où on stockait le sel. On peut voir le vestige d'une salorge à Michotte dans l'enceinte de la réserve de Flaguérec.
Il en existait une autre à la Belle Etoile qui fut détruite pour laisser place à un lotissement et une près du marais de Kerbiscon.
On distingue sur cette carte les salines de Kerbiscon, les salines de Bindre, les salines de Dolan et au bout de la rivère de Noyalo les salines de Penaval.
Les paludiers construisent des salines sur l'actuelle pointe de Rosvelec en face le moulin de Cantizac. La saline de Languersac et du Morboul bordent le nord de la presqu'ile de Langle.
On peut voir encore les vestiges de la digue dite du "Pont Lisse" et sur laquelle passe un sentier. Ce sentier est un raccourci pour les Sinagots qui du bourg peuvent gagner Gorneveze plus rapidement. La digue a supplanté l'usage d'un guet constitué degrosses pierres posées sur la vasières. Les gens du bourg l'empruntaient pour s'éviter le chemin passant par le lieu-dit le Purgatoire. Aussi ont-ils appelé la parcelle au débouché de ce gué le "Paradis". Il ne reste aujourd'hui que quelques grosses pierres témoignant que les déplacements entre presqu'île et bourg puis Vannes ont de tout temps été une préoccupation des Sinagots.
Pont Lisse délimitant la saline de Languersac
Muret toujours visible de la saline du Morboul.
Au sud la saline du Porhic à Cadouarn et même une saline au sud de l'île de Boed.
Vue actuelle de la saline du Porhic
En fin, dans l'actuelle anse de Mancel, étaient aménagées les salines de Billerois. (Lire article sur l'anse de Mancel).
Au XIX° siècle, les activités économiques de Séné restent très variées, à la fois tournées vers la terre et la mer. Elles connaissent néanmoins des destinées diverses : l´activité salicole, particulièrement développée au 18e siècle, décline, l´ostréiculture s´organise et la pêche est en plein essor.
Une législation nationale défavorable à partir de 1806 (les sels bretons étaient sous l´Ancien Régime exemptés de l´impôt de la gabelle) et la concurrence des salins du Midi et de lEst, d´Espagne et du Portugal, meilleur marché, entraînent la crise de l´activité salicole au XIX° siècle. L´exploitation des marais salants se désorganise, l´activité ne devient progressivement qu´une petite ressource d´appoint pour les agriculteurs. Ce déclin est si fort que l´Etat décide de réduire les subsides affectés à la surveillance des marais. Les effectifs de douaniers sont diminués. En 1883, la surveillance permanente cesse et les casernes et guérites de douaniers sont vendues ou démolies. Les marais, mal entretenus, travaillés dans de mauvaises conditions, sont progressivement abandonnés. Le dernier paludier cesse toute activité en 1951.
L'instauration de la gabelle, l'impôt sur le sel, conduit l'Etat à faire surveiller la production et le commerce du sel par un réseau de guérites pour duanoiers qu'il faut loger d'abord en réquisitionnant des maisons et ensuite en construisant des casernes.
Ci-dessus : saulnier en 1875 à Michotte et au début du XX°s à Dolan
L'ancienne Caserne des Quatre Vents
La caserne des Quatre Vents à Séné
La caserne des Quatre Vents était la caserne des douanes la plus importante construite à Séné. Située au centre des marais, elle abritait le bureau du receveur où l’on venait s’acquitter des droits d’enlèvement des sels et où les préposés conduisaient les fraudeurs qu’ils avaient capturés pour rédiger, en leur présence, le procès verbal d’arrestation.
La construction de la caserne
Le 30 août 1808, une adjudication est établie pour la construction d’une caserne sur la commune de Séné dans la lande communale connue sous le nom des Quatre Vents.
En avril 1809, la commune de Séné et l’administration désigne des experts pour déterminer l’étendue et la qualité de l’emprise de la caserne et, le 1° août 1809, monsieur de Sannois, Inspecteur des Douanes impériales et monsieur Brunet Debaines, architecte nommé pour surveiller la construction, procèdent à la réception de la caserne. (AD56 P203)
Vendue dans les années 30, la caserne des Quatre Vents fut achetée par la paroisse St Paul de Vitry qui y installa une colonie de vacances. Revendue, c’est aujourd’hui une propriété privée.
Corps de Garde Barrarach
Les promeneurs qui empruntent le sentier côtier qui va de la cale de Barrarach vers Port-Anna, distingue dans la végétation une croix à côté d'une "maisonnette", une cahute, malheureusement, en mauvais état, avec une ouverture sous le toit murée de parpaings.
Cette construction n'est autre qu'un poste de douane et Camille Rollando, dans un livre "Séné d'Hier et Aujourd'hui" nous en livre son origine.
"C'est un promontoire, surmonté d'un ancien poste de douane, d'où la vue panoramique plonge sur la rivière de Vannes au nord-est, sur la rivière du Vincin au nord-ouest et au sud sur le Golfe...Pourquoi un poste de douane à cet endroit? Il faut savoir qu'avant 1862, date de l'arrivée du chemin de fer, le trafic des marchandises se faisait beaucoup par voie de mer. Il fallait donc un poste de douane maritime (patache) pour vérifier les cargasions des navires allant à Vannes."
On retrouve la trace de cette "patache" de douaniers dès le cadastre de 1844, et les relevés qui succèdent ne manque pas de la faire figurer dans les cadastres, cartes d'état major et carte géographique de Séné.
Cadastre 1844
Carte 1866
Carte 1882
L'inventaire de la DRAC de Bretagne nous indique sans trop de précison que la construction daterait de la fin du XVIII° siècle, avec des ouvertures et une toiture modifiée courant XIX°siècle.
Cette photographie date de 1899, extraite du Journal de la Jeunesse montre le corps de garde pris en photo depuis Moréac-Arradon Comme partout sur le littoral du Golfe, le paysage est dénudé, sans arbre, de la lande et des rochers.
Gravure de Jean frélaut 1912 depuis Conleau,
vue sur La butte de Langle avec le Corps de Garde
En 1912, Jean FRELAUT nous en donne une représentation avec un drapeau tricolore au sommet. Le peintre l'a également représentée lors des Régates de Conleau, c'était un point de ralliement des spectateurs massés sur la butte pour regarder les régatiers.
En pretant attention aux vieilles cartes postales, on peut observer l'évolution de la construction au fil du temps. La butte de Barrarach n'a pas toujours été couverte d'un bois de résineux comme nous l'indique la gravure de Frélaut et cette vieille carte postale qui présente une vue prise depuis Moréac en Arradon..
Cette autre photographie est prise depuis la plage de Conleau.On distingue la patache et la croix à son côté gauche et l'abri du douanier à droite.
En 1964 Beranrd MOISAN filme les ostréiculteur à Port-Anna. On distingue le corps de garde.
Cette vue en couleur est prise depuis la cale de Conleau. Sur la barque sans doute une passeuse de Séné qui accoste.
Erigée au sommet de la butte de Barrarach, le cahute des douaniers mériterait d'être restaurée et insérée dans un sentier patrimonial autour de Port Anna.
Memoire du Sel 1/2, par Yvon DUFRENE
Mémoires du Sel
Yvon Dufrêne - Sept.1996
Histoire des marais salants de Séné
1-POURQUOI DES MARAIS SALANTS A SENE ?
Si de nos jours, le sel ne joue dans l'économie mondiale qu'un rôle mineur, son importance autrefois peut se comparer à celle du pétrole aujourd'hui.
Depuis le XIX° siècle, dans les pays développés, avec l'avènement de la civilisation industrielle, les besoins en énergie forment la préoccupation majeure. Dans les siècles précédents, il s'agissait avant tout de se nourrir, de manger à sa faim.
Il y eut naguère des "guerres du sel" comme à notre époque des "guerres du pétrole". Posséder du sel, en contrôler la vente, la taxer, était source de richesse. Les pouvoirs l'ont vite compris. L'impôt sur le sel n'a été supprimé en France qu'en 1945.
Du saloir à l'usine
Denrée de première nécessité : substance vitale, condiment par excellence, agent conservateur, l'importance du sel dans la vie domestique fut primordiale pendant des siècles.
Au XVIII° siècle, période de création des marais salants de Séné, et jusqu'au milieu du XX° siècle, son rôle était irremplaçable dans la conservation des aliments.
Depuis l'antiquité, on avait pressenti les vertus antiseptiques du sel et son pouvoir déshydratant et on les utilisa pour la conservation des viandes, des poissons, et des produits laitiers.
" Gant halen e vez kasset blas ar goular...
Avec le sel on retire le goût du fade "
La Bretagne était sous l'Ancien Régime, pays de franc-salé, c'est à dire ne payant pas la gabelle, cet impôt sur le sel particulièrement haï partout ailleurs en France. Aussi notre région fut elle logiquement célèbre pour ses salaisons.
Salaison des viandes
Dans beaucoup de foyers, on possède encore ces charniers de terre cuite où l'on conservait la viande de porc salée et qui ne furent détrônés par le congélateur que dans les années 1960-1970.
En plus du porc on salait aussi la viande de bœuf. "'Dès la fin du moyen-âge, les salaisons de viandes de bœuf entrent dans t'avitaillement des navires bretons et européens, autorisant des pérégrinations sur mer sans qu’il ne soit nécessaire de toucher terre. Les grands ports, Brest, Lorient, siège de La Compagnie des Indes, et Nantes, point de départ du Commerce triangulaire en sont demandeurs pour leur vaisseaux de commerce ou de guerre (1) "
(1) Gildas Buron dans "Quand les Bretons passent à table"
Salaison des poissons
Outre les viandes on salait aussi les poissons
" Dans les limites du domaine breton, on inventorie une infinité d'espèces qui ont fait l'objet de préparation à sec ou de techniques spécifiques de saumurage ... Les pêcheurs, fournissant en période de Carême à l'arrière-pays et aux villes de Bretagne, toutes espèces de poissons salés susceptibles de figurer aux, menus des tables des élites et des classes populaires, faisaient intervenir [e salage à un stade ou à un autre des procédés de conservation. (1)
Le long des côtes morbihannaises existaient de nombreuses presses à sardines dans lesquelles les poissons étaient salés et disposés dans des barils percés pour y être pressés. Voilà comment Le Masson du Parc décrit, dans son rapport sur les pêches, les presses à sardines à Belle-Ile en 1728:
"Les presses à sardines sont des espèces de petits magasins à rez-de-chaussée sans aucun étage. A la hauteur de trois pieds et demi à pieds sont des trous dans la muraille d'environ un pied en quarré et de profondeur pour y pouvoir placer le bout de l'anspect ou petit soliveau qui forme le levier de fa presse. On place le baril à distance proportionnée de la muraille. Le fond qui est percé est sur un conduit ou petit égout le long duquel coulent l’huile et l’eau qui sortent des barils et qui tombent dans une espèce de cuve qui sert de réservoir pour recevoir tout ce qui sort des barils ou des presses ...
On place sur le bout du haut du baril qui est ouvert un faux-fond de bois de l'épaisseur de 7 à 8 pouces et ensuite quelques petites traverses de bois qu'on multiplie à mesure que les sardines s'affaissent, et au-dessus, on met le levier au bout duquel on place une planche suspendue avec de petites cordes, comme un des fonds d'une balance, que l’on charge de pierres et d'autres poids pour faire un poids convenable et suffisant sur les sardines du baril, et on augmente ce poids à mesure qu'elles se pressent, en remplissant: de tems à autre le haut du baril jusqu’à ce que la presse soit achevée et le baril rempli comme il doit être. (2)
(2) ADM (9 B 257)
Le paludier de Séné, quant à lui, salait les anguilles qu'il pêchait lors du rayage des vasières (opération qui consistait à assécher les vasières pour enlever la vase molle et les végétaux qui s'y étaient accumulés).
Les anguilles pêchées dans les vasières étaient pour partie conservées dans le sel et pour partie vendues au bourg de Séné.
" On commençait par les trier. 'Elles étaient salles et mises dans un charnier comme le cochon. Les plus belles anguilles, on mettait ça dans un fût de bois : une demi-barrique, en couches, bien salées.
'Et en hiver on les griffait sur le feu de bois et on tes mangeait avec des pommes de terre chaudes Le soir. On les mettait un peu à dessaler avant, parce que le sel s'était tellement imprégné qu'on aurait eu du mal à les manger. "
" On attelait le cheval au char à banc et on allait tes vendre au bourg de Séné et dans le Grand Village tous les jeudis soirs. Comme vendredi, en ce temps-là c'était le jour du poisson, on n'avait pas de mai à les vendre. C'était commandé à l’avance. La grosse partie était pesée à la maison, par deux, ou trois kilos pour les familles qu'on connaissait. "
(Témoignage de Ferdinand Quester)
Les tanneurs employaient le sel pour le traitement et la conservation des peaux.
Requête des bouchers de Pluvigner présentée par le maire en 1807 au Préfet du Morbihan.
Salaison des produits laitiers
Sur tout le littoral atlantique, on sale le beurre, autrefois pour le conserver, aujourd'hui pour satisfaire le goût du consommateur. Le beurre salé amanenn sall est toujours préféré, en Bretagne au beurre doux amanenn douss
"La crème était battue dans des barattes verticales, le plus souvent en bois cerclé, parfois en terre dont on laissait retomber en cadence le bâton de baratte, ar vazh – ribot. Par la suite, vinrent différents modèles en bois plus aisés à utiliser: parfois toute fa baratte tournait sur son axe....
Les mottes étaient ensuite mises en forme et décorées à la cuillère de bois ou avec des marques en buis,"
(3) Boued, expressions culinaires - Patrick Hervé
Le sel n'a pas seulement été utilisé dans l'alimentation humaine ou animale. Au Moyen Age dans certaines régions on plongeait les bois de charpente dans de la saumure pour favoriser leur conservation.
En médecine, il servait aussi dans la préparation de potions.
Pline dit que le sel guérit des morsures de serpent, des piqûres de scorpion, les ulcères et les verrues.
Conservation et traitement des peaux
Les tanneurs employaient le sel pour le traitement et la conservation des peaux
En août 1807, le maire de Pluvigner écrit au Préfet du Morbihan pour lui présenter la requête des bouchers de sa commune qui souhaitent pour le salage des peaux "être autorisés à acheter avec les fabricants de sardine les sels qui sont jetés à la mer à la sortie des presses.
Ces sels sont meilleurs pour la conservation des cuirs et la régie des Douanes ne peut avoir la crainte qu'ils soient employés à une autre destination. "
A.D.M ( P 207)
Fabrique de produits chimiques
A partir du XIXème siècle, l'industrie chimique sera grande consommatrice de sel.
En 1852 Mrs La Gillardaie, frères et Cie, négociants à Vannes souhaitent établir une fabrique de produits chimiques à Séné. Ils obtiennent en avril 1853 "L'autorisation d'établir au lieu-dit La Garenne près du village de Montsarrac en la commune de Séné, une fabrique de produits chimiques, tels que sulfate de potasse, chlorure de potassium cristallisé, alun, nitrate de potasse, iode, brome, iodures, bromure."
A.D.M ( 5M 223 )
Le besoin d'argent des chanoines du chapitre de Vannes
En 1720 les Chanoines du Chapitre de Vannes avaient perdu beaucoup d'argent dans la banqueroute de la banque Law. De nombreux capitaux leur avaient été remboursés en billets de banque et ces billets perdirent en très peu de temps leur valeur.
D'autre part, le bas chœur de la cathédrale avait besoin de travaux urgents.
Ils pensent trouver une solution à leurs ennuis financiers en créant des salines à Séné sur des terres bordant la rivière de Noyalo et faisant partie du domaine maritime royal.
Au nom du Chapitre, Mgr Antoine FAGON [1665 Paris – 16/2/1742 Plescop], évêque de Vannes (1719-1742), fils du premier médecin de Louis XIV, sollicite du roi Louis XV la concession de ces terres.
En Conseil d'Etat, le 7 février 1 721, le roi accède à cette requête et "accorde aux doyen, chanoines au chapitre de la cathédrale de 'Vannes la jouissance à titre d'inféodation, d'un terrain inculte que la mer couvre de son reflux chaque jour, situé clans la paroisse de Séné. . . terrain accordé pour soulager une pauvre cathédrale. "
A.D.M(69 G 1)
L'annonce en est faite "aux prônes des églises des paroisses voisines dudit terrain" trois dimanches consécutifs afin de permettre à ceux qui s'y opposeraient: riverains et autres voisins, de faire appel de cette décision.
Ces "bannies" eurent lieu à Séné, ainsi qu'à Saint Patern et Noyalo, "les dimanches 18 et 25 mai et 1er juin 1721"
Voir A.D.M (69 G 1)
Un milieu favorable
Le choix des Chanoines s'expliquent aisément. Dans la presqu'île de Guérande, depuis le IXe siècle, l'industrie du sel était florissante.
En 854, le Comte de Vannes, Paskweten avait fait don aux religieux de Redon de terrains sis à Guérande pour y établir des salines.
Les moines de l'abbaye de Saint Sauveur de Redon et de l'abbaye de Prières exploitaient eux aussi depuis longtemps des salines en presqu'île de Rhuys et à Billiers
Le 4 novembre 1 725, cinq paludiers: Jullien Jaunais, Jacques Richard, Jan Le Heudé, Pierre Briant et Louis Landay venus de Saillé et de Batz sur mer, après "avoir vus et visités ledit terrain ", déclarent : "unaniment qu'il est propre pour faire des maraix salans et que les dits sieurs au chapitre ne peuvent faire une chose plus utile et plus avantageuse pour eux que de faire travailler incessamment à la construction des dits marais "
Procès verbal fut rédigé en l'étude de Maitre Le Dréan, notaire royal à Vannes.Les paludiers déclarant" ne savoir signer" donnèrent procuration de signature à cinq vannetais présents. A.D.M ( 69G 1)
2 CONSTRUCTION DES SALINES
L'arpentage du terrain
Le 21 juillet 1723 la Chambre des Comptes de Bretagne désigne Maître Couradin pour procéder avec un arpenteur au mesurage des terrains sur lesquels seront construites les salines
Le 2 mai 1724, Messire François Bachelier chevalier, Seigneur de Bercy, Conseiller du Roi et les autres membres de la commission constituée à cette fin: Olivier de Kermasson, conseiller du Roi, substitut du procureur du Roy et maître Julien Le Simple, huissier ordinaire de la Chambre des Comptes de Bretagne, quittent Rennes pour Vannes. Ils y arrivent le 3 mai sur les sept heures du soir. A une distance d'une demi lieue de la ville ils sont accueillis par "les nobles et discrets messires Pierre Dondel et Hyacinthe Huchet chanoines " venus faire de la part du chapitre "les compliments de bienséance". Ceux-ci les engagent "à prendre place avec eux dans un carrosse venu à cet effet". Ils les conduisent rue Notre Dame paroisse du Méné où un logement a été préparé et où d'autres chanoines ":Messires Augustin de Langle, Joachim Eugène de Trevelec et Jean Baptiste Maurice "les attendaient pour leur présenter, eux aussi leurs civilités.
Le lendemain le 4 mai, Maitre Julien Le Ray greffier des juridictions des réguaires de Vannes, chargé de rédiger le procès verbal et Maitre Pierre Julien Moreau priseur et arpenteur au présidial de Vannes prêtent serment de "bien et fidèlement se comporter" dans leur mission et vers 8 heures, ils partent tous, accompagnés par l'un des chanoines Messire Jean Baptiste Maurice.
L'arpentage dura deux jours. Procès verbal de mesurage et de débomement de salines 3 et 4 may 1724
A.D.M ( 69 G 1 )
La construction proprement dite de 1 725 à 1742
La construction des salines ne commença pas immédiatement après l'ar¬pentage à cause de divergences de points de vue entre les chanoines. Certains étant semble-t-Il sceptiques quant au résultat de l'entreprise
En 1725, les notaires royaux à la demande de Mgr Fagon mettent en de¬meure le Chapitre de commencer les travaux.
Le 4 novembre 1725, afin sans doute de prévenir toute contestation ultérieure, les paludiers qu'on a fait venir de Batz sur mer et de Saillé déclarent le terrain propre à édifier des marais salants et procès verbal est dressé (voir plus haut).
Dès le 25 mai 1725 Julien Jaunais, Jacques Richard et Pierre Brian avaient été embauchés comme paludiers entrepreneurs pour un salaire mensuel de 25 livres chacun. En octobre 1725, ils furent rejoints par Gui¬gnolet Guénésan à qui on versa 2 livres pour le voyage de Guérande à Séné.
Ces entrepreneurs de marais étaient des paludiers chevronnés qui quittaient provisoirement leur exploitation pour aller ailleurs construire des salines.
Véritables architectes, ils devaient créer et modeler l'espace en fonction de l'état des marais préexistants et de nombreux paramètres: niveau des marées qui conditionne l'alimentation en eau de mer, orientation des œillets pour tenir compte de l'ensoleillement et des vents dominants, calcul de la capacité des réservoirs en fonction du nombre d'œillets prévus.
La quantité de sel produite sur une saline dépend de l'exactitude des observations faites sur les lieux : certaines salines seront plus productives que d'autres.
"Professionnel de fa saunaison, observateur méthodique, créateur et modeleur d'un espace nouveau, le paludier entrepreneur est à la fois technicien et artiste. Il doit également être un chef capable de diriger un grand nombre d'ouvriers."
Pierre Dalido (Cahiers d'Histoire Maritime du Morbihan N°23) :
Un vaste chantier
De nombreux comptes tenus avec soin nous livrent une foule de renseignements et nous donnent ainsi une idée de l'importance du chantier.
"Compte que rend Monsieur Nebout tant en charge qu'en décharge des sommes qu’il a touchées par ordre de monseigneur l’Evesque de Vannes pour faire construire des salines dans le terrain que sa Majesté a accordé au chapitre dans la paroisse de Séné 1725 "
"Compte que rend Monsieur Nebout Chanoine des sommes qu’il a touchées du clergé par ordre de Monseigneur l'Evesque de Vannes pour la continuation des ouvrages des salines dans ce terrain que sa majesté a accordé au chapitre et ce depuis le compte qu’il a rendu au chapitre le 28 février 1727 "
"Registre des marchés fait pour la continuation des salines et payemens janvier 17 30 "
Pour débarrasser les marais de toute leur végétation, pour creuser les réservoirs (vasières et cobiers) pour "lever les fossés" (édifier les talus) et" les ponts " (petites diguettes -cloisonnant les salines et séparant les œillets, bassins où le sel se cristallise) , une main d'œuvre considérable a été employée, constituée de " journaliers " recrutés à Séné et dans les paroisses voisines.
Les appels d'offre étaient, sans doute, faits aux prônes du dimanche dans les églises et les chapelles.
Monsieur Julien Cougan, le curé de Séné, * est appointé par le chapitre et" reçoit 15 livres par mois pour veiller sur les ouvriers.
Le salaire des journaliers était de 8 sols pour la journée pour les hommes et de 5 sols seulement pour les femmes l**
* *En Bretagne, le curé est en fait le vicaire. Le recteur est Pierre Le Neveu
** Une bouteille de vin rouge coûte 10 sols, un bouteille de vin blanc 5 sols, un pain 5 sols ("Compte du vin que jay fait donner aux paludiers par ordre de monsieur l’Abbé Morice juillet 1731 "A.D.M 69 G 3
Sur une autre note: ''payé k 2 mais de bouteilles de vint blan et un costellest de larre 1 livre 5 sols 1730 "A.D.M ( 69 G 2)
Le salaire journalier sera porté à 10 sols en 1 738 (Compte de réparations faites aux salines 1738 A.D.M. (69 G 2 )
Le 23 juin 1725, pour une semaine, 934 livres furent payés pour" travaux de journaliers"
En comptant six jours de travail par semaine à 8 sols la journée, on peut estimer à 390 à 400 le nombre de journaliers travaillant certains jours sur les marais. •
Après les gros travaux de terrassement, on peut passer à la réalisation beaucoup plus technique et délicate des salines.
Cela se fait sous la direction des entrepreneurs de marais et de paludiers venus de Batz sur mer pour la plupart. Ces paludiers prirent ensuite en char¬ge l'exploitation des marais salants pour le compte du Chapitre.
D'autres corps de métiers intervinrent aussi: bûcherons et charpentiers:
Les réservoirs (vasières et cobiers) sont séparés de la saline proprement dite avec ses bassins de concentration (fares et adernes) et ses œillets par un talus que l'eau de mer franchit à travers un conduit souterrain.
Ces buses, qu'à Séné on appelait des tuits ou thuys (cui à Guérande), étaient:
-ou deux demi troncs d'arbres creusés à l'herminette et assemblés l'un sur l'autre et calfatés: "alloué de la somme de cent lires payée au sieur Danet suivant la quittance du 27 avril 1727 pour un tronc d'arbre de quarante pieds de longueur et de onze de grosseur pour faire deux tuits de vasière" *
A.D.M (69 G 2)
Pour les fabriquer, on alla chercher des bois jusqu'à Auray : "alloué de la somme de soixante quatorze livres payée le 30 avril à Jean ROZO et consorts charpentiers pour avoir exploité ledit arbre et amené d’Auray aux salines " A.D.M (69 G 2)
- ou des tuyaux de bois de section carrée et formés de 4 planches clouées les unes sur les autres
"alloué de la somme de cinquante deux livres seize sols pour huict planches de bordage de 2 pousses d'épaisseur et de 22 pieds de longueur pour faire 2 tuits pour la saline à six sols le pieds le 22e mars 172 7 "*
"alloué de la somme de huict livres payée à Danet le 5° avril 1727 pour la façon des dits tuits et avoir fourny les clouds,"
Dans les planches de l'extrémité des tuits des trous étaient percés et selon le débit d'eau souhaité, on obturait plus ou moins de trous avec des chevilles de bois
* un pied = 0, 325 m un pouce = 0,027 m 40 pieds = 13 m ; 11 pieds = 3,575m
22 pieds= 7, 15 m; 2 pouces= 5,4 cm
Les tuits ou thuys (XVIII°siècle) (cui à Guérande)
Ce sont des buses de bois permettant le franchissement des talus qu’on appelle fossés à Séné.
A l’extrémité des tuits des chevilles de bois obturant les trous pratiqués dans les planches fermant le conduit permettent de régler le débit de l’eau.
Saline du Grand Daulan
3-PRODUCTION DU SEL
Comment produit-on le sel ?
" Pour mettre en réserve l'eau de mer qui est la matière première des marais salants que l'on appelle aussi saline, les paludiers ne la puisaient pas dans la mer. Ils profitaient des grandes marées. Quand la marée monte au plus haut, elle pénètre dans un long canal: l'étier, puis dans un grand bassin : la vasière. Une trappe, empêche ensuite l'eau de quitter la vasière pour redescendre dans la mer.
L'eau de la vasière n'est pas utilisée immédiatement. On la laisse décanter (les vases et les sables qu'elle contient se déposent au fond). L'eau passe ensuite dans les bassins plus petits: les gobiers, avec des petits murs en chicane, où les vases finissent par se déposer.
En ouvrant ou en fermant la porte de sortie des gobiers, les paludiers règlent l'entrée de l'eau de mer dans la saline quand ils en ont besoin. Une seule vasière peut alimenter en eau de mer plusieurs salines voisines.
Chaque partie de la saline est légèrement en contrebas de la précédente et l'eau s'y écoule sous l'effet de la pente. Mais de nombreuses chicanes ralentissent son écoulement.
L'eau parcourt un véritable labyrinthe aux parois d'argile, faisant le tour de la saline dans des bassins appelés fares.
Sous l’effet du soleil, la température s’élève et à cause de l’évaporation la concentration en sel augmente peu à peu.
Quand l'eau a parcouru tout le circuit des fares, elle est admise dans les adernes, réserves d'eau très salée, où elle se décante encore avant d'entrer dans des bassins plus petits: les œillets où le sel cristallise et est récolté. Sur chacune des séparations d'argile entre les œillets est ménagée une petite plate-forme d'argile. La ladure sur laquelle le paludier dépose le sel qu'il vient de récolter.
* un œillet mesure environ 6 mètres sur 9
La récolte du sel
La récolte du sel se fait en été, de juin à septembre suivant le temps qu'il fait.
Le soleil et le vent étant les forces nécessaires pour l'évaporation de l'eau, plus l'été est chaud, ensoleillé avec du vent, plus la récolte est abondante.
Le paludier fait le tour de l'œillet en poussant l'eau avec le las, le sel qui s'est cristallisé s'amasse devant son outil.
Le sel est ramené au bord de la ladure puis remonté. Il formera un petit tas que le paludier laissera égoutter avant de le transporter sur un gros tas, le mulon.
A la surface de l'eau, se forme une mince couche de sel blanc, plus fin que l'on appelle fleur de sel. Ce sel est cueilli à l'aide d'un autre outil, la lousse. Il est récolté à part.
Les marais salants bretons Bibliothèque de travail N° 944 Publications Ecole Moderne Française
Les outils du paludier à Batz-sur Mer :
Les noms de ces outils sont ceux employés à Batz-sur-Mer. Dans l'état actuel de nos re¬cherches, rien ne prouve que ces termes soient les mêmes que ceux utilisés à Séné.
Le paludier possède différents outils auxquels il donne des noms particuliers
Le las est l'outil le plus utilisé. Sa planchette présente un bord biseauté pour pousser le sel. Le paludier se sert de l'autre bord quand il tire le las au fond de l'œillet
1- la lousse à sel fin qui sert à cueillir la fleur de sel à la surface de l'œillet.
2- la cesse, écope à main utilisée pour vider l'eau des salines.
3- la lousse à ponter pour relever la va¬se et refaire la bordure des œillets.
4- le boutoué pour pousser la vase.
5- le las (rable ou rouable à Séné) au manche très long (5 m) qui permet de pousser ou de retirer le sel de l'œillet.
6- les salgaies, planchettes qui servent à ramasser le sel sur la ladure.
7- le batoué qui servait autrefois à tasser et lisser l'argile dont on recouvrait les mulons: les tas de sel, pour les protéger des intempéries.
Une production aléatoire :
Les paludiers récoltaient deux sortes de sel : La fleur de sel appelée aussi sel blanc, sel menu ou sel fin formée de cristaux légers et très fins flottant en larges plaques à la surface de l'eau et récoltée à l'aide d'une lousse à sel fin. Le sel gris ou gros sel se formant au fond de l'œillet remonté sur la ladure avec le las.
La production de sel est tributaire des caprices de la nature. La culture du sel ne durant au mieux que trois mois environ, quelques jours de pluie suffisent pour tout compromettre.
"Il y a des années où on ne faisait pas 50 kilos de sel. C'était très rare mais c'est arrivé. Ou en mi-saison après avoir fait 20 tonnes de sel tout d'un coup, un orage et le temps devient pluvieux et la saison s'arrête là parce qu'il y a trop d'eau douce qui vient avec l'eau salée donc ça ne donne plus de sel."
Témoignage de Ferdinand Quester
"Il a des années où il n’y a pas du tout de sel. S'il y a un brouillard, même le soir: j'ai vu des marais salants plein de sel: le brouillard est venu vers cinq heures. En une heure tout a été fondu. Il n’y avait plus rien
"Cinq années de rang, mes parents n'ont pas fait de sel à cause de la pluie"
Mme Le Goueff (Pénestin) recueilli par D Quéval et M Chouzier.
Production de sel au XVIIIe siècle
Les quatorze chanoines du chapitre: MM Le Govello, du Bois, Boutouillic, Mercier, Maurice, Dondel, de Langle, Nebout, Ragot, Le Vallois, Huchet, Verdoye, du Clos Bossard, de Coëtlogon se partagèrent une partie des œillets des salines, chacun recevant en partage un nombre à peu près égal d'œillets. La récolte du sel en était à leur disposition.
Une autre partie des salines était réservée à la" mense capitulaire". La men¬se était le patrimoine collectif du chapitre dont les revenus lui permettaient de faire face à ses obligations : entretien de la cathédrale, frais d'ornements, de cérémonies etc ...
Les chanoines embauchèrent des paludiers pour exploiter leurs œillets. En 1 728 sur les salines déjà réalisées, Pierre Lino, Yves Le Calo, Jean Chapon, Loiseau, Louis Landet commençaient à tirer le sel.
En 1749 ils étaient 24 : Guillaume Uzel, François Mouilleron, Mathurin Loiseau, Jan Landais , René Calo, François Régent, René Cadro, Nicolas Thomer, Jan Chapon, Yvon Calo, Pierre Lino, Silvestre Le Duc, Aubin Richard, Yves Bourdic, Pierre Lacroix, Nicolas Laurent, Yves Landais, Jacques Calo, Paul Calo, Jacques Le Gars, Nicolas Chelet, François Le Duc, Thomas Clevet, Jan Le Cocq. Et près d'une quarantaine en 1 762.
Dès 1726 on se préoccupa d'être prêt à ramasser le sel comme le montre ce compte du chanoine Nebout.
"alloué de {a somme de six livres quinze sols pour quatre grandes gesdes et deux paniers pour porter le sel payée le 30 juillet 1726 "A.D.M 69 G 2
Il semble que c'est en 1726 qu'eut lieu la première récolte
Le" Mémoire Des Sels qui restent sur les fossés des salines de Messieurs du Chapitre de l'année 1728 suivant l'estimation qu'en ont faites les Paludiers " nous donne en mesure de Rhuys et en mesure du Croisic les quantités de sels récoltées. Au total 205,5 muids, mesure du Croisic, soit 616,5 tonnes.
un muid de Rhuys = 3 800 kilos ; un muid du Croisic = 3 000 kilos
Production de sel au XIXe siècle
Dans sa réponse à une enquête de la préfecture du Morbihan adressée le 20 octobre 1845, Mr Le Douarin, le maire de Séné signale que la quantité de sel existant sur les marais est de 197 muids dont 131 provenant de la récolte de 1845.
Le prix moyen auquel se vendaient les 1000 kilos de sel était de 50 francs. La même quantité était vendue 60 à 70 francs à Sarzeau et 80 francs à Carnac.
Au recensement de 1841 on dénombre 91 paludiers s'occupant de 10 à 56 œillets :
Reconstitution d’un mouët, mesure à sel du XVIII° siècle
à partir d’un document graphique daté de 1767 et de textes de 1785 et 1798.
Le sel jusqu’à la fin du XIX° siècle se vendait non pas au poids, mais à la mesure. Le sel s’achetait au muid. Le muid était évalué grâce à une mesure de bois : le mouët. Le muid du Croisic valait 22 mouëts.
Le mouët était utilisé sur le marais salant. La mesure était sur « pieds » (pour la décoller plus facilement de l’aire de travail) ; le fond du cylindre était plus épais que les parois et il était soutenu par de solides longerons pour éviter qu’il ne ploie sous l’effet de la charge de sel (150 à 180 kg).
D’après Notes pour servir à la reconstitution d’un mouët » Gildas Buron.
Fin partie 1/2