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mardi, 05 avril 2022 22:21

Joseph PIERRE, timonier sur le "Curie" par Pierre OILLO

Article repris sur le site france-libre.net, écrit par M.Pierre OILLO. quelques rajout de wiki-sene. Original en pièce jointe.

JOSEPH PIERRE, TIMONIER SUR LE «CURIE»,
SOUS-MARIN DES FORCES NAVALES FRANÇAISES LIBRES

La famille de Joseph PIERRE [31/3/1924-22/4/212] est originaire de Séné où il est né le 31 mars 1924. La famille est pointée lors du dénombrement de 1926 et vit au village de Cadouarn. Tous les enfants sont nés à Séné. Joseph reprend le prénom de son frère mort nourrisson en 1923. Son père, marin-pêcheur à Séné va s'installer à l'Île d'Arz vers 1930 pour y exploiter des parcs à huîtres. Ses parents décèderont sur l'île aux Capitaines.

PIERRE Joseph Marie né en 1924 Cadouarn

PIERRE parents

Dès son plus jeune âge, comme de nombreux jeunes originaires de cette île du golfe du Morbihan, il sait qu’il répondra à l’appel de la mer ; non pas comme marin-pêcheur mais qu’il s’engagera dans la marine marchande et voyagera à travers le monde.  Il est d'abord mousse en août 1938 sur le Suzanne; Au début de 1939, Joseph n’a que 14 ans, quand il embarque comme mousse dans le port de Lorient sur un cargo charbonnier : l’Armenier.

PIERRE bateau inscrit

La fiche d'inscrit maritime de Joseph PIERRE nous retrace précisément son parcours de marin. Le 3 septembre 1939 la France déclare la guerre à l’Allemagne. C’est la mobilisation générale. Son bateau étant réquisitionné, Joseph est trop jeune pour être mobilisé. Il est débarqué le 3 septembre et revient à l’île d’Arz en attendant de trouver un embarquement sur un navire de la marine du commerce. L’occasion se présente en janvier 1940.

 Sheherazade petrolier

Un poste de novice lui est proposé sur le « Shéhérazade », un pétrolier qui transporte jusqu’au Havre, de l’essence qu’il va chercher à Corpus Christi au Texas dans le Golfe du Mexique. En juin 1940, alors que le déchargement vient d’être terminé et que l’arrivée des Allemands est imminente, le « Shéhérazade » quitte Le Havre pour Brest puis Le Verdon à l’embouchure de la Gironde. C’est là que l’équipage entend l’un des messages du général de Gaulle qui appelle les Français pour leur demander de refuser le déshonneur de la défaite et poursuivre la lutte à ses côtés. Le pétrolier rejoint Casablanca. Après une escale d’une quinzaine de jours, il part pour New Orleans, port sur le Mississipi.

PIERRE surlesheherazade

Prisonnier des Américains puis des Anglais
L’armistice ayant été signé par le gouvernement de Vichy, les relations avec les Etats-Unis doivent être réexaminées. Le pétrolier est mis sur un mouillage qu’il lui est interdit de quitter. Joseph Pierre et tout l’équipage du « Shéhérazade» sont consignés à bord. C’est un régime de semi-liberté, relativement souple qui va durer sept mois. Ils sont autorisés à aller à terre par petits groupes. Joseph aimerait bien rejoindre les Forces Françaises Libres mais aucune opportunité ne lui est offerte. Il se méfie de certains membres de l’équipage et des représentants français dans le pays car beaucoup sont restés fidèles au maréchal Pétain. Les relations commerciales ayant été rétablies entre les États-Unis et le gouvernement de Vichy, le « Shéhérazade » est autorisé à aller à Bâton Rouge, au nord de New Orleans, pour faire un chargement d’essence qu’il doit transporter à Casablanca. Nous sommes au début du mois de juin 1941. A environ trois jours des Bermudes, le pétrolier qui fait route vers le Maroc est arraisonné par un croiseur anglais et dérouté vers Hamilton au Canada. Tout l’équipage est interné dans un camp à terre.

PIERRE Maurienne

Le 28 juin 1941, à 17 ans, Joseph Pierre rejoint la France Libre.
Dans la semaine qui suivit leur internement, les marins du « Shéhérazade » reçurent la visite du commandant Ortoli des Forces Navales Françaises Libres. Le sous-marin « Surcouf » qu’il commandait étant en réparation à Hamilton, il demanda à rencontrer ses compatriotes pour leur proposer de rejoindre les rangs des F.N.F.L. Sur les 42 hommes d’équipage, seulement 8 acceptent de poursuivre la lutte avec le général de Gaulle. Joseph PIERRE qui n’a que 17 ans, est l’un d’entre eux. Peu après, il embarque sur un navire F.N.F.L, le bananier « Maurienne ». 
Le 16 juin 1940, le bananier Maurienne a appareillé de Basse-Terre en Guadeloupe à destination de Brest. En mer, son commandant, le capitaine au long cours Yves Salaun capte le 18 juin la BBC et entend l’appel, malgré un message de l’amirauté des Antilles lui intimant l’ordre de rejoindre Bordeaux et un autre de celle de Casablanca le 22 juin, il met le cap sur Halifax où il arrive le 28 juin 1940 avec son chargement de bananes. Il n’y eut aucune objection de l’équipage à rallier la France Libre. Depuis son passage au FNFL, il ravitaille les îles anglaises des Bahamas et de la Jamaïque à partir des ports canadiens de Montréal et d’Halifax. C’est dans ce dernier port que ce bateau coule le 7 février 1942 à la suite d’un incendie accidentel. Pendant deux semaines, son équipage est hébergé au Seamen’s Club d’Halifax. C’est enfin sur un bananier norvégien que Joseph PIERRE voit son souhait de rejoindre la Grande-Bretagne enfin exaucé. Il embarque comme passager en direction de Liverpool. 

PIERRE matelot dans les FNFL

En Angleterre
A peine débarqué, il est dirigé vers Londres et Patriotic School, lieu de passage obligatoire pour tous les étrangers qui arrivent au Royaume-Uni. 
PIERRE Royal Victoria Patriotic Building

Patriotic Scholl à Londres

Les Anglais se méfient et craignent la présence d’espions parmi les arrivants. Joseph qui a déjà servi dans les Forces Françaises Libres n’y passa que 48 heures alors que d’autres qui avaient plus de mal à justifier leurs motivations ou qui paraissaient suspects y firent un séjour beaucoup plus long. Le bruit circulait entre ceux qui devaient subir les interrogatoires des services anglais, que desagents de l’ennemi détectés parmi les nouveaux arrivants avaient été liquidés.

PIERRE CPL Londres

En quittant Patriotic School, Joseph PIERRE est géré par l'administration française en Grande Bretagne,. Le bureau du CPL, la Compagnie de Passage à Londres l'enregistre officiellement le 29/4/1942 mais c'est la date de son engagement en mer du 5/6/1941 qui sera retenue.

PIERRE centre de Skegness

Il est dirigé sur Portsmouth où se trouve le bateau dépôt « Arras » où il est incorporé dans les F.N.F.L. et reçoit son matricule portant le n° 6291 FN 41, et son paquetage. Il assiste à des raids de bombardiers allemands sur la ville et découvre le comportement admirable de la population anglaise. Il rejoint ensuite le HMS Royal Arthur à Skegness, un camp d’entraînement à terre de la Royal Navy situé au Nord Est de l’Angleterre. Pendant huit mois, jusqu’en mars 1943, il va recevoir une formation et un entraînement militaire complétés par des cours de timonier qui vont le préparer pour son futur embarquement.

PIERRE six marins Skegness

«Où diable avons-nous mis les pieds ? »
A sa sortie de Skegness, Joseph PIERRE, reçoit son affectation. Il va embarquer comme timonier sur le «Curie». Ce sous-marin vient de sortir des chantiers Vickers Amstrong de Barrow in Furness.

Curie vue b

C’est un sous-marin anglais du type «U» dont le premier, construit en 1936 était l’« Unity ». Mieux équipé que les sous-marins français des F.N.F.L, le «Curie» est doté des derniers perfectionnements : sondeurs à ultrasons, loch électrique, ASDIC (ancêtre du SONAR), radar permettant une détection à plus de 15 milles nautiques, dont l’écran était un disque d’une quinzaine de centimètres de diamètre.

Curie vue a

En attendant la fin des travaux, l’équipage suit l’instruction propre aux sous-mariniers et découvre que pour servir à bord d’un sous-marin, chacun doit apprendre à vivre dans l’espace réduit qui lui est attribué, connaître avec précision les manoeuvres qu’il doit effectuer et aussi, qu’à bord, la polyvalence est de règle. En plus du second-maître Even, pour une attaque au canon, il fallait être au moins six hommes donc tous les hommes d’équipage furent initiés à la manoeuvre du canon de 76. L’instruction alternait avec des visites du bâtiment par petits groupes pour permettre à chacun de trouver ses repères et de s’habituer à vivre dans l’exiguïté d’un sous-marin. La longueur de 61 mètres était rassurante mais à sa partie la plus large, il ne mesurait que 4 mètres 85. « Comment allions-nous vivre dans un espace si réduit ? Claustrophobes s’abstenir ! ».

PIERRE De Gaulle CURIE

Le rôle d’équipage était complet en février 1943. Le sous-marin était placé sous le commandement du capitaine de frégate Mestre , nommé par le général de Gaulle. Les officiers et officiers mariniers avaient déjà servi dans les sous-marins F.N.F.L. Junon et Minerve mais dans leur presque totalité, les hommes de l’équipage découvraient ce type de bâtiment. De part et d’autre du kiosque, l’inscription P 67 était peinte en gris et le nom « Curie » figurait en lettres de bronze. Sur l’avant du kiosque, l’emblème du « Curie » dessiné par l’enseigne de vaisseau de 1°classe François A’Weng : un cerf qui charge au-dessus de la devise « A corps perdu », était en place mais le sous-marin était toujours anglais alors que l’envie de participer à la lutte était grande chez l’équipage qui avait hâte de prendre la mer.

CURIE devise

PIERRE De Gaulle Auboyneau Curie

Enfin, le 23 avril 1943, en présence de l’amiral Auboyneau qui a remplacé l’amiral Muselier à la tête des Forces Navales Françaises Libres, le sous-marin est remis au général de Gaulle, chef de la France Libre. C’est le capitaine de frégate Mestre, camarade de promotion de l’amiral Auboyneau qui est présent à la cérémonie.

PIERRE Curie remis De Gaulle

Dès avril 1943, c’est sous son commandement que les essais et exercices commencent. Le lieutenant de vaisseau Pierre Sonneville, envoyé en mission en France afin de créer un réseau de résistance, venait de rentrer par lysander (avion monoplane) en Angleterre. Comme il a déjà commandé le sous-marin « Minerve », l’amirauté anglaise souhaitait le voir prendre le commandement du nouveau sous-marin qui allait travailler avec une escadrille anglaise. Le général de Gaulle ayant finalement donné son accord, le 10 mai, le  commandant Sonneville embarquait sur le « Curie ». C’est avec lui que le sous-marin termine ses essais avant de partir le 29 juin 1943 pour une patrouille au départ de Scape Flow en direction du nord de la Norvège puis pour des patrouilles d’endurance qui duraient chacune deux semaines avant de revenir au mouillage dans le fjord la Clyde près de Glasgow.  Le « Curie » et son équipage sont enfin prêts à effectuer la mission qui leur est confiée et à rejoindre la zone d’action qui leur est attribuée : la Méditerranée.

CURIE vue 1

Le Curie opérera en Méditerranée
Le 20 août 1943, le sous-marin, accompagné par la « Minerve » appareille pour une destination inconnue. Peu après le départ, la « Minerve » est attaquée par erreur dans l’ouest de la Manche par un avion de la Coastal Command. Il y a trois morts sur le sous-marin et les avaries l’obligent à faire demi-tour. Après avoir patrouillé le long des côtes françaises de l’Atlantique, au bout de 21 jours particulièrement éprouvants, le « Curie » arrive le 10 septembre 1943 à Gibraltar. Il était temps car les vivres commençaient à manquer. Pendant les trois derniers jours du trajet, l’équipage ne disposait plus que de quelques boîtes de conserve et des biscuits de mer à se partager pour les repas. Surprise, dès l’accostage à Gibraltar, des sous-mariniers anglais, les bras chargés de pain frais, de fruits et même de bouteilles de vin attendaient le « Curie » qui allait faire partie de leur escadrille. Joseph Pierre et ses amis découvraient la solidarité qui existait au sein des équipages des sousmarins 
anglais.

Depuis le 3 août 1943, les Forces maritimes d’Afrique du Nord restées fidèles à l’amiral Darlan ont fusionné avec les Forces Navales Françaises Libres. Malgré cela, les contacts furent difficiles avec l’équipage d’un croiseur français qui faisait escale à Gibraltar. Joseph n’a pas oublié : « Dans les rues, certains pompons rouges de la marine dite« nationale » n’avaient pour nous que mépris, nous traitant de traîtres, de rebelles vendus aux Anglais. Alger fut notre escale suivante. Quel allait être l’accueil de nos compatriotes d’Afrique du Nord et surtout des marins qui, nous l’espérions, avaient enfin découvert qui était le véritable ennemi ?

Le 17 septembre 1943, le « Curie » accosta contre le «HMS Maistone », notre bateau-mère de la Royal Navy et de la 8° escadrille de sous-marins anglais à laquelle nous étions rattachés. Notre présence dans une unité anglaise était-elle à l’origine de la haine manifestée par ces marins français ? Ils avaient choisi la fidélité au vieux maréchal et accepté l’occupation de leur pays par une armée ennemie alors que nous avions fait le choix de suivre le général de Gaulle et de participer avec lui et les alliés, à la poursuite de la lutte pour que la France retrouve sa dignité.
A Alger, en ce mois de septembre 1943, il ne faisait pas bon porter l’insigne à Croix de Lorraine sur les quais du port. Notre premier maître mécanicien Guivarch en sait quelque chose puisqu’il fut molesté par des marins d’un contre-torpilleur. La présence à notre bord de trois marins anglais, un officier de liaison, le sub-lieutnant Cox, un radio, T. Wilson et un timonier, W. Wallace ne justifiait pas non plus ce comportement. Nous étions sur un sous-marin confié aux Forces Navales Françaises Libres pour la durée de la guerre, battant pavillon français et dont le mât de beaupré portait le drapeau à Croix de Lorraine de la France Libre.

CURIE drapeau FNFL

Par contre nous fraternisions avec les Français Libres qui, depuis 1940, se battaient depuis la Syrie et le coeur de l’Afrique, eux aussi aux côtés des Anglais, et qui s’étaient distingués par leur courage lors des combats de Koufra, Bir Hakeim, Tobrouk, pendant les campagnes de Libye et de Tunisie.
Le commandant Sonneville écrira : « Le lendemain, les permissionnaires renoncent à aller à terre. L’atmosphère à Alger est irrespirable, faite de poussière, de pauvreté et de prétention » Par bonheur, cette première escale Algéroise fut très courte puisque six jours après son arrivée, le « Curie » allait appareiller pour sa première patrouille le long des côtes de Provence. Finalement, au fil du temps et des patrouilles, les relations vont s’améliorer, en particulier entre les officiers du Casabianca et ceux du « Curie » et le commandant Sonneville proposera au commandant L’Herminier de prévoir la nomination du Lt de vaisseau Chailley pour le remplacer. Il écrira : « cette désignation serait le symbole d’une fusion qui n’est pas encore faite dans les coeurs et serait la concrétisation d’un effort sincèrement voulu pour apaiser nos éternelles dissensions ».

French Cruiser Montcalm 19 N 48988

Canonné par le croiseur « Montcalm »
Le 8 novembre 1943, le « Curie » part pour sa 5 ème patrouille en Méditerranée. Il se dirige vers le golfe de Gênes et navigue en surface au départ d’Alger. Vers 7 heures 45, alors qu’il est toujours en vue du Cap Matifou, il va croiser le « Montcalm » qui rentre de mission. Le commandant demande à Joseph Pierre qui est le timonier de quart de transmettre l’indicatif du sous-marin. Ce signal constitué de quatre lettres ou chiffres, changeait toutes les 24 heures et était connu de tous les bateaux français et alliés naviguant dans la zone concernée. Le «Montcalm» accuse réception puis demande la répétition de l’indicatif. C’est le second maître timonier Henri Toussaint qui le transmet et reçoit la réponse «Bien reçu» du Montcalm. A ce moment, le croiseur se trouve à 1,5 milles sur babord du « Curie » sur lequel flotte le pavillon français.
A la stupéfaction générale, le croiseur ouvre le feu et des gerbes d’eau apparaissent dans le sillage du sous-marin. En quelques secondes, alors que retentit le klaxon « plongée rapide », Henri Toussaint se précipite sur l’échelle de descente, suivi de l’enseigne de vaisseau François A’Weng, du Lieutenant de vaisseau Chailley venu se familiariser avec le bateau, de Joseph Pierre et du commandant Sonneville. Le sous-marin était déjà à 5 ou 6 mètres sous l’eau qui commençait à envahir la baignoire quand le pacha atterrit sur le plancher du P.C.
Au sein de l’équipage, l’incompréhension est totale. La sortie a été signalée à l’amirauté d’Alger et aucune erreur n’a été commise lors de l’envoi du signal d’identification. L’Italie a signé l’armistice et comme il n’y a aucun U–Boot allemand en Méditerranée aucune confusion n’est possible. D’ailleurs, à 1,5 mille de distance, à moins d’être totalement incompétent, il est impossible de confondre un sous-marin de construction anglaise naviguant
en surface et battant pavillon français avec un sous-marin allemand. Alors, pourquoi ? Incompétence aussi bien dans l’identification du sous-marin que du réglage du tir ?
« Nous apprendrons plus tard que 10 obus de 90, 23 de 40 et une centaine de 20 ont été tirés et par bonheur pour nous, aucun ne toucha le sous-marin. » Volonté délibérée de couler un sous-marin anglais mis à la disposition de la France Libre ? Cela montrerait, à un point encore jamais atteint, la haine et l’hostilité de certains officiers de la « Royale » restés longtemps fidèles à l’amiral Darlan et au maréchal Pétain. N’oublions pas que plusieurs d’entre eux, ont préféré saborder leurs navires à Toulon, le 26 novembre 1942, plutôt que de rejoindre les alliés et de participer àla lutte contre l’Allemagne nazie.

« La plus grande consternation régnait à bord du « Curie ».Nous l’avions échappé belle !
Nous savions que nous vivions une vie dangereuse. A bord, nous ne parlions jamais de nos familles, de notre passé, de notre avenir. 
Notre famille, c’étaient les copains de l’équipage ; notre passé avait débuté le jour de notre embarquement sur le « Curie » ; l’espérance de vie d’un sous-marinier allemand était de quatre mois. De combien de temps serait la nôtre ? Notre avenir, c’était l’instant présent. Tous, nous avions choisi de refuser la défaite, de poursuivre le combat et si nécessaire, de faire le don de notre vie pour que notre pays retrouve sa liberté mais nous n’acceptions pas de mourir sous les obus d’un croiseur français».

La tentation fut grande au sein de l’équipage de tirer ses torpilles et d’envoyer par le fond ce fleuron de l’ancienne flotte de Vichy. Si près de l’objectif, les quatre torpilles de 533 mm contenant chacune 450 kg d’explosif n’auraient laissé aucune chance au « Montcalm ». Bien que choqué, le commandant Sonneville garda son sang froid et décida de poursuivre sa mission entre la Corse et le nord de l’Italie. Il écrira : «Ou bien le responsable s’est laissé emporté par l’hostilité aveugle qui dresse encore beaucoup d’officiers de Vichy contre ceux de Londres, ou il a voulu nous faire une plaisanterie maisdans ce cas, sa première gerbe est tombée beaucoup trop près pour mon goût ». Il envoie un message au premier lord de l’amirauté dont dépend la 8° escadrille de sous-marins: « Je demande des sanctions immédiates s’il s’agit d’un acte d’hostilité délibéré de la part du « Montcalm ». Si cet incident désagréable est dû à une erreur, c’est à dire à l’incapacité du commandant, j’exige des excuses… »
Joseph Pierre qui n’avait pas encore connu le cauchemar des grenadages venait de vivre l’un des moments qui le marquèrent pour toujours : « Bien que les obus du « Montcalm » ne nous aient pas touchés, j’ai bien failli perdre la vie lors de cette canonnade. Le fil électrique de l’aldis est en effet resté coincé dans le panneau du sas, contraignant le commandant à rouvrir ce panneau en urgence. A deux ou trois secondes près, c’était le drame. Le système de fermeture automatique du panneau inférieur du sas protégeant le poste central aurait fonctionné. Le « Curie » aurait été sauvé mais le commandant Sonneville et moi aurions été condamnés. Je reverrai toujours le visage blême du commandant. Lui et moi savions que nous revenions de loin. « A notre retour à Alger, nous avons retrouvé avec plaisir les anciens des combats d’Erythrée et de la division Leclerc. Nous avons constaté que l’hostilité que manifestaient les Vichystes à l’encontre des Français Libres existait toujours mais surtout dans la marine. Après l’incident survenu lors de notre précédente sortie, le moral était plutôt bas. Une bonne nouvelle vint réconforter et réjouir l’équipage : notre pacha, le lieutenant de vaisseau Pierre Sonneville était promu capitaine de corvette. Notre mission suivante revêtit pour nous un caractère particulier car il s’agissait d’aller déposer dans le nord de l’Italie, sur une plage près de Gênes, trois spécialistes anglais du plastiquage qui devaient aller détruire un viaduc situé dans une vallée étroite inaccessible aux bombardiers alliés. La présence de nombreux champs de mines près de la côte empêcha le débarquement de l’équipe de sabotage. »

CURIE vue moteur diesel

Le 18 novembre 1943, le départ du «Curie» en mission vers Toulon est retardé en raison des dynamos qui sont défectueuses. L’«Usurper», autre sous-marin anglais de l’escadrille, son voisin dans le port, part à sa place. Le « Curie » appareilla le lendemain « Dès le départ, nous sommes accueillis par le mauvais temps qui se transforma en tempête et rendit notre mission très inconfortable. Secoué pendant 17 jours, le « Curie » fut tout heureux de retrouver le port d’Alger où une mauvaise nouvelle l’attendait : l’«Usurper » avait sauté sur une mine et disparu avec tout son équipage.
Pendant nos escales, nous recevions parfoisdes visites comme celle de Louis Jacquinot, ancien député de la Moselle, commissaire à la marine dans le gouvernement provisoire d’Alger. Un autre jour ce fut un militaire portant l’uniforme américain sans aucun grade ni insigne, qui utilisait une canne pour se déplacer . Il nous salua d’un retentissant « Bonjour messieurs ! ». C’était Antoine de Saint-Exupéry, qui disparut quelques mois plus tard aux commandes de son avion.
»

CURIE Malte patrouille

A Malte avec la 10° escadrille de sous-marins .
A la fin de sa sixième patrouille, le « Curie » rejoint la 10° escadrille anglaise dont la base logistique est à Malte, mais qui possède une base avancée dans l’île de la Magdalena, au nord de la Sardaigne. C’est là qu’il arrive le lendemain de Noël 1943. Des travaux devant être effectués sur un périscope et un entretien général s’avérant nécessaire, le « Curie » rejoint Malte et entre en cale sèche dans l’arsenal de La Valette.

« C’est pendant cette longue escale technique à Malte que le commandant Sonneville nous fit part de son prochain départ. Nous pensions tous qu’il allait être remplacé par son second, l’enseigne de vaisseau Jean-Pierre Brunet aussi c’est avec surprise et méfiance que nous découvrîmes le nom de notre futur pacha : le lieutenant de vaisseau Pierre-Jean Chailley qui était présent à bord depuis quelques missions et qui n’était pas un Français Libre. Après l’hostilité manifestée par les marins de la flotte française à Alger et l’agression délibérée du « Montcalm » ce ne fut pas de gaieté de coeur que l’équipage apprit la nouvelle ». Sur tribord de la baignoire du « Curie » était apposée une plaque de cuivre portant l’inscription « Pola 1914 ».
C’était dans ce port de l’Adriatique que le premier sous-marin portant le nom de « Curie » fut coulé par les Austro-Hongrois. Pierre Chailley, l’officier en second qui disparut avec son bateau n’était autre que le père du nouveau pacha. Une autre information vint aussi rassurer l’équipage et lui permettre de comprendre pourquoi c’était cet officier qui avait été choisi pour commander un sous-marin de la France Libre : Pierre-Jean Chailley était un ancien officier du sous-marin «Casabianca» qui s’était échappé de Toulon lors du sabordage de la flotte française. Le 1° février 1944, le lieutenant de vaisseau Chailley prend le commandement du « Curie ». Très rapidement, le nouveau commandant sut se faire apprécier et aimer de l’équipage. « Il était très humain et très proche de ses hommes. » Enfin remis en état et après les essais obligatoires au large de Malte qui devint sa base d’intervention en Méditerranée, le « Curie » reprit ses missions. Son rythme de travail fut établi à 13 jours de patrouille suivis de 13 jours à la base.

La vie à bord

Pendant la journée, le sous-marin naviguait en plongée puis, dès la tombée du jour, il s’éloignait à 10 milles des côtes et faisait surface jusqu’au lever du soleil. Ses batteries étant alors rechargées, il repartait en plongée dans son secteur de patrouille. La vie à bord était découpée en tranches de 4 heures. Ayant la spécialité de « Timonier de surface », le service de Joseph Pierre se déroulait principalement la nuit. Il était de veille dans la baignoire, côté tribord pendant 2 heures puis assurait 2 heures de quart, au central, à la barre de direction. 

CURIE vue vigile

« Mon poste de combat était à la barre de plongée arrière. Le second maître Toussaint, également timonier était à la barre de plongée avant et pouvait rectifier une erreur d’assiette que j’aurais pu commettre. Au moment de l’attaque, le commandant devait garder constamment la vue au périscope aussi aucune erreur de profondeur n’était admise ». Sur le « Curie », tout était regroupé : périscopes, ASDIC, radar, commandes des moteurs, commandes de barres de plongée et de direction, manoeuvre des purges et des remplissages des ballasts et manoeuvre des pompes. Les officiers et les officiers mariniers avaient des couchettes individuelles qui étaient rabattues dans la journée. Ils avaient leur lavabo et leur W.C. Le long de la coursive, entre les deux portes étanches, se trouvait leur carré avec une petite table et un canapé de chaque côté.

Tout l’équipage était logé dans le poste avant. « Nous étions une trentaine de quartiers-maîtres et matelots à vivre dans un espace d’une trentaine de mètres carrés avec pour compagnes, arrimées, deux de chaque côté, les quatre torpilles de réserve, enduites d’une épaisse couche de graisse. Nos hamacs étaient disposés sur trois rangées sur toute la longueur. Ils étaient superposés et accrochés au plafond. J’ai eu la chance de me voir attribuer un hamac facile d’accès car il était situé en bas dans la rangée centrale ».

La cuisine, si l’on peut donner ce nom au petit local d’à peu près 1,50 m sur 1 m, était située près du carré des officiers. « Chaque jour notre cuisinier Pierre Faucon réalisait des miracles avec le peu de denrées dont il disposait. Un petit frigo nous permettait d’avoir des vivres frais : légumes et viande pendant trois jours de navigation. »

En plus du « dortoir », le « restaurant » se trouvait aussi dans le poste avant. Il n’y avait ni tables ni chaises. « Nous prenions nos repas assis sur un coffre de 3 mètres de long fractionné intérieurement en petits compartiments de 40X40 munis d’un cadenas, où chacun de nous rangeait son uniforme, ses chaussures, ses papiers et ses autres affaires personnelles Pour la boisson, de Skegness jusqu’à Alger, nous n’avons eu que du thé à boire. Le radio et le timonier anglais avaient la charge de le préparer dans un récipient d’environ 10 litres où tout était mélangé : eau bouillante, thé, lait et sucre. Chacun se servait en y plongeant son quart. On s’était fait à ce breuvage, personne ne se plaignait, mais pour beaucoup, le vin manquait. Pour la toilette, nous n’avions à notre disposition qu’une cuvette en inox contenant une dizaine de litres d’eau. Un peu d’eau sur la figure, (un débarbouillage comme disait ma grand-mère), lavage rapide des dents, pas de rasage et nous étions prêts à prendre notre service, en rêvant à la douche que nous prendrions en arrivant à terre. Nous vivions ainsi, imprégnés par notre propre odeur de transpiration et par toutes les autres effluves qui se dégageaient dans cette atmosphère confinée. Nous ne nous en rendions pas compte mais nous plaisantions en disant que dès l’accostage, après l’ouverture du panneau avant, à 50 mètres à la ronde, il n’y aurait plus aucun moustique, tous auraient péri, asphyxiés par l’odeur nauséabonde et les émanations qui s’échappaient de notre « cercueil de métal».

Les W.C. se trouvaient à l’autre extrémité du sous-marin, collés au servomoteur. Quand il fallait évacuer la cuvette, il fallait effectuer plusieurs manipulations successives et surtout ne pas se tromper dans l’ordre des manoeuvres sinon c’était la catastrophe pour le maladroit. Heureusement cela s’est rarement produit. Lorsqu’il fallait mettre les torpilles de réserve dans les tubes de lancement, c’était le grand chamboulement. Il fallait tout d’abord dégager le poste avant en enlevant les hamacs et les caissons puis, à l’aide de palans car les torpilles étaient très lourdes, il fallait manoeuvrer avec la plus grande prudence Mais tout était parfaitement réglé, jamais il n’y eut d’accident.
Au retour à la base, chacun avait une tâche bien définie. Joseph était chargé de l’entretien du matériel optique et plus particulièrement des périscopes qui devaient être nettoyés avec le plus grand soin avec des peaux de chamois. Il était aussi en charge des pavillons. Dès l’arrivée dans un port, à cheval sur l’étrave étroite du « Curie », il allait placer le pavillon de beaupré à Croix de Lorraine. Le pavillon national était hissé à la corne, juste derrière le kiosque. Le pavillon pirate était toujours à l’honneur dans la marine anglaise donc dans l’escadrille à laquelle était rattaché le sous-marin aussi, en haut du périscope de combat, flottait « Jolly Roger » sur lequel était représentée chacune de ses victoires. Pendant les jours d’escale, Joseph Pierre faisait aussi fonction de vaguemestre.

Le 20 mars 1944, le « Curie » arrive à la Magdalena, poste avancé plus proche de sa zone d’action fixée le long de la côte française. Le 28 à l’aube, deux torpilles sont tirées sans succès en direction d’un torpilleur qui navigue accompagné de deux vedettes rapides armées de grenades sous-marines. Le « Curie s’éloigne rapidement pour recharger les tubes lance-torpilles avec deux de ses torpilles de réserve. Le 2 avril le « Curie » fait surface et attaque au canon une vedette rapide qui choisit de prendre la fuite. Le 5, il est de retour à la Magdalena, îlot rocheux, inhospitalier où la seule distraction était la baignade quand la température de l’eau le permettait.

 «Il ne nous reste plus qu’à prier Dieu, nous allons tenter de passer sous les torpilleurs !»

Le 16 avril 1944, le «Curie» est parti pour sa 8°patrouille. Le 20, depuis 6 heures 30 du matin, il est en plongée dans le secteur de Toulon, non loin de la côte et des champs de mines. Au périscope, il découvre soudain que deux chasseurs de sous-marins allemands sont très proches et se dirigent dans sa direction. Il a sans doute été repéré quelques heures avant, alors qu’il profitait de l’obscurité pour naviguer en surface.
« Nous plongeons rapidement à 60 mètres et faisons le silence complet. L’attaque est brutale. Dès 6 heures 30, l’enfer débute. Le bruit des grenades est infernal. On entend leurs sifflements lors de leurs descentes puis les explosions qui encadrent et secouent le bateau. Les chasseurs les lancent parfois par séries de quatre ou de six. A chaque explosion nous sommes terriblement secoués car ils nous ont parfaitement repérés. Nous sommes pétrifiés devant ce bruit infernal causé par l’éclatement des grenades si proches de nous. Il faut serrer les dents, s’enfoncer la tête dans les épaules et s’agripper à tout ce qui est accessible. On entend résonner sur la coque l’onde électromagnétique de l’écoute sous–marine de l’ennemi. Comme il fallait éviter le moindre bruit à bord, il était impossible de mettre les pompes en route pour maintenir l’assiette du bateau. Le commandant Chailley nous ordonna de nous déplacer sur l’avant. Les troisquarts de l’équipage se sont retrouvés assis par terre, les uns en face des autres. Nous restions ainsi, immobiles, impassibles, impuissants devant le danger que nous subissions, espérant que la prochaine grenade ne nous serait pas fatale. Comme nous, le timonier et le radio anglais étaient jeunes. J’ai entendu l’un d’eux qui appelait sa mère. Dans le bateau, les dégâts étaient importants : toutes les ampoules électriques avaient éclaté aussi nous étions en éclairage de secours. Poste radio et radar hors service. Au central, des cadrans avaient explosé. 
Vers 10 heures 30, à la suite d’explosions rapprochées qui avaient particulièrement secoué le sous-marin, l’homme de barre au poste central signale « avarie de barre ». Le « Curie » se mit à tourner en rond . Jean-Louis Gloaguen, quartier maître mécanicien était à son poste de combat au servomoteur. Il découvrit rapidement la cause de l’incident mais ne réussit pas à retrouver la clavette du gouvernail qui avait sauté de son axe. Il réussit à la remplacer par le manche de sa clé à volant et le gouvernail est revenu à zéro.

L’onde de pression d’une série de grenades pousse le sous-marin vers les profondeurs. Malgré les moteurs « en avant 4 », les barres de plongée « A monter toutes » et une pointe positive de 30°, le « Curie » coule. Le manomètre de profondeur fonctionne toujours :- 70 mètres, - 80 mètres, - 90 mètres, - 100 mètres. On entend des craquements dans la coque. Le commandant n’a plus le choix, il fait chasser l’eau des ballasts pour alléger le sous-marin. L’aiguille s’arrête. « En avant 2 » il faut s’éloigner sinon les chasseurs vont repérer les nombreuses bulles d’air qui vont éclater à la surface lorsqu’on va chasser l’air des ballasts pour éviter de faire surface et de se faire aborder ou canonner. A - 40, le « Curie » se stabilise. Les purges des ballasts sont ouvertes. Miracle ! aucune réaction de la part des bateaux allemands.

Une accalmie se produit. A genoux sur le parquet du poste central, le commandant étudie les trajets des torpilleurs qui tentaient de contraindre le sous-marin à se rapprocher dangereusement des champs de mines. C’est alors qu’il informe l’équipage de la décision qu’il vient de prendre :

« Il ne reste plus qu’à prier Dieu, nous allons tenter de passer sous les bateaux qui nous grenadent. » N’utilisant qu’un de ses moteurs pour limiter le bruit et à allure réduite, le « Curie » entreprend sa manoeuvre.

« Cela dura une heure mais pour nous, cela dura une éternité. Lorsqu’il entend le deuxième moteur qui se met en route, l’équipage comprend que l’espoir est revenu, que la manoeuvre de sauvetage a réussi. »

Une remontée à 12 mètres permet de voir au périscope les chasseurs de sous-marins qui avaient été rejoints par un troisième. Ils n’avaient pas détecté la fuite du sous-marin et tentaient toujours de le couler ou de l’envoyer dans le champ de mines. Hébétés, figés, se regardant sans rien dire les sous-mariniers comprirent qu’ils avaient frôlé la mort de très près.

« Il était grand temps que cela cesse car nous étions à bout de nerf. »

Par des manoeuvres désespérées mais parfaitement réussies, le commandant Chailley venait de sauver son bateau et son équipage. Il était digne d’être le pacha d’un sous-marin de la France Libre. L’autorisation qu’il donna un peu plus tard finit de convaincre les plus réticents. Il venait d’annoncer : « Autorisation de fumer » alors que cela était formellement interdit dans un sous-marin en plongée. Ce jour-là, nous avons reçu 83 grenades dont 60 entre 6 heures 30 et midi.

« Nous revenions de l’enfer. Ce grenadage, il faut l’avoir vécu pour se rendre compte du danger auquel nous étions exposés. Nous avions rendez-vous avec la mort, par bonheur elle n’a pas voulu de nous. Quand nous sommes arrivés à Malte, nous étions dans l’impossibilité de prendre contact par radio. C’est en Scott que nous nous identifiâmes auprès des escorteurs qui patrouillaient au large de La Valette.. »

Le 28 avril 1944, le « Curie était de retour à la Magdalena. Au cours de la patrouille suivante, le 12 mai, au large de la Ciotat, un chalutier armé allemand faisant fonction d’escorteur est repéré et attaqué au canon. Gravement endommagé, il coulera plus tard. Pour la première fois, notre mission nous conduisit au large de Port-Vendres et à proximité de la frontière espagnole.

« A la demande du commandement français du groupe de sous-marins de la Méditerranée, nous appareillons en direction d’Alger où nous arrivons le 29 mai. C’est pendant les quelques jours de repos que nous passons à Chréa dans l’Atlas non loin de Blida que nous apprenons le débarquement allié en Normandie. Le 6 juin, nous sommes rappelés à Alger où une cérémonie va se dérouler sur le croiseur Jules Verne avec remise de la Croix de Guerre au « Curie » et aux officiers et officiers-mariniers qui ont rejoint la France Libre en juin 1940. Le lendemain, le bateau reprenait la direction de la Magdalena. »

Le destruction des batteries de Port-Vendres

Lors de la 10° patrouille, le 21 juin 1944, il est près de 22 heures quand le « Curie » fait surface à 250 mètres de la jetée de Port-Vendres. Depuis plusieurs minutes, l’équipe des canonniers est prête à escalader l’échelle du kiosque. L’objectif est constitué par les batteries côtières du Cap Gros dont certaines sont en cours d’achèvement avec utilisation de pièces d’artillerie récupérées sur le croiseur « Strasbourg » après le sabordage de la flotte à Toulon. La surprise est totale chez l’ennemi.

Curie Port Vendres 1

CURIE QM Vieilleribière

Le premier obus fait mouche. Quatorze obus sont tirés pendant les douze minutes passées en surface. L’un d’eux atteint un dépôt de munitions qui explose. Trois des batteries sont détruites. Rapidement les canonniers regagnent l’intérieur du bateau. Sous les tirs de l’ennemi, le « Curie » part en marche arrière puis en plongée à 60 mètres.

CURIE Malte retour

L’accueil à Malte est triomphal. Trois étoiles blanches sont cousues sur le « Jolly Roger » pour matérialiser la destruction des trois batteries allemandes.

CURIE Equipage Ecosse Port vendres

Le 18 juin 1994, la municipalité de Port-Vendres commémora le cinquantième anniversaire de l’attaque du 21 juin 1944. L’équipage du Curie fut invité mais seuls Joseph Pierre et Marc Deboos purent se rendre à la cérémonie. Ils furent reçus en héros par les habitants de Port-Vendres et les autorités civiles et militaires.

PIERRE Port Vendres 1994

PIERRE Port Vendres 1994 2

A cette occasion ils firent la connaissance de M. Honoré Prats. Le 21 juin 1944, avec un matelot, il était à bord du remorqueur « Sana » qu’il commandait et qui était chargé de la mise en place du filet métallique de protection qui interdisait l’entrée et la sortie du port. Il découvrit le sous-marin qui faisait surface et ouvrait aussitôt le feu sur la batterie du Cap Gros. Courageusement, il décida de retarder la sortie des vedettes rapides amarrées dans le port en bloquant l’hélice de son bateau avec le câble du filet. Il fallut aller chercher un chalutier pour dégager le remorqueur. Cette opération qui dura plus d’un quart d’heure permit au « Curie » de s’éloigner en plongée sous les tirs des pièces d’artillerie de la défense du port.

Le retour en Provence.

Le 3 août 1944, nouvelle victoire. Vers 22 heures, alors que le « Curie » est en plongée, un cargo allemand protégé par un torpilleur est aperçu à l’ouest de La Ciotat.

« Nous nous rapprochons de l’objectif et nos quatre torpilles sont tirées. Nous apprendrons plus tard que le cargo transportait des mines ce qui expliquait la violence de l’explosion. Une bande blanche est cousue sur notre « Jolly Roger ». Les mines étaient bien un danger que nous redoutions. A proximité de la côte et plus particulièrement des ports, les Allemands modifiaient sans cesse leurs champs de mines. Notre travail consistait aussi à repérer leurs tracés à l’ASDIC et à les faire figurer sur nos cartes. Il fallait travailler au plus près. L’opération était particulièrement dangereuse, surtout quand le sous-marin s’engageait dans une chicane du champ de mines comme cela est arrivé. Le commandant était alors obligé d’effectuer des  anoeuvres délicates pour sortir du piège

« Nous sommes à la Magdalena le 15 août 1944 lorsque nous apprenons le débarquement des troupes alliées sur les côtes de Provence. Nous sommes envahis d’une joie immense et nous pensons que nous avons, nous aussi, apporté notre contribution à ce moment historique en transmettant les informations que nous avions recueillies en longeant ces mêmes côtes les jours précédents. Renseignements qui ont facilité l’approche des bateaux et le débarquement des troupes alliées à travers les champs de mines. Sur notre île, nous nous reposons et profitons de la température de l’eau pour nous livrer aux joies de la baignade, en attendant notre prochaine mission qui allait revêtir un caractère particulier puisque nous allions faire escale à Saint-Tropez. Quel allait être l’accueil de nos compatriotes?

Le 10 septembre, en fin d’après-midi, le « Curie » s’amarre au môle du Portalet. Nous n’attendions aucune manifestation délirante de la part de la population mais nous étions curieux de découvrir les réactions des premiers Français que nous allions rencontrer dans cette partie du pays enfin libérée de l’occupation allemande. Des enfants vinrent prudemment à notre rencontre et profitèrent du chocolat et des gâteaux secs que nous avions parcimonieusement prélevés depuis quelques jours sur nos rations puis ce fut l’inconditionnel admirateur du maréchal et des nazis qui arriva. Vêtu de son costume sombre et coiffé de son chapeau. D’un air supérieur, il nous fit remarquer que nous n’avions pas le droit d’arborer le drapeau français car nous étions des renégats au service des Anglais. D’autres combattants de la France Libre formés aux techniques des commandos auraient peut-être trouvé une réponse rapide à ces paroles blessantes et totalement déplacées. L’envie ne nous manqua pas d’envoyer ce guignol endimanché patauger dans les eaux du port. Nous évoquâmes d’ailleurs entre nous et à voix haute cette solution qui eut pour effet immédiat de voir le féal de Pétain et de la collaboration faire demi tour et s’éloigner aussi vite qu’il pouvait. »

L’arrivée à Toulon.
Appareillant dans la matinée du 12 septembre 1944, le « Curie » fut le premier bateau arborant le pavillon français à entrer dans le port de Toulon. Il accosta près de la préfecture maritime, contre un bout de môle où stagnait une couche de mazout si épaisse que Radium, le chien du bord, la confondit avec un quai. Il sauta pour y prendre pied et se retrouva paré d’une couleur noire qui nécessita plusieurs heures de toilettage. En fin d’après-midi, une escadre comprenant escorteurs et croiseurs vint mouiller dans la rade. Depuis, plusieurs de ces bâtiments ont revendiqué l’honneur d’avoir été le premier à entrer à Toulon. Le modeste « Curie » avec son pavillon bleu, blanc, rouge et son drapeau à croix de Lorraine, amarré au fond du port au milieu de sa nappe de mazout devait représenter peu de chose pour ces importantes unités de la marine nationale. 

Nous avions idéalisé notre arrivée en France libérée. Les alliés qui avaient débarqué en Normandie étaient accueillis en libérateurs par une population enthousiaste. A Toulon comme à Saint-Tropez, nous ne perçûmes aucune joie particulière aussi ce fut sans regret, qu’après seulement trois jours d’escale, nous reprîmes la direction de Malte où nous retrouvâmes les autres sous-marins de notre escadrille : l’Upstart, l’United, l’Unswerving et l’Universal. Ce dernier fut quelques temps plus tard rebaptisé le Minesweeper (dragueur de mines) par les sous-mariniers de l’escadrille en raison de l’une de ses mésaventures : l’orin d’une mine s’étant pris dans l’une de ses hélices , comme il n’arrivait pas à s’en débarrasser, il la remorqua jusqu’à un port turc.

SMCurie1

Départ pour la mer Égée.
Le sud de la France était libéré mais les Allemands étaient toujours présents en Méditerranée Le théâtre d’opérations du « Curie » allait changer et se situer dorénavant à l’est de Malte, dans le nord de la mer Égée. Les Allemands ayant posé de nombreuses mines entre les îles, le sous-marin passe illégalement dans les eaux territoriales turques, en surface la nuit pour recharger ses batteries et en plongée pendant la journée. Le 22 septembre 1944, le « Curie » quitte Malte pour sa 13° patrouille qui va se dérouler en Mer Égée. Il passe loin de Chypre toujours occupée par les Allemands et met le cap sur Castellorizo, une petite île grecque du Dodécanèse, proche de la Turquie, que des commandos anglais venus 
d’Égypte viennent de libérer. Le 26 septembre 1944, il mouille à Castellorizo,
Le 2 octobre 1944, W. Wallace, le timonier de liaison anglais aperçoit cinq navires qui se déplacent en convoi. Le «Curie» abandonne la poursuite de deux chalands pour se rapprocher des bateaux ennemis. Deux escorteurs encadrent un cargo et deux navires citernes. Pour se protéger des torpilles, les bâtiments changent fréquemment de cap. Les quatre torpilles sont lancées à quelques secondes d’intervalle et le « Curie » descend à 40 mètres pour se protéger du grenadage. Le cargo et un navire-citerne sont touchés et coulent rapidement.

En mai 2001, un neveu de Joseph Pierre s’est rendu en Grèce, dans le port de Glossa non loin du cap Pélion où il rencontra « Captain Kanaris », l’un des chef des partisans grecs qui luttaient contre les Allemands en 1944 et qui assista au torpillage le 2 octobre. Il se souvient d’un cargo, de deux bateaux armés, de trois bateaux coulés par le sous-marin et surtout d’une corvette qui a été touchée et qui est venue s’échouer sur les rochers du Cap Pélion. Avec ses partisans, Evangelos Yannopoulos, alias « Capitan Kanaris » surprit et attaqua l’équipage de la corvette échouée faisant une quarantaine de morts et trente prisonniers qui furent transportés et emprisonnés à Chypre.

L’escorteur de tête prend la fuite en protégeant le dernier navire-citerne tandis que l’autre escorteur part à la recherche des survivants. « Nous apprendrons plus tard que les deux bateaux coulés, le cargo « Assak » et le navire citerne « Berthe » étaient utilisés par l’Allemagne comme transports de troupes. Les torpilles magnétiques dont nous sommes désormais équipés se révèlent plus efficaces que celles dont nous disposions.» Après avoir rechargé ses tubes lance-torpilles, le « Curie » poursuit sa traque. Le lendemain, il est en surface quand il découvre deux cargos accompagnés d’un escorteur qui vont passer à moins de 800 mètres.
Plongée immédiate, « aux postes de combat ». Trois torpilles sont lancées. L’un des cargos est coupé en deux morceaux par l’explosion et coule en quelques minutes. A la suite d’une fausse manoeuvre, la quatrième torpille est restée dans le tube. « La base de Malte nous donne l’ordre de nous rendre dans l’île de Chios. L’escorteur ayant disparu, pendant la nuit, nous faisons surface pour secourir d’éventuels survivants du cargo. Nous naviguons parmi des débris qui flottent en surface mais ne trouvons qu’un radeau pneumatique portant de nombreuses taches de sang que nous récupérons et amarrons entre le kiosque et le canon. Alors qu’il a quitté les lieux du naufrage et qu’il longe en surface et à petite vitesse la côte turque, le « Curie » s’échoue sur un banc de sable non signalé sur la carte. Au bout d’une demi-heure d’efforts et en marche arrière, il réussit enfin à sortir de sa position délicate et à reprendre sa route pour Chios où il arrive le 5 octobre. « Avec l’aide de marins d’un escorteur anglais et après avoir placé notre sous-marin étrave en l’air et arrière sous l’eau, nous réussîmes à glisser la torpille hors du tube. La mise à feu n’était pas amorcée….ce dont nous nous doutions depuis la dernière utilisation car si cela avait été le cas, on ne parlerait plus du « Curie » en citant sa devise : « A corps perdu » mais en disant simplement « Perdu corps et biens ». 

À Chios, Joseph Pierre commença à coudre trois bandes blanches correspondant aux trois navires coulés sur chacun des deux « Jolly Roger ». La couture n’était vraiment pas sa spécialité et ses copains de l’équipage, conscients de ses difficultés, lui demandaient d’accélérer ses travaux car il faudrait bientôt en coudre une bonne dizaine en plus.
C’est aussi dans cette île que son ami le quartier-maître mécanicien Jean-Louis Gloaguen put échanger deux paquets de cigarettes contre un cahier ce qui lui permit de continuer à écrire son journal de bord si précieux aujourd’hui pour retrouver avec précision le parcours du « Curie » pendant son périple en Méditerranée.

« En torpillant et coulant trois navires ennemis en 24 heures, nous venions de réaliser un fait d’armes exceptionnel dans l’histoire de la guerre sous-marine. Tous les sous-marins de la 10° escadrille et les équipages des bateaux présents à Malte étaient au courant de notre exploit. »

PIERRE Malte Portrait

Le 13 octobre 1944, à l’arrivée à La Valette un peu avant midi, timonier tribord dans la baignoire, Joseph Pierre regarde avec fierté le « Jolly Roger » décoré de ses trois nouvelles bandes qu’il a hissé à bloc sur le périscope de combat.

PIERRE Curie Joly Roger

«Jolly Roger »
Le pavillon pirate du sous-marin « Curie » a été
offert par Joseph Pierre au musée de la Résistance
Bretonne de Saint-Marcel situé dans le Morbihan,
près de Malestroit, sur les lieux-mêmes où s’illustrèrent
les parachutistes du bataillon S.A.S. du colonel
Bourgoin et les maquisards de trois bataillons
des F.F.I. lors des combats du 18 juin 1944.
La bande rouge représente le navire de guerre
allemand et les quatre bandes blanches les transports
de troupes et de matériel coulés par le
« Curie ». Les étoiles représentent les trois batteries
de Port-Vendres détruites au canon.

L’accueil est triomphal. Le captain S10,(commandant de la 10°escadrille de sous-marins), de nombreux officiers, les équipages d’une bonne vingtaine de bateaux et le personnel de la base HMS Talbot se sont rassemblés pour accueillir le sousmarin et le triple « Hip, hip, hip, hourra » qu’ils poussent tous en choeur, en l’honneur de l’équipage devait s’entendre bien au-delà de La Valette. Moment inoubliable qui faisait chaud au coeur et permettait d’oublier quelques instants les dangers que côtoyait chaque jour l’équipage du sousmarin. « Nous apprîmes quelques jours plus tard qu’il y avait eu de très nombreuses victimes parmi les équipages des bateaux coulés et les soldats allemands qui évacuaient les îles de la mer Égée vers Salonique. La présence de munitions au fond des cales contribua à alourdir le nombre des victimes. C’était la guerre…... c’étaient eux ou nous. »

Ce bâtiment ennemi gravement endommagé et mis hors de combat ne figure pas au bilan du « Curie ».

Après une vingtaine de jours de farniente à Malte, le « Curie » quitta HMS Talbot le 2 novembre 1944, les tubes lance-torpilles non approvisionnés. 1300 milles en surface à 11 noeuds et une plongée d’un peu plus d’une heure pour parcourir six milles dans les eaux territoriales turques et il arrivait à Chios où il se mettait à couple de l’escorteur anglais qui l’avait aidé à enlever la torpille restée dans l’un des tubes. C’est lui qui allait sortir de ses cales les huit torpilles qui allaient être transférées à bord du « Curie » en les faisant entrer par le panneau du poste d’équipage d’où elles étaient placées sur un chariot sur rails et transportées jusqu’au « dortoir » préalablement débarrassé de tout ce qui aurait pu gêner la manoeuvre. Quatre étaient introduites dans les tubes et les quatre autres étaient placées, deux de chaque côté, toujours enduites de leur épaisse couche de graisse « dont l’odeur allait accompagner nos rêves de vie au grand air lorsque nous serions installés dans nos hamacs. Nous n’aurons pas l’occasion d’utiliser ces torpilles. »

Retour à Malte 
Le 9 novembre 1944, le « Curie » quittait définitivement la mer Égée et rejoignait Malte. La 10° escadrille rentrait en Angleterre. Les sous-mariniers du « Curie » participaient aux « farewell parties » organisées par leurs amis anglais. On ne quitte pas impunément des amis. La joie de retrouver son pays se mêlait à la tristesse d’avoir à quitter ceux qui avaient connu les mêmes risques et vécu les mêmes angoisses, enfermés à plusieurs dizaines de mètres sous la mer. Le 26 novembre, ce fut au tour du « Curie » de prendre le départ pour la Corse puis Toulon où le 29 il se mettait à couple du croiseur « Tourville » qui allait fournir le gîte et le couvert à Joseph Pierre et à tous les membres de l’équipage.

CURIE croiseur Tourville


« En février 1945, nous participions à des exercices de détection de sous-marins. Nous sortions le matin et rentrions en fin d’après-midi. Alors que nous étions en plongée, plusieurs escorteurs dont « Le Fantassin », « Le Vigilant », « Le Sénégalais » et « Le Légionnaire » s’entraînaient à nous détecter. Exercices qui nous amusaient au début mais qui devinrent rapidement fastidieux. Le « Tourville» était le navire relais entre la préfecture maritime et les navires qui entraient ou sortaient de Toulon. Jean Diot originaire d’Étel et moi étions les deux timoniers du « Curie ». Astreints à faire le quart sur la passerelle du croiseur, nous étions chargés de transmettre en Scott et à bras les messages que la préfecture maritime adressait aux autres navires. Sur le sous-marin, nous n’avions pas eu souvent l’occasion d’utiliser ce genre de communication entre bateaux. Cela nous rappela notre entraînement de timonier que nous avions suivi, deux ans auparavant, à Skegness au Hms « Royal Arthur » dans le nord-est de l’Angleterre » C’est aussi en février, à Toulon, que tous les membres de l’équipage du « Curie » reçurent la Croix de guerre. Les mérites du sous-marin et de tous ceux qui venaient de participer à la lutte sous le pavillon de la France Libre étaient enfin reconnus et récompensés.
« Le 24 mars 1945, nous quittions Toulon. Après avoir fait escale à Oran puis Gibraltar, en convoi, avec plusieurs cargos et escorteurs, nous avons mis le cap sur l’Écosse.

CURIE Ecosse retour

Voyage vers l'Ecosse:

Le 14 avril 1945, en arrivant dans le Holy-Loch, une nouvelle fois, j’ai hissé notre « Jolly Roger ». Nous fûmes accueillis par un retentissant « Three cheers » en passant devant le « HMS Forth » qui fut notre premier bâtiment de base en 1943…….. La boucle était bouclée.
Le cauchemar que nous venions de vivre pendant tous ces jours en plongée dans notre cercueil d’acier nous avait profondément marqués. Le bonheur d’être toujours en vie, notre ami Wallace, l’Irlandais du bord, ne put s’empêcher de l’exprimer en laissant éclater sa joie peu après notre arrivée. Décoré comme nous de la Croix de guerre, il obtint l’autorisation de la porter ainsi que la fourragère sur son uniforme de la Royal Navy. Pendant une bonne dizaine de 
minutes, nous crûmes qu’il avait perdu la raison. Sous les regards surpris et incrédules des marins anglais des bateaux voisins, il parada sur le pont du « Curie », marchant au pas de défilé de la marine anglaise en pleurant toutes les larmes de l’Irlande. Nous revenions de l’enfer ! Je n’avais que vingt ans mais quel âge avais-je en réalité ?
Avant notre départ de Toulon, l’un d’entre nous avait aussi « pété les plombs ». Il s’agissait de l’un des plus anciens sur le « Curie », un quartier-maître de première classe qui fut appelé à comparaître devant un tribunal exceptionnel qui fut organisé à bord du sousmarin. Sans doute, profondément marqué par ses séjours sous l’océan, il n’avait pas compris qu’il allait falloir s’adapter à la vie sur le « Tourville » où la discipline et les règles à respecter étaient beaucoup plus strictes que sur notre sous-marin.
Certains pensèrent qu’il fut pris d’un accès de folie aussi soudain qu’imprévisible, imputable à l’évacuation brutale d’un stress refoulé pendant deux ans. Ce furent les circonstances atténuantes qu’évoqua son défenseur, le secondmaître timonier Henri Toussaint Il était reproché à l’accusé d’avoir attaqué «de façon fulgurante et tous azimuts», six matelots du «Tourville» qu’il avait mordus. Plusieurs sanctions furent demandées dont une mutation disciplinaire sur le « Montcalm » mais elle fut jugée trop infamante et rejetée. Le tribunal se contenta de prononcer la dégradation du coupable et le quartier-maître de première classe Radium se retrouva apprenti marin.
La réglementation anglaise interdisait la présence d’animaux à bord alors que les serins et les chiens étaient autorisés dans les sous-marins français pour détecter les gaz qui pourraient s’échapper des batteries. L’admission à bord de notre fidèle compagnon à quatre pattes, fox–terrier offert par Mrs Lindsay Carnegie, l’épouse du directeur du chantier de Barrow in Furness, avait été difficile à obtenir mais une dérogation fut accordée au «Curie», sous-marin anglais qui allait naviguer sous pavillon français. Notre ami Radium qui n’aboyait jamais à l’intérieur du sous-marin, qui était le seul chien capable de grimper à une échelle verticale, était un matelot exceptionnel.
Nous lui pardonnions la mauvaise habitude qu’il avait de montrer ses crocs à toute personne étrangère au « Curie ». Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’il était sanctionné. Il montait en grade après chaque patrouille mais il rétrogradait régulièrement pour « comportements inconvenants» comme ce fut le cas lorsqu’il leva la patte pour arroser le périscope de combat.
Il craignait particulièrement les grenadages. « Au premier coup de klaxon, il fonçait au poste central. À plat ventre, les pattes en croix entre la barre de plongée arrière et la console Asdic, il s’oubliait avant même que les opérateurs aux écoutes ne signalent la moindre grenade. »

CURIE chien Radium
Le second-maître timonier Henri Toussaint était très attaché à Radium. C’est avec lui que partit le fox-scottish du bord. Il le suivit partout, même à bord du remorqueur que commanda plus tard son maître et un jour, il disparut en mer. Dans son livre « Le sous-marin Curie », Jean-Louis Gloaguen écrit qu’il est persuadé que ce ne fut pas une chute accidentelle : « Je pense qu’il a plongé pour aller chercher dans les profondeurs un sous-marin bleu marine dans lequel il avait tant d’amis ».

CURIE chien radium 2

Témoignage de Joseph Pierre, recueilli par Pierre Oillo, délégué départemental du Morbihan de la Fondation de la France Libre.
Avec la complicité de Jean-Louis Gloaguen, camarade de combat de Joseph Pierre sur le « Curie ».
Photos : Joseph Pierre
Bibliographie
« A corps perdu » - Pierre-Jean Chailley,
« Le sous-marin Curie » - Jean-Louis Gloaguen
« Les combattants de la liberté » - Pierre Sonneville

Démobilisé après la victoire, Joseph PIERRE revient à Kervio sur l'Île d'Arz en Bretagne. Il se marie le 24/10/1945 avec Suzanne Marguerite Marie LE BIAVANT. Domicilié à Vannes (56), Joseph Pierre fut membre du Comité de Vannes-Pontivy de la Fondation de la France Libre dont il fut le porte-drapeau pendant de nombreuses années.

PIERRE Ouest France CURIE

CURIE Equipage

 Certains de ces sous-mariniers comme Joseph Pierre et Jean-Louis Gloaguen furent présents sur le « Curie » pendant la totalité
de son activité au service des Forces Navales Libres. D’autres qui figurent sur le rôle d’équipage, quittèrent le bateau, pour raisons de santé comme Albert DUBOURG qui fut hospitalisé à Gibraltar et remplacé par Jean SARDELLA à Alger, ou d’accidents
survenus à bord comme ce fut le cas pour Jean DIOT qui fit une chute de plus de trois mètres en tombant du « Tourville »
sur le pont du « Curie » et fut hospitalisé à Marseille