Imprimer cette page
vendredi, 20 octobre 2017 15:54

ENIZAN, déportés,1945

Un cimetière est bien un lieu d'histoire. Quelque fois, une pierre tombale comporte quelques mots à la mémoire du défunt. Plus rarement, la pierre tombale renvoit à une histoire passée qui va au délà de la famille pour toucher la communauté entière de Séné.

Tel est le cas de la tombe de la famille LE DRESSAY où figure deux plaques avec des inscriptions.

Enizan épouse tombre   Enizan inscription SENE

La première se lit encore sans difficulté dans le gris de la pierre :

Marie Anne LE DRESSAY épouse ENIZAN 1886 -1966.

La seconde est plus altérée par la pluie et les années. Il faut la lumière rasante d'un soleil automnal pour parvenir à déchiffrer l'inscription sur deux colonnes :

Lieutenant Louis ENIZAN, mort pour la France le 1-4-1945 à Mauthausen (AUTRICHE) à l'âge de 19 ans, Mort pour la France,

Lieutenenant Anne Marie ENIZAN épouse CORMERAIS le 15-3-1945 à Ravensbruck à l'âge de 23 ans 

Lieutenant Alfred CORMERAIS le 6-4-1945 à Buchenwald à l'âge de 26 ans.

On comprend vite le destin tragique de la famille ENIZAN qui a perdu deux de ses enfants et un gendre en déportation. On est saisi au coeur en lisant que les jeunes mariés Anne Marie et Alfred sont morts à quelques jours d'intervale, dans un camp de concentration allemand.

Qui étaient ces 3 lieutenants de la Résistance française et quel fut leur destin respectif ?

Le dénombrement de 1906, nous indique que Marie Anne LE DRESSAY [19/07/1886-12/12/1966] vivait à Moustérian. On lit que son futur mari n'est autre que le domestique de la famille, Isidore ENIZAN, natif de Gourin [3/08/1885-9/02/1968 Nantes]. 

1901 LE DRESSAY Mousterian famille

La fiche de matricule de Isidore ENIZAN nous dit qu'il était enfant assisté. C'est encore une exemple d'accueil par une famille de Séné d'enfant orphelin, comme il y avait souvent avant guerre. Son acte de naissance nous précise que sa mère mendiante le met au monde de père inconnu.

1905 ENIZAN Isidore MAT

Après son retour de la conscription, les jeunes fiancés se marient à Séné le 8/11/1910. Isidore ENIZAN est sous-officier au 116° Régiment d'Infanterie de Vannes et Marie Anne LE DRESSAY est cultivatrice à la ferme familiale à Moustérian.

Leur premier garçon Louis ENIZAN [2/08/1911 Vannes- 8/4/1915 Séné] décède pendant la guerre, son père étant au front. Le jeune couple avait quitté Séné avant guerre. Cependant, Marie Anne ENIZAN, née Le Dressay, est revenu vivre au bourg où leur premier enfant est inhumé le 8/04/1915.

1915 ENIZAN enfant Extrait

Lors de la mobilisation, Isidore ENIZAN sera affecté au 316°Régiment d'Infanterie. Sa fiche de matricule nous dit que lors des combats de l'Ourcq dans la Marne, il sera porté disparu. Il est fait prisonnier et rentrera dans les foyers en avril 1919.

Après guerre le couple est établi à Vannes rue Madame Lagarde comme le prouve la naissance de leur premier enfant, Anne Marie née le 1/03/1922. Isidore ENIZAN est voyageur de commerce rue de Closmadeuc, lorsque nait son garcçon, Louis Renée le 4/04/1926.

Le site Internet "Mémoire des Hommes" accorde la mention de "Mort pour la France" à Louis ENIZAN,, lieutenant dans les FFI. Anne Marie ENIZAN s'est vu accordé la mention «Mort en déportation» par arrêté du secrétaire d'État aux anciens combattants en date du 12 novembre 1987.

ENIZAN Louis SGA

A l'âge de 19 ans, Louis René ENIZAN a rejoint les Forces Française de l'Intérieur, la résistance combattante. Son dossier 16P 209801,consultable au SHD de Vincennes, nous précise son parcours de résistant jusqu'à son arrestation.

Eizan Louis Resistant

Louis René EIZAN, jeune apprenti patriote:

On y apprend qu'il rejoint l'Armée des Volontaires à Nantes. Il est arrêté 3 fois par la police française sur ordre de la Gestapo.Enizan 3 Arrestation

 

Louis René ENIZAN jeune résistant:

Toute en exerçant son apprentissage de boucher, il recrutait le plus possible de résistants (il en aurait recruté au moins une centaine d'après des renseignements recueillis auprès du Lieutenennt Colonel Souva, l'un de ses chefs. D'autre part, il quitta son métier de boucher à Angers pendant deux mois pour se mettre à la disposiiton de M. Dequaille à la surveillance des voies ferrées ou plutôt pour le ssaboter le cas échéant. M. Desquailles est aujourd'hui lieutenant au CSM de Nantes.
 Sur Angers il opère ses actions dans la résistance avec sa soeur et son beau-frères. Passé au Bureau des Opérations Aériennes (BOA) fin novembre 1943, il participe à des parachutage d'armes et de munitions dans le Maine et Loire.

ENIZAN citation

Traqué, il est arrêté à Saint Saturnin (Maine et Loire) le 18/2/1944 à 3 heures du matin par la Gestapo. Incarcéré à la prison à Angers puis à Compiègne; le 10 mars 1944. ENIZAN Louis, est déporté de Compiègne le 6 avril 1944 vers le Kl Mauthausen. (Matricule: 62372) puis transféré à Melk, puis Ebensee où il décède le 19 avril 1945.

Louis René ENIZAN, déporté à 22 ans:

"La ville de Melk se trouve en Basse-Autriche. Le 21 avril 1944, arrivent 500 des 10000 détenus qui travaillent au projet ""Quartz"", c'est-à-dire à la construction d'une usine souterraine de roulements à billes pour la firme Steyr, Daimler et Puch. Si l'usine est pratiquement achevée, elle ne produit jamais un seul roulement à billes. Le 15 avril marque la fin de l'évacuation de ce Kommando vers Mauthausen ou Ebensee.

Le camp de concentration d'Ebensee, en Autriche, fut une annexe du camp de concentration de Mauthausen. Ouvert le 18 novembre 1943 et libéré le 6 mai 1945, il est situé à l'extrémité sud du lac Traun à environ 75 km au sud-ouest de la ville de Linz.

Déportés libération du camp d Ebensee

Déportés transportant des corps trouvés au moment de la libération du camp d 'Ebensee

 

Anne Marie ENIZAN, sa soeur ainée, née le 01/03/1922 à Vannes déclare la profession d'employée de bureau quand elle épouse à Légé (Loire-Atlantique) le 23/4/1942, Alfred CORMERAIS [8/12/1918-6/4/1945], boucher de son métier, comme son beau-frère.

Le parcours de résistant de Anne-Marie ENIZAN se confond avec celui de son mari Alfred CORMERAIS et de frère, tant les trois jeunes patriotes oeuvraient ensemble dans la clandestinité.

ENIZAN Anne Cormerais resistance

Le groupe de résistant s'établit à Angers, au 6 rue Denfert-Rochereau. Le 1er février 1943, Anne Marie ENIZAN, épouse CORMERAIS, accouche d'un garçon nommé Alain. Le 1er février 1944, la Gestapo voulu l'arrêter à son domicile mais prévenue par son frère, ils réussirent à s'échapper et se réfugièrent à Origné, commune de Saint Saturnin sur Loire, à une vingtaine de km d'Angers où ils se cachent chez M. Hector Léon DUFLOT [15/09/1881 Chaumont sur Loire - 17/08/1944 Alkoven-Autriche] avec son enfant. DUFLOT, les époux CORMERAIS, ENIZAN seront finalement arrêtés le 18 février à 3 heures du matin avec Mlle BINIO. A son arrestation la Gestapo confie l'enfant à une sage-femme qui reste toutefois à disposition de la Gestapo. [rechercher le parcours de l'orpheilin Alfred Cormerais]. Le 7 mars elle quitte la prison d'Angers pour le fort de Romainville puis fin mars pour l'Allemagne. Sur les cinq personnes arrêtés,  quatre décèderont en déportation, seule Mlle BINIO de Nantes reviendra.Enizan Cormerais Arrestation

Elle sera déportée à Ravensbrück le 30 mars 1944, et décédera dans ce camp le 15 mars 1945, elle avait 23 ans. Son mari, subira le même destin tragique. 

Ravensbruck5

Femme au travail dans le camp de Ravensbruck

Ravensbrück est le nom de l'ancienne commune d'Allemagne située à 80 km au nord de Berlin dans laquelle le régime nazi établit de 1939 à 1945 un camp de concentration spécialement réservé aux femmes et dans lequel vécurent aussi des enfants.

Le camp est construit sur les bords du lac Schwedtsee (en), en face de la ville de Fürstenberg/Havel dont il fait partie depuis 1950, dans une zone de dunes et de marécages du Nord du Brandebourg.

Succédant en 1939 au camp de Lichtenburg, il devient rapidement le centre de détention de femmes le plus important du pays : au moins 132 000 femmes et enfants y sont déportés, dont 90 000 sont ensuite assassinés. Le camp fournit en main-d'œuvre féminine l'ensemble des industries d'armement allemandes et les mines de sel, sur place ou au sein de l'une des 70 antennes disséminées de la mer Baltique à la Bavière. Les détenues proviennent de tous les pays d'Europe occupés par l'Allemagne, le plus grand groupe national étant composé de Polonaises.

À partir d'avril 1941, des hommes y sont également détenus, mais dans un camp annexe.

Un livre mentionne le nom de Anne marie CORMERAIS.

ENIZAN Anne Marie Cormerais Livre

Dans le dossier consulté au SHD de Vincenne, le témoignange du docteur Zimmet, qui prisonnier, était au contre son gré service des nazis:

Dr P. don Zimmet 19 rue Babuty Annemasse Haute-Savoie

Génève le 26 août 1945

Cher Monsieur

Mon amie et camarade de déportation, la Comtesse Y de la Rochefoucauld m’a transmis votre lettre adressée à Malmö.

Je m’excuse d’avoir tant tardé à vous répondre mais je suis tombée malade en arrivant de Suède à Paris et je viens seulement de rentrer chez moi.

J’ai très bien connue votre fille, Anne Marie CORMERAIS. Je l’avais vue à Romainville, puis je l’ai retrouvée à Ravensbrück. C’était une très gentille camarade dévouée pour les amies et nous parlant souvent avec émotion d’un très jeune enfant qu’elle avait dû laisser tout petit à la maison.

Elle était au block 32, le block des N.N. et des condamnés à mort. Elle était à la même table que moi. Elle avait été désignée pour aller travailler à l’usine Siemens (on y fabriquait des pièces détachées d’appareils de radio). Je l’ai un peu perdue de vue au mois d’octobre, car les personnes travaillant dans cette usine ont été changées de block. J’ai appris ensuite qu’elle était tombée malade, une congestion pulmonaire ou une pneumonie et qu’elle avait été transportée au block10, le block où l’on mettait les tuberculeux ou celles que l’on soupçonnait de tuberculose). Ensuite elle a dû avoir une myélite ou une radiculite car elle avait une incapacité partielle des deux jambes. Mais je pense que c’était une hypovitaminose avant tout.

Elle avait comme tout le monde beaucoup maigri, mais je ne pense pas qu’elle fût tuberculeuse. Le fait de se trouver au block 10 l’avait beaucoup frappée. Nous nous arrangions avec quelques autres camarades pour aller les réconforter et lui apporter parfois ce que nous pouvions avoir en cachette, légumes crus, lainages, chaussettes etc…

Mais ces brutes, à partir du moins de mars ont inauguré un système qui en cruauté dépasse tout ce que l’on n’a vu depuis des siècles : la destruction des malades et des boches inutiles. Un camion, donc le 3 mars, est venu chercher les malades du block 10 pour les emmener soi-disant dans un groupe de baraques situées à 500 mètres du camp. Mais hélas ce n’était pas à un hôpital ou à une infirmerie qu’on les emmenait mais à la chambre à gaz. Cher monsieur, je pleure en vous écrivant ces mots, vous qui êtes déjà si éprouvé. La petite Anne Marie a été emmenée avec le premier convoi.

Mais je puis affirmer, Monsieur, qu’elle ne se doutait pas qu’on allait la gazer. Elle n’a donc pas eu l’appréhension en étant embarque puisqu’elle croyait qu’elle allait dans une autre baraque.

Si ces camarades avaient su, comme nous l’avons appris par la suite, la destination que prenaient ces convois de malades, nous aurions pu peut-être la faire fuir et la camouflet jusqu’à la libération. Mais nous ignorions de raffinement.

Depuis ce jour du 3 mars ou environ 800-1000 personnes malades et femmes à chevaux blanc furent gazées. Tous les 3 jours environ, un contingent partait pour ce fameux camp appelé par les Boches Jugend-lager, camp de jeunesse.

Je vous devais la vérité cher monsieur. Je n’ai pas eu l’occasion de soigner officiellement la petite Anne Marie car les Allemands avaient utilisé mes connaissances en m’employant comme chiffonnière et débardeur. Mais je m’en étais clandestinement occupé et lui avait fait passer quelques médicament que j’avais volé dans les wagons que je déchargeais.

Je pense, cher monsieur, que vous avez fait inscrire le petit orphelin, de mon côté si vous voulez bien m’envoyer son identité, l’identité de ses père et mère, leur date d’arrestation et de déportation, je pourrais lors d’un prochain voyage à Paris le signaler à notre association. Donnez-moi je vous prie des nouvelles de vous-même et de l’enfant. Sa photo si possible.

En souvenir de ma petite camarade Anne Marie permettez-moi, Monsieur, que je vous embrasse tristement de tout mon cœur.

Dr P. don Zimmet.

 

Alfred Louis Marie CORMERAIS, est né le 08/12/1918 à Treillières (Loire-Inférieure). Il est pupille de la Nation. Il est boucher de métier. Il est mobilisé puis fait prisonnier. Il est rappatrié en 1941 pour raison de santé souffrant d'un ulcère à l'estomac. Il a épousé Anne Marie ENIZAN à Légé (44) le 23/04/1942. Il rejoint le réseau Libération Nord puis après le déparquement rejoint les FFI. Il est arrêté le 17 ou18 février 1944 par la Gestapo de retour de mission de Nantes sans que l'on sache le lieu excat. . Il est interné à la prison d'Angers puis il est déporté le 12 mai 1944 de Compiègne vers le KL Buchenwald. (Matricule: 51565). Il sera transféré ensuite dans les camps de Dora Komando de Dora Block 130. Il décède dans le train qui le mène au campt de Bergen-Belsen le 6 avril 1945. Il est présumé inhumé près de la gare de Buchlotz (Hanovre). Son nom a été ajouté au monument le 11/11/2013 au monument de Buchenwald.

Bergen-Belsen, parfois appelé Belsen, était un camp de concentration nazi situé au sud-ouest de la ville de Bergen, près de la localité de Belsen, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de la ville de Celle, en Basse-Saxe (Allemagne), dans la lande de Lunebourg. Il a été ouvert en 1940 pour interner les prisonniers de guerre français et belges mais a accueilli à partir de l'été 1941 plus de 20 000 prisonniers soviétiques.

Blocks 11 thru 13 in the Ungarnlager

 

EPILOGUE:

L'acte de naissance de Marie Anne LE DRESSAY comporte la mention marginale de son décès à Nantes le 12/12/1966. La plaque mortuaire sur la tombe au cimetière indique que son inhumation eut lieu à Séné, son village natal.[à vérifier]

La plaque portant inscription du nom de ses enfants et de son gendre sur sa tombe symbolise la réunion posthume d'une famille meurtrie par la barbarie nazie.

NB ; D'autres Sinagots furent déportés mais seront libérés, ils s'appelaient LE RAY, SEVENO ou LE ROI.